Did you say «Francophonie»?

Did you say «Francophonie»?

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Bel exemple d’initiative qui illustre la richesse de la Francophonie comme vecteur de dialogue entre les cultures

1er au 7/12, Sikasso, MALI – Demandez le programme !

 

Quel plus bel hommage rendu à la Francophonie que de choisir la représentante d’une minorité linguistique d’un pays anglophone de l’hémisphère nord pour présider au destin de cette ambition internationale ?

Quel meilleur signal international pour nous tous, militants et militantes de la diversité culturelle et pour ces décideurs qui continuent à détricoter les politiques publiques à contre-courant d’une époque, avec la hargne de ceux qui ne veulent pas démordre de la pensée unique, du modèle unique, quand il suffit d’être pragmatique et connecté pour constater que nous gérons nos vies à la lumière d’identités plurielles, choisies ou subies, mais omniprésentes ? FANCHON

Oui, nos combats sont légitimes et pertinents au regard de ce  que retiendra l’Histoire des civilisations, s’il reste encore assez de cerveaux disponibles pour s’intéresser à ce qui fait sens dans une communauté « VIVANTE », dans un écosystème « SENSIBLE », parmi l’amoncellement de chiffres jetés en pâture à l’opinion publique comme on jette les pelures aux cochons, parmi les gravats d’images aussi furtives qu’inutiles, mais ô combien intrusives et violentes, qui nous dispensent au quotidien d’un laborieux face-à-face avec nous-mêmes, avec la vie.

« Oui, le temps est venu de dire notre terre, pour chanter les vertus et les richesses du divers », Jean-Michel Le Boulanger

Ce matin, l’Obs  publiait un article intitulé  « Non, défendre la langue française n’est pas réac ! », signé Jacques Drillon qui se termine sur cette phrase  » En attendant, commençons par ne pas traduire en anglais ce qui existe en français. » Oups, moi qui trouvais que le mot Francophonie ressortait mieux sur fond de crème anglaise dans mon titre ? Surtout pour évoquer l’élection de l’ancienne gourverneure du Canada, grande nation anglophone, et ce sur un site comme Mondoblog dédié justement à faire du langage une bannière, belle et scintillante, que l’on hisse fièrement pour faire porter plus loin sa voix, pour dire sa différence dans le respect de toutes les différences !

Bref, pas un truc flashy, fluo, fun qui vous donne l’impression d’être en boîte de nuit même en plein jou plus vulgaire qu’attractif, d’ailleurs, au premier regard comme au second, si par malheur vous clignez des yeux en réaction à la violence de l’impact. Mais je m’égare routière, maritime, TGV, l’euphorie sans doute ! Ce soir, une femme, Michaëlle Jean, est à la Une de l’actu. Elle succède dans le rôle de première dame 2014 à Jane Campion, présidente du jury du Festival de Cannes, mais il y a certainement toute une longue liste de noms plus ou moins anonymes à recenser.

Par première dame je veux traduire le sens littéral de « c’est la première fois qu’une femme… », ne pas confondre avec les trois drôlesses de l’invisible Charly, toute allusion à un ou des candidats devenus ou non-présidents français, voire re-devenu candidat puis président, relève d’une intoxication aux médias qui nécessite de consulter immédiatement.

Alors une fois n’est pas coutume, l’heure plus que tardive est solennelle. Je voudrais donc, pour vous, cher lecteur, chère lectrice, rendre hommage à ce choix révolutionnaire, comme si la langue française se prenait à oublier qu’elle avait dressé des monolithes pour en faire des temples de la Culture, afin d’éduquer le peuple ignare, désignant de fait comme sous-culture tout ce qui ne rentrait pas dans le vocable académique du bon penseur culturel, de préférence formé à Paris, assujetti aux rois et autres roitelets, cela va sans dire.

Pour saisir toute l’importance du changement que la Francophonie peut susciter dans la sphère des « décideurs unissez-vous contre les peuples », à travers l’image de cette femme de tête et de pouvoir née à Haïti,  je vous suggère de lire les mots d’un homme, un Breton qui sillonne inlassablement la campagne armoricaine pour poser un peu partout cette étrange question : « Etre breton ? »

Le « to be or not to be » version beurre demi-sel si vous préférez, tout aussi savoureux dans le texte et dans la conviction du bonhomme qu’une scène de Shakespeare, comme  siJean-Michel Le Boulanger, l’auteur de ce discours d’accueil d’une assemblée réunie à Rennes le 26 novembre 2014 voulait nous dire…

img_1026 » Nous sommes de Bretagne et du monde. Nous sommes français, citoyens de cette République qui est nôtre, nous sommes européens, nous sommes en fraternité avec tous les peuples de la terre. Le temps me semble venu de lever des hypothèques, au nom d’une petite musique que nous trouvons belle, la musique de la diversité, du respect, de l’égale dignité de toutes les formes de culture. Notre Bretagne est ouverture aux autres et ouverture au contemporain. Notre Bretagne est de grand large, et son chant court au-delà des horizons.

Nous entendons ce que disent certains qui nous méconnaissent tant et qui nous jugent cependant. La Bretagne, notre Bretagne serait close sur elle-même, sur son passé et frileuse devant les avenirs, se rabougrissant sur son identité. Les Bretons seraient « communautaristes », nous dit-on encore quand nous réclamons des droits qui semblent évidence en Allemagne, en Grande-Bretagne, en péninsule ibérique… Pire, l’écho de la collaboration d’une poignée de militants bretons avec la barbarie recouvrirait d’un voile brun toute déclaration d’amour à ce petit pays du bout du monde.

Ils font fausse route. Notre porte est ouverte, et nous les invitons sur les chemins de nos bohèmes. Notre Bretagne est un pays de vents. Un pays de ponts qui lient les rives de nos fleuves. Un pays de quais et de pontons qui invitent aux voyages et accueillent l’étranger. La Bretagne a toujours été terre rebelle, résistante face à l’oppression et les Bretons en grand nombre ont rejoint le camp de l’honneur quand le vol noir des corbeaux imposait son ombre sur les champs de nos pères. Ces coquelicots de la liberté, nous les portons haut à la mémoire.

Bretons nous sommes, de racines, de coeur et de désir aussi. Français nous sommes, d’héritage, de volonté et de passion aussi. Nous ne supportons pas, nous ne supportons plus que la France centralisatrice, la France jacobine, nous assigne à résidence du passé, nous entoure de ses préjugés et se contente de cartes postales aux tons sépias pour illustrer notre pays.
Nous ne supportons pas, nous ne supportons plus que notre République caricature la diversité, s’en méfie encore et n’ose s’engager avec vigueur et enthousiasme sur les chemins de la confiance. Nous ne supportons plus que la France, notre France, ne s’engage enfin vers une décentralisation ambitieuse de son organisation administrative et politique donnant à ses régions – et à la Bretagne qui le souhaite si ardemment – les compétences et les moyens dont bénéficient toutes les grandes régions d’Europe.

Soyons justes. Notre critique ne s’adresse pas à la France. Elle s’adresse à quelques-unes de ses élites, des dirigeantes d’une technostructure si centralisée, repue de chiffres, de taux et de dogmes, qui, à grands coups de certitude et de morgue, persistent à penser la diversité comme un outrage à leur propre grandeur et toute régionalisation comme une atteinte à leur pouvoir. Oui, le temps est venu de dire notre terre, pour chanter les vertus et les richesses du divers. Pour dire, surtout, que l’universel de la condition humaine demande des racines, toutes différentes, toutes entremêlées, et des rêves fraternels d’avenirs à construire. Être Breton est une promesse. Être Breton est un autre nom de l’universel.

Voilà ma conviction essentielle et le grand combat à mener au XXIe siècle : l’invention d’un humanisme de la diversité qui répondra aux fermetures des nationalismes. Un humanisme de la diversité adapté aux identités composites de notre temps, basé sur les droits culturels des personnes. Les pluriels sont si féconds quand nos racines sont rhizomes et nos langues, nos langues, sont toutes porteuses d’une histoire et d’une manière singulière d’être au monde, toutes porteuses aussi d’un universel de notre humaine condition. Ces langues, ces cultures, ces pluriels, aidons-les à vivre et à se transmettre.

Le sentiment d’appartenance à un territoire, en l’occurrence la Bretagne, est un levier essentiel de son développement. Laissons-le s’épanouir. Il est le terreau qui féconde les engagements citoyens, associatifs, collectifs. Il est plaisir et fierté parfois. Il faut être bien riche – ou vraiment très inconséquent – pour s’en priver. A une région abstraite, technocratique, dessinée sur une carte de papier, privilégions un espace vécu, rêvé, approprié, un espace de mobilisation. La Bretagne est bien plus qu’une région administrative. C’est un pays, un univers. Un désir. Oui, c’est cela, la Bretagne d’aujourd’hui et sans méconnaître les risques des « identités meurtrières», le temps semble venu d’affirmer qu’il n’y a pas de fatalité au nationalisme, à la fermeture, à la nostalgie.

Être Breton, c’est être à la fois Breton, citoyen français, Européen et humain, évidemment. Etre de Bretagne et du monde. Identités composites, identités plurielles. Qui parle de communautarisme ? Être breton, c’est à la fois être enraciné et être ouvert, aux autres, comme au contemporain. Qui parle de repli ? Nous sommes de Bretagne et du monde, comme une évidence. Ce projet humaniste des identités composites tranquillement affirmées est une réponse à tous les Eric Zemmour de la terre, qui clivent, qui expulsent et qui excluent. Ce projet humaniste de la diversité est le nôtre. Nous souhaitons qu’il soit demain le projet de la France. Ce projet humaniste est évidemment posé sur un socle culturel fécond.

Il ne peut y avoir de projet global de développement durable de nos territoires sans une présence artistique et culturelle intense.  Le poète Yvon Le Men résume parfaitement notre propos : « A quoi servent les artistes dans ce monde qui préfère les chiffres aux lettres et dont la folie des chiffres menace de nous faire chavirer dans le chaos ? Que celui qui n’a besoin ni de chansons, ni d’images, ni de poèmes, ni de romans, ni de films, ni de pièces de théâtre, ni de musique afin que se dise sa vie quand il ne sait plus la dire, pour que s’écoule son chagrin quand il ne sait plus pleurer, que celui-là tranche la gorge aux oiseaux. Que celui qui n’a pas besoin d’artiste retienne ses larmes à jamais et brise par avance ses éclats de rire »

Ce projet humaniste viendra de nous. De nos expériences et de nos combats. Car nous le savons : contrairement aux affirmations trop souvent entendues en France métropolitaine, l’histoire a construit une grande diversité de réponses administratives et institutionnelles dans nombre de nos territoires – et tout particulièrement dans les territoires ultramarins. Mais la France ne sait pas suffisamment analyser ces expériences et s’en enrichir. Comme si elles avaient été concédées et n’avaient pas de véritable légitimité.

Ces journées ont le grand mérite d’aider à faire connaître, à analyser, et à mettre en perspectives ce divers : ces réussites, ces échecs et les conseils que vous, représentants de ces institutions, pouvez donner. Ces journées ont aussi pour grand mérite de mieux fédérer ceux qui portent en eux, au plus profond de leurs actions, les vertus du divers, la chance des compositions bigarrées. En oeuvrant ensemble, nous serons plus forts. Pour conclure, un très court extrait de Moi, laminaire, d’Aimé Césaire :

« J’habite une blessure sacrée
J’habite des ancêtres imaginaires
J’habite un vouloir obscur
J’habite un long silence
J’habite une soif irrémédiable
J’habite un voyage de mille ans ».

La Bretagne est un voyage de mille ans. J’ai l’honneur de vous y accueillir, au nom du président du conseil régional de Bretagne.  Merci à vous tous d’être là. Vous êtes ici chez vous. »

Discours tenu lors des « Rencontres interrégionales des langues et des cultures régionales », au Conseil régional de Bretagne,

par le vice-président en charge de la Culture et des pratiques culturelles Jean-Michel Le Boulanger

 

 

 

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Commentaires

Serge
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« A quoi servent les artistes dans ce monde qui préfère les chiffres aux lettres et dont la folie des chiffres menace de nous faire chavirer dans le chaos ? Que celui qui n’a besoin ni de chansons, ni d’images, ni de poèmes, ni de romans, ni de films, ni de pièces de théâtre, ni de musique afin que se dise sa vie quand il ne sait plus la dire, pour que s’écoule son chagrin quand il ne sait plus pleurer, que celui-là tranche la gorge aux oiseaux. Que celui qui n’a pas besoin d’artiste retienne ses larmes à jamais et brise par avance ses éclats de rire »
EXCELLENT !
Il y a beaucoup de chose à retenir dans ce discours...