Rgabi la magnifique

L’architecture de terre est l’une des expressions les plus originales et les plus puissantes de notre capacité à créer un environnement construit avec des ressources locales facilement disponibles. Programme mondial 2007- 2017 de l’UNESCO

Terrachidia est une association espagnole formée par un groupe de spécialistes de la conservation du patrimoine et de la coopération qui considèrent que l’architecture traditionnelle, notamment la construction en terre, est un domaine où ces deux approches peuvent être liées à la formation et à la promotion d’un tourisme responsable. L’association existe depuis 2002 avec des objectifs similiaires à ceux qui m’ont amenée avec mes élèves à créer cette même année TIMILIN, « moudre nos idées ensemble », aujourd’hui présidée par Lucie Jeanneret, jeune docteure en archéologie médiévale venue s’installer en Bretagne dans la zone rurale où je l’avais invitée à conduire sa recherche sur les mottes féodales. Comme ici, à M’hamid, le touriste ignore trop souvent qu’il passe à côté de vrais trésors cachés. M’Hamid el Ghizlane, anciennement nommée Taragalte, est une commune rurale marocaine de la province de Zagora, dans la région de Souss-Massa-Draa. Proche de la frontière algérienne, avec une ambiance saharienne indéniable, M’hamid el Ghizlane est la dernière localité avant cette immensité désertique.

Le mot « tourisme » vient de l’anglais ‘ »tourism », mais l’anglais « tour » a le même sens que le mot « voyage ».Les barbarismes superflus sont souvent le résultat d’un déplacement des significations dans la culture qui nourrit le langage. Rafael Argullol a fait remarquer que « voyager beaucoup sans rien découvrir, avoir accès à de grandes quantités d’informations sans comprendre celles-ci et essayer de tout unifier sous une seule langue ne nous rend pas plus universels. C’est plutôt l’inverse. » Voilà peut-être le drame global le plus attristant à l’heure actuelle et le drame local d’un lieu comme M’hamid. Marionao Vasquez Espi, janvier 2016, dans « M’hamid, la dernière oasis du Drâa »

Terrachidia intervient à M’hamid depuis 2012 à raison de trois chantiers par an. Les prochains auront lieu en mai et en octobre 2016. Plus de deux cent personnes de différentes nationalités ont déjà participé aux ateliers en collaboration avec les habitants de l’oasis. Ensemble, ils ont restauré des éléments du patrimoine architectural, en particulier des portes fortifiées des villages, des rues principales et des mosquées.Du 18 au 28 mars, Terrachidia
Ces années d’un intense travail ont permis de mieux connaître l’oasis, ses habitants et sa richesse culturelle. Un guide, intitulé « M’hamid, la dernière oasis du Drâa » retrace ces années d’exploration et de restauration à l’ancienne. Un document d’importance quand on sait que la majorité des touristes ne voit de M’hamid que la ville nouvelle qui concentre toute l’activité commerciale de l’oasis.

« Ce village a peu d’intérêt du point de vue paysager et la qualité de ses constructions est pauvre », peut-on lire dans le rapport d’activité multilingue de l’association, accessible en ligne. En septembre dernier, Plan B s’était intéressé à la ville nouvelle, à ce projet urbanistique contrasté si peu représentatif de la qualité architecturale héritée d’un savoir-faire ancestral particulièrement bien adapté au milieu et à la rigueur du climat saharien. Là où j’apporte des questions le plus souvent sans réponse, Terrachidia agit sur le terrain pour trouver les solutions avant qu’il ne soit trop tard pour se poser la seule question qui vaille : qu’adviendrait-il de M’hamid et de ses alentours si ce riche patrimoine bâti et paysager des ksours, des kasbahs, venait à disparaître ?

Bel outil de vulgarisation pour se promener dans l’oasis et mesurer l’importance de l’enjeu, le guide, édité par l’association à destination des touristes, mais aussi des écoles, des responsables locaux, des agences et des hébergeurs, propose neuf itinéraires dont un parcours archéologique. La vente de cette version française servira à publier la version arabe.

Pour la première fois depuis 2012, l’atelier, organisé au nord de la commune de M’hamid el Ghizlane, concorde avec les trois jours de fête du Festival International des Nomades. C’est donc en amont du premier Forum des Nomades que j’ai le plaisir de rencontrer Mamen, Susana et Raquel, trois femmes passionnées comme je les aime. Sans cette occasion unique, j’aurais pu encore aligner quelques séjours au Sahara sans entendre parler de ce travail remarquable et espérer y associer un jour mes propres réseaux en Bretagne.

A feuilleter comme une invitation à la beauté, ce livret trilingue est édité par Terrachidia, grâce à l’appui et au financement de l’Université de Girona en Catalogne. Extrait du guide dont il est question plus haut retranscrit après les Bonus (partenariat Université polytechnique de Madrid).

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Moi qui pensais avoir fait le tour des kasbahs du secteur, à pied ou à moto ! Je ne m’étais pas intéressée à ce qui se passait plus haut, sur la route de Tagounite. Rgabi ?Jamais entendu parler. Le guide du « Petit futé » parcouru à l’Auberge la Palmeraie indique bien au voyageur de venir jusqu’à Ouled Driss, sans mentionner d’ailleurs ni M’hamid el Ghizlane, ni la beauté des douze autres kasbahs, dans lesquelles vivent encore un nombre conséquent de familles. A ma décharge, j’avais comme guide un féru d’histoire locale, Ibrahim Laghrissi, un enfant du pays qui n’a jamais quitté M’hamid. Grâce à lui, je me souviendrai toujours des sensations indescriptibles que m’a laissées entre autre la visite de l’ancienne mosquée du Vieux M’hamid.

Pour saisir la force d'un lieu étonnant, la magie d'un bel échange avec Ibrahim, conteur dans l'âme
Pour saisir la force d’un lieu étonnant, la magie d’un bel échange avec Ibrahim, conteur dans l’âme

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Shopping à Ouled Driss. Crédit photo Fanchon Plan B
Shopping à Ouled Driss. Crédit photo Fanchon Plan B

Ouled Driss, c’est là que je retrouve Susana quelques jours après le festival. Nous échangeons en français. Le courant est passé tout de suite et je ne me prive pas d’en apprendre d’avantage sur ce projet grâce à la gentillesse et à la disponibilité de mon interlocutrice. Susana est co-fondatrice d’un association catalane : « Terram ». Elle est l’experte de l’enduit terre dans le groupe, mais elle représente bien plus que ça, je le sens. La discussion que je surprends entre Susana et une jeune architecte libanaise, Yasmine, me confirme cette intuition. Le groupe est au repos. Les filles sont parties apprendre à faire du pain avec les femmes du village. Nous prenons rendez-vous pour que j’accompagne le groupe dans le désert à Chegaga le lendemain. Formidable ! Je ne sais pas encore que la pluie me surprendra au petit matin.

Dans les dunes de Chegaga, avant la pluie
Dans les dunes de Chegaga, avant la pluie

A ce moment-là, je suis encore toute éblouie par ma découverte de Rgabi. Cette kasbah se trouve être le plus bel édifice que j’aie vu jusqu’à présent à M’hamid et celui dont l’environnement est le plus soigné : un vrai palais dans son jardin de palmiers, version monde rural et culture nomade. Il faut dire que les familles qui vivent là n’ont jamais cherché, semble-t-il,  à profiter de la manne touristique. Cette petite communauté berbère est d’ailleurs un peu considérée comme différente par le reste de la population qui tire l’essentiel de ses subsides de la fréquentation internationale des dunes de Chegaga.

Toujours est-il que ce lieu de vie que je découvre grâce à l’atelier de Terrachidia est la plus belle expression d’un attachement et d’une transmission qui semblent inhérentes à l’organisation sociale de l’endroit, et ce depuis belle lurette.

Une des cinq tours de Rgabi qui compte aussi la tour la plus haute de l'oasis de M'hamid
Une des cinq tours de Rgabi, un ksar, village défensif, fortifié, qui compte aussi la tour la plus haute de l’oasis de M’hamid.

Au Sud Maroc, l’architecture de terre est partout, à la fois tenace et fragile, tout en contrastes. Sentiment partagé de ruines et de propreté, poésie puissante des jeux d’ombre et de lumière, majesté des volumes symétriques et humilité des décors, dédales de ruelles entre les portes géantes qui soulignent la splendeur d’un passé qui n’est plus : celui des caravanes arrivant dans l’oasis pour décharger et recharger les marchandises échangées. La kasbah devant laquelle je suis passée si souvent sans rien voir m’apparaît comme un mirage entouré de jardins plantés de palmiers, riche écosystème rendant la vie supportable, même sous de très fortes chaleurs.

Un mirage, oui, bien que ces forteresses féodales sahariennes soient bien réelles. Elles sont habitées par des familles qui entretiennent encore avec soin ces vestiges d’une histoire locale liée au nomadisme. Or l’évolution de la société minimise ce travail anonyme, quand elle ne le rend pas obsolète au regard du dieu béton. Ici même, à grand renfort d’argent public, les minarets apposent sur l’horizon leur haute signature grisâtre et sans reflet. Ce savoir-faire de la construction en terre transmis de génération en génération sert pourtant on ne peut mieux l’esthétique et l’attractivité d’une région hautement touristique.

A Rgabi, Terrachidia a découvert un témoignage d'une mapitrise plus importante que dans les autres villages
A Rgabi, Terrachidia a découvert un témoignage d’une maîtrise de la construction plus importante que dans les autres villages

Que serait la vallée du Drâa sans ces forteresses et ces villages dont l’ocre dorée fait ressortir l’or de la paille mêlée à l’enduit de terre sous les rayons du soleil ? Que deviendront ces nomades devenus otages des frontières quand leur sédentarisation aura consacré à jamais l’ère du tout béton ? Que restera-t’il de leur culture, de leur capacité à vivre en symbiose avec un environnement si propice à la reconquête d’une énergie plus saine, plus viable que celle qui sert de carburant à tous les stress générés par les modes de vie urbain ? Avec quelles références du beau, du laid, grandissent aujourd’hui ces jeunes ruraux dont les yeux se sont habitués aux poubelles, aux poutrelles, savant mélange de modernité qui n’apporte ni confort ni mieux-être, mais un faire-valoir onéreux d’un semblant d’adaptation à de nouvelles conditions d’existence.

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Un mirage, oui, parce que l’irréversible est engagé, parce que, si l’on n’y prend garde, il ne faut pas plus de temps à la terre pour redevenir poussière qu’il n’en faut aux industriels pour faire de la poussière de ciment l’or gris des marchés financiers. Depuis quatre ans, Terrachidia s’attaque aux problèmes, et malgré toute la bonne volonté qui les anime, ces femmes architectes investies dans une course contre la montre voient chaque année des trésors disparaître.

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Une partie du groupe cosmopolite du premier atelier 2016, en route pour Chegaga. Une seule française, Charlotte, ingénieure de construction comme Massimo, italien vivant à Londres. Deux personnalités attachantes.
Yasmine a autofinancé son séjour. Arcihecte de 27ans, à Beyrouth, elle veut oeuvrer pour la sauvegarde du patrimoine au Liban.
Yasmine a autofinancé son séjour. Architecte de 27ans, à Beyrouth, elle veut oeuvrer pour la sauvegarde du patrimoine au Liban.
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35 ans, architecte, Susana Oses vit en Catalogne. Dans le désert, au coeur des kasbahs, au plus près des habitants, elle se sent chez elle et ça se voit.

 

 

Les encadrants, bénévoles, vivent  chaque atelier comme un partage d'expérience et l'opportunité de belles rencontres avec les habitants de l'oasis
Les encadrants, bénévoles, vivent chaque atelier comme un partage d’expérience et l’opportunité de belles rencontres avec les habitants de l’oasis

B comme Bonus

Témoignage de Yasmine, participante libanaise de l’atelier https://dernierbaiser.mondoblog.org/2016/04/11/rgabi-la-magnifique-2/

Pour contacter Terrachidia ou commander le guide en français : https://www.terrachidia.es/terrachidia/es/index.html

Pour une vision des enjeux à l’échelle Monde : https://whc.unesco.org/fr/architecture-de-terre/

L’article Plan B sur la ville nouvelle de M’hamid : https://dernierbaiser.mondoblog.org/2015/09/24/attention-travaux-lieux-mouvants-chateaux-de-sables-et-puis-quoi-encore/

Edition 2016 du Festival International des Nomades et programme du 1er Forum des Nomades : https://nomadsfestival.wordpress.com/

L’émission de 2M Mag sur le festival en replay : https://www.2m.ma/Programmes/Magazines/Culture/2M-mag/2m-Mag-Lundi-04-Avril

Pour contacter le guide des Kasbahs, Ibrahim Laghrisssi : https://www.aubergelapalmeraie.com/

Pour voir les magnifiques clichés réalisés par un autre expert passionné espagnol, Carlos Perez Marin, lors de son travail d’inventaire dans la Vallée du Drâa

https://web.facebook.com/carlosperezmarin/media_set?set=a.10153671785853844.1073741892.667383843&type=3

Aziz Srahani habite Bounou. Il travaille avec son père dans la palmeraie. Il accueille des groupes de Terrachidia depuis 2012 chez lui au coeur de la kabah offerte aux sables qui mangent la terre, comme il dit.
Aziz Srahani habite Bounou. Il travaille avec son père dans la palmeraie. Il accueille des groupes de Terrachidia depuis 2012 chez lui au coeur de la kasbah offerte aux sables qui mangent la terre, comme il dit.

Extrait de « M’hamid, la dernière oasis du Drâa »

Itinéraire 5 : De Bounou à El Alouj –

En laissant derrière nous la rue principale qui traverse l’oasis, nous entrons dans l’une des zones le plus peuplées de la palmeraie pour atteindre le ksar de Bounou. Le chemin traverse un beau verger parsemé de nombreuses maisons qui abritent aujourd’hui la majeure partie de la population du ksar […]. Les défenses du village sont formées par un périmètre fortifié a tracé régulier qui relie de hautes tours joliment décorées avec différentes formes géométriques en brique d’adobe. Après avoir passé cette muraille, nous entrons dans l’un des plus riches anciens villages de l’oasis, mais aussi l’un des plus touchés par l’abandon.

D’un côté et de l’autre de la rue principale, nous pouvons voir de nombreuses maisons en ruines et des rues inondées par le sable. Cependant, nous voyons émerger continuellement entre ces maisons de beaux patios avec de grandes arcatures. Sur la gauche se trouve le secteur le plus habité et le mieux conservé du village. De l’autre côté de la rue, le désert a gagné la bataille.

Ce noyau urbain est particulièrement attrayant. Pour le visiter, le mieux est de descendre la rue principale en direction du lit du fleuve Drâa, qui est en général à sec, hormis quelques rares fois dans l’année. Après avoir traversé le village, nous contournons celui-ci par l’ouest et nous pouvons contempler l’action destructrice spectaculaire du sable. Les hautes dunes dévorent progressivement cette partie du ksar, recouvrant même les étages des habitations.

De là, nous pouvons profiter d’un autre avantage qu’offre l’oasis de M’hamid : la possibilité de s’aventurer dans le désert pour découvrir l’immense terre fertile qui s’étendait vers le sud dans le passé. A mesure que nous avançons, nous traversons des zones abandonnées par l’homme en des temps plus reculés. Les vestiges et ruines laissés par les anciens habitants de cette région sont nombreux. Le même désert qui les a engloutis les conserve aujourd’hui en bon état grâce à l’absence d’humidité. Lors d’une promenade entre les dunes qui envahissent les terres méridionales de l’oasis, nous verrons émerger des puits, des ruines de bâtiments et d’anciennes palmeraies.

De plus, la zone désertique qui s’étend au sud de Bonou, de l’autre côté du lit du fleuve, est particulièrement riche en vestiges archéologiques. En marchant depuis le ksar vers le sud-est, de préférence en compagnie d’’un guide local, nous arrivons aux ruines d’un ancien village entre lesquelles nous verrons encore plusieurs tombes et un marabout en ruine, Sidi Boyshak, qui est toujours très populaire. Les jeunes filles s’y rendent pour connaître l’origine de leur futur mari grâce à un jeu curieux.

En avançant vers l’ouest depuis ces ruines, avec toujours le fleuve à notre droite, nous rencontrerons facilement des vestiges le long du chemin, des tombeaux ou encore d’anciens fours. Nous arriverons enfin à l’élément archéologique le plus intéressant de cette région les ruines de l’ancienne forteresse d’El Alouj. Ce noyau défensif a été construit par le sultan Ahmed el Mansour en tant que point de départ de la route du Soudan à travers le désert quand au XVIème siècle, avec l’aide des troupes andalouses expulsées de la péninsule ibérique, il prit le contrôle des routes sahariennes, parvenant à conquérir Tombouctou. C’est un ensemble avec des tours et une double muraille, une configuration atypique dans  la région, mais commune pour ce type de fortifications.

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Commentaires

Carlos Perez Marin
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Bonjour,

J'aimerais vous remercier pour la mention sur votre blog. Si jamais vous voulez avoir plus d'information sur le patrimoine de la vallée du Drâa, voici le plan guide que nous avons fait chez Marsad Drâa
(www.facebook.com/marsaddraa).

https://www.google.com/maps/d/edit?mid=zutzExpIIojk.kg2k3rRA_w20&usp=sharing

D'ailleurs, vous trouverez sur notre site et sur notre Facebook d'autres informations sur les recherches que nous menons dans les provinces du sud.

Cordialement, Carlos Perez Marin

Youssef
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Incroyable, mes parents sont originaire de rgabi,
Lorsque nous étions petit,nous y allions 1 mois pendant les vacances d'été.

fanchon
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Merci Youssef, racontez nous le Rgabi de vos souvenirs d'enfance, s'il vous plaît. La plus belle vue de ce ksour est en arrivant du désert. Emotion quasi picturale ou cinématographique qui vous projette au temps des caravanes. Je remercie la vie de m'avoir offerte cette vision de beauté du monde à travers un site où vivent toujours des familles, dont celle du maire actuel de M'hamid el Ghizlane