Motten Morvan, archéologie mon amour

Article : Motten Morvan, archéologie mon amour
Crédit: Françoise Ramel
17 juillet 2021

Motten Morvan, archéologie mon amour

L’été est enfin arrivé en Bretagne. Autant dire que ça fait du bien, quand les nouvelles du monde empêchent d’aborder cette belle saison des moissons avec légèreté. Dans ce billet, je vous parle de jeunes qui ont choisi d’être bénévoles sur un chantier archéologique. Les fouilles se déroulent en ce moment chez moi. Ils et elles auraient pu opter pour d’autres destinations que notre petit territoire rural et d’autres envies. Je parle d’un espoir qui, pour se projeter dans le futur, s’invite sur les traces d’un lointain passé encore mystérieux. Degemer mat, bienvenue à Motten Morvan.

Vue aérienne de Motten Morvan à Saint-Aignan, Morbihan, Bretagne

Flashback

En 2005, j’ai acheté une vieille ferme à l’abandon. J’étais sous le charme du cadre naturel dans lequel ce beau bâti paysan se niche dans un écrin de verdure au bord d’un ruisseau qui porte le nom du hameau : le Corboulo. Plus que par ces vieilles pierres, j’étais fascinée par l’ambiance sauvage et poétique d’un site hérité d’une lointaine époque, un paradis terrestre fondu dans ce qu’en ont fait les arbres, la faune et la flore. En quelque sorte, le temps s’est arrêté à Motten Morvan.

Quel beau cliché que celui pris cette année par un voisin du site, Fabrice Charlot, qui rêvait petit de devenir archéologue.

Je ne savais rien de la butte. C’est ainsi que les gens d’ici appellent traditionnellement Motten Morvan. J’ai aussi entendu cette expression dont j’aime à penser qu’elle a traversé les siècles : le château ruiné. C’était dans la bouche d’un vieux Monsieur Quenecan venu lors d’une porte ouverte pour partager cet endroit magnifique avec les habitants, les tenir informés de l’avancement de nos projets associatifs.

Quenecan ! Autre nom chargé d’une histoire locale qui ne s’apprend pas dans les manuels scolaires. Celui d’une vaste forêt dont une petite partie est aujourd’hui une réserve biologique intégrale de 113 hectares en bordure du lac de Guerledan. On voit bien cette imposante butte de Malvran dans le paysage panoramique qu’offre Motten Morvan.

Quenecan, c’est aussi le nom de l’écluse du Canal de Nantes, à Brest, en contrebas du site archéologique, comme une réminiscence d’anciennes frontières, d’anciens ponts qui étaient à la fois des points de contrôle stratégiques et des péages, traces toujours visibles sur nos cartes actuelles de règles liées au pouvoir de seigneuries bretonnes.

Voici en image, grâce à France 3 Bretagne et à l’INA, le lieu dont je vous parle et où j’ai pu accueillir tant de publics depuis 2009 sans dénaturer ni le site, ni les raisons affectives pour lesquelles j’en suis devenue propriétaire. Si je n’avais pas pris de décision pour empêcher que Motten Morvan ne soit vendu par petits morceaux, empêchant toute possibilité de redonner son rang à ce château ruiné et au jardin du Monsieur, nom donné par l’ancienne propriétaire à la parcelle où se déroule la fouille 2021, il n’y aurait pas d’histoire à raconter, pas de jeunes pour en écrire la suite.

Le pari de la jeunesse, le défi de la Recherche

Je ne savais rien de la butte. J’ai donc fait appel à une jeune chercheuse, doctorante originaire de Picardie. Lucie Jeanneret a commencé son travail de thèse à Motten Morvan en 2009. Elle a décroché son doctorat en janvier 2016. Ce fut un très agréable compagnonnage et l’opportunité de sortir un pan de notre histoire locale tombé dans l’oubli.

Reconstitution en 3D de Motten Morvan à partir des relevés topographiques réalisés durant l’hiver 2009-2010 – Crédit : Lucie Jeanneret, docteur en archéologie médiévale

L’hypothèse scientifique alors avancée est que le site dont j’avais fait l’acquisition en 2005 est une motte castrale du 12e siècle, les documents répertoriés ne permettant pas de la rattacher à une seigneurie. Lucie évoque une construction en terre imposante qui aurait été rapidement abandonnée. Pourquoi ? Mystère.

En 2010, une première demande d’autorisation de fouilles auprès du Service régional de l’Archeologie est refusée. Pendant 10 ans, l’association Timilin, qui gère les projets d’action culturelle liés à la réhabilitation de Motten Morvan, communique donc sur la base des connaissances produites pour sa thèse par Lucie Jeanneret.

Par chance, un autre jeune chercheur originaire de Leers, à la frontière belge, s’intéresse à nos actions. Victorien Leman intègre l’association Timilin en tant que volontaire en service civique grâce au financement régional d’un concept que j’ai mis sur pied en 2011, déçue de ne pas pouvoir valoriser le potentiel archéologique de Motten Morvan : « Bienvenue dans mon labo grandeur nature ».

Fin de chantier 2020 à Motten Morvan. Sans ces deux là, rien n’aurait été possible et pourtant quelle rencontre improbable grâce à la Bretagne entre l’archéologue et le chamelier somalien. Liban Douale, bénévole de Timilin ayant obtenu depuis le statut de réfugié, a fait le choix comme Victorien Leman de rester vivre dans la région de Pontivy.

En 2020, Victorien, devenu Docteur en Histoire et Civilisations, obtient la précieuse autorisation du SRA, recrute une équipe de fouilleurs bénévoles et… Bingo, Motten Morvan nous récompense de notre persévérance ! En deux semaines de chantier, nous voilà projetés non plus au 12e mais au 8e siècle. Tout ça grâce à une datation très précise au carbone 14 et au mobilier archéologique trouvé dans une ancienne habitation de l’époque carolingienne.

Évidemment, ça change tout, au moins pour les amoureux du patrimoine et de la riche histoire de Bretagne.

Gagner 400 ans en 15 jours, c’est possible

Victorien Leman avait lui aussi échafaudé des hypothèses pour expliquer la présence de Motten Morvan dans notre paysage. Les journaux ont repris ces informations, somme toute fiables, au regard de ce que nous croyions savoir sur ce site millénaire remarquable.

Le 11 juillet 2020, Ouest-France publiait ceci :

« Des fouilles archéologiques ont été menées sur le site de la motte castrale de Corboulo, à Saint-Aignan, du 15 au 27 juin 2020. D’après les premiers résultats, elle daterait du XIIe siècle et du conflit entre les Rohan et le roi d’Angleterre. »

Des légendes locales lui attribuent le doux nom de Motten Morvan. Mais aucun texte ne mentionne son existence. Seule l’archéologie pouvait permettre de comprendre le passé de la motte castrale de Corboulo, à Saint-Aignan.

Ouest-France, 11/07/2020

Quelques jours plus tard, Victorien reçoit un courrier des USA. Il a sous les yeux les résultats des analyses des échantillons de charbon trouvés dans deux des trois sondages qui avaient mobilisés l’énergie d’une dizaine de jeunes bénévoles. Je suis en direct avec lui, au téléphone. Certes, ce n’est pas équivalent au jour où vous apprenez que vous allez devenir Maman, mais tout de même, j’étais heureuse de vivre ce suspense qui a duré le temps de plusieurs relectures du courrier. Victorien avait du mal à réaliser et à s’y retrouver. Les américains ne calibrent pas le temps à partir de la naissance du Christ, mais à rebours à partir du présent.

Faites l’exercice avec 1200 ans. Dans un sens, ça donne une datation du 13e siècle, nous sommes dans la guerre de Cent ans. A rebours, vous voilà au Haut Moyen-âge avec les Vikings, les francs et les bretons qui cohabitent plus ou moins paisiblement.

Je vous laisse imaginer la joie, l’émotion, la complicité que Victorien et moi avons partagées ce jour-là. Inoubliable ! Et vous pouvez aussi, si j’ai su vous donner l’envie de creuser, consulter le rapport de fouilles de Victorien, téléchargeable, court et digeste, en attendant celui de l’été 2021.

Un an plus tard…

Nous voilà en juillet 2021. Le spectre de la pandémie plane toujours avec une promesse de 4e vague. Une nouvelle équipe de fouilleurs bénévoles est dans la place depuis le 5 et travaille sans relâche par tous les temps, car le périmètre archéologique à étudier est bien plus grand. Le 31, il faudra reboucher. C’est pourquoi Victorien aurait pu fouiller encore plus d’espace et qu’il ne l’a pas fait. Dès le 1er jour, il est tombé sur ce qu’il cherchait : de nouvelles traces d’habitat et d’occupation.

Chistr per veut dire cidre de poire en breton. Motten Morvan se situe à la limite Nord du Morbihan. L’implantation d’une forteresse à cet endroit précis est lié à la géologie et à la géographie. Rien ne dit que l’occupation de ce promontoire ne soit pas encore plus ancienne que ce que nous en savons grâce aux fouilles en cours.

Cette année, je ne participe pas aux fouilles mais j’aime me rendre sur le site pour voir comment le travail minutieux des uns et des autres progresse. J’ai conscience des efforts, de la patience, de la cohésion au sein du groupe et de la concentration personnelle que cela suppose pour ne pas passer à côté d’une information, aussi partielle soit-elle : un tesson de poterie, un mors ou un fer à cheval, un élément surprenant qui s’avère être du mortier, preuve que les occupants ont soigné le sol de leur habitat.

J’imagine Victorien au travail toute la journée. Il supervise, conseille, encourage ses troupes. Dans un cahier, il note scrupuleusement, strate par strate, ce que la fouille révèle au grand jour. Ce n’est pas simple. Il y a beaucoup à consigner, pour la science, pour les archéologues de demain. Lors d’une de mes visites, il prend encore le temps de me faire un topo. J’aime l’écouter et tenter de comprendre ce que je vois.

De volontaire militant à plus jeune maire du département

Pour la petite comme pour la grande histoire, il faut savoir aussi que Victorien est devenu maire entre temps, le plus jeune maire du Morbihan, et que cette nouvelle charge occupe désormais une bonne partie de son agenda. Autant dire que si le SRA avait jugé bon de nous refuser à nouveau l’autorisation de fouiller en 2020, ce n’est pas seulement dix ans de retard pris sur nos objectifs qu’il faudrait acter, mais une « éternité ».

Or, et 2021 est là pour le confirmer, c’est d’abord le potentiel archéologique de Motten Morvan qui nous permet d’attirer des jeunes de tous horizons, de tous milieux sociaux en Centre Bretagne, y compris des bretons qui méconnaissent leur région, ses langues et son histoire.

J’aime moi aussi sentir la présence passée de ces hommes, de ces femmes, qui ont vécu là au 8e siècle. Peut-être que nous ne saurons jamais rien, ou si peu, de leur quotidien. Mais leur héritage est bien réel. Il nous appartient de le faire vivre, de le partager, de le promouvoir.

Julie Periane
Julie Periane, fouilleuse bénévole bretonne, voulait revenir cet été. Elle est toujours bloquée en Écosse à cause de la pandémie.

Un savoir qui nous est directement accessible en revanche serait de s’intéresser à ces jeunes adultes qui préfèrent gratter la terre pendant presqu’un mois, au risque d’être déçus et trempés jusqu’aux os, plutôt que se connecter aux vacances de type tong, plage et crustacés. Surtout en Bretagne où le littoral est toujours aussi prisé par les touristes. Mystère !

Partager le savoir

D’autres jeunes ont rejoint les bénévoles sélectionnés parmi 450 candidatures. Gros succès ! Ils et elles ont entre 11 et 14 ans. Ce camp Nature et patrimoine encadré par trois animatrices et deux animateurs permet d’accueillir le tout premier bivouac à Motten Morvan. Un vieux rêve.

Un rêve parce que je trouve essentiel qu’une vie s’installe dans cet endroit magique, même par intermittence. Un rêve parce qu’il n’y a pas de plus belle façon d’enraciner dans la tête d’un adolescent des sensations fortes, un appétit de connaissance, que lui permettre de vivre une expérience rare dans un cadre préservé, à l’abris du tumulte de l’époque contemporaine.

Pour en savoir plus sur ces jeunes arrivés de Liffré en Centre-Bretagne le samedi 17 juillet

Partager le savoir, c’est aussi se lancer enfin dans l’aventure d’un festival. Les 3 et 4 juillet, nous avons donc organisé grâce à l’appui précieux de bénévoles la première édition de « Paysages, rencontres poétiques de Motten Morvan » et deux concerts.

Près du ruisseau du Corboulo, nous avons mêlé nos voix, nos textes, nos désirs, au chant mélodieux des oiseaux, les vrais rois de ce petit paradis perdu entre la Manche et l’océan Atlantique. C’était simple, sobre, émouvant et très beau.

En 2022, l’association fêtera ses 20 ans. Nous inaugurerons pour l’occasion un circuit d’interprétation en français et en breton, pour promouvoir tous les savoirs mobilisés et ce qui reste avant tout une belle aventure humaine. Grâce à ce nouveau projet, l’association Timilin fait partie des 21 premiers lauréats de l’appel à projet de la Région Bretagne « S’engager collectivement pour le patrimoine ».

B comme Bonus

Voici au choix des archives sonores :

Portrait d’une jeune fouilleuse bénévole, Julie Periane dans Femmes de caractères

Victorien Leman et Anne-Marie Fourteau (SRA) témoignent en amont du chantier 2020

Reportage d’Ophélie Trouchard pendant les fouilles de 2020

Mon témoignage sur France Inter dans Carnets de campagne, septembre 2019

Présentation par Victorien Leman du chantier de fouilles 2021

Ma présentation du festival « Paysages »

Article publié par Réseau Bretagne Solidaire

Partagez

Commentaires

Fode Diakho
Répondre

Content de découvrir le site

Fode Diakho
Répondre

Content de découvrir le site et de discuter en personne avec Françoise