« Paysages », hymne au savoir et à la culture entre deux tours d’élection à haut risque

Article : « Paysages », hymne au savoir et à la culture entre deux tours d’élection à haut risque
Crédit: Françoise Ramel

« Paysages », hymne au savoir et à la culture entre deux tours d’élection à haut risque

Avez-vous entendu parler des Journées Européennes de l’Archéologie ? Elles ont eu lieu du 14 au 16 juin avec une grande diversité d’animations favorisant la rencontre entre archéologues, médiateurs et habitants. Ce rendez-vous annuel est une belle vitrine pour l’énergie bénévole que développe l’association TIMILIN en Bretagne.

Avec la création du festival « Paysages » depuis juin 2021 à Motten Morvan, site archéologique du 8ème siècle, les JEA offrent l’occasion idéale de susciter l’intérêt, de faire émerger des envies de coopération, d’informer le grand public. La programmation de ce festival régional s’invente chaque année dans une nouvelle commune rurale, comme un défi, à partir d’une page blanche. Timilin participe ainsi au rayonnement des JEA grâce aux médias qui suivent notre actualité en Centre Bretagne, en variant les plaisirs, les découvertes. Notre mobilisation originale autour de l’approche scientifique, artistique, citoyenne met en avant la capacité de chacun à produire du savoir. Chercheurs, habitants, artistes, poètes créent ensemble une collection d’instants présents à travers l’espace-temps. Libre à chacun de venir puiser dans cette mine d’information pour imaginer sa propre façon d’inviter la culture, d’inventer des possibles, dans son propre paysage.

Crédit Gaël Dupret
Mûr-de-Bretagne, lors de « Paysages, rencontres poétiques de Motten Morvan », avec Monsieur le Maire – Juillet 2023 – Crédit Gaël Dupret

Une 4ème édition « historique » du 3 au 7 juillet 2024

Pour les Journées Européennes de l’Archéologie 2023, nous étions aux allées couvertes de Coët-Correc à Mûr-de-Bretagne avec Céline Kergonnan, présidente du Musée de l’Archéologie de Plussulien. Visite passionnante pour lancer le festival. Déjà, comme un acte prémonitoire, l’attrait de la Préhistoire.

Nous étions plongés dans un environnement végétal, loin de tout, sur les hauteurs du lac de Guerlédan. Au milieu de ce vert, une trace imposante laissée par une civilisation, on en trouve partout en Bretagne, monuments de granit, vaisseaux de pierre arrivés jusqu’à nous avec leur part de mystère.
Les archéologues sont des détectives, des enquêteurs, nous dit dans une interview Anne Affagard, médiatrice au Musée de Carnac. Cyrille Chaigneau, un de ses collègues, nous a partagé ce talent et sa passion l’an dernier. Il avait choisi de nous parler de Saint-Cornély. C’était bien plus captivant que n’importe quelle série TV à gros budget. Un vrai bonheur !

Il n’y a rien de plus vivant, de plus vrai, de plus spontané qu’une rencontre où chacun se sent libre de partager, en dehors de toute commande institutionnelle, juste pour le plaisir d’être ensemble.

Françoise Ramel, présidente de TIMILIN, moudre nos idées ensemble
Paysages
Je n’imaginais pas que Mané prendrait le temps de s’intéresser à l’Histoire de Bretagne quand je lui ai mis ce magazine entre les mains, presque par hasard.

Mané Touré, productrice culturelle venue spécialement de Dakar pour s’inspirer du festival Paysages, peut en témoigner. Elle était littéralement subjuguée de découvrir avec Cyrille Chaigneau tout un pan d’une histoire très ancienne, que nous-mêmes bretons ignorons souvent. Quelques jours plus tard, je la voyais scotchée sur les pages d’un magazine dévorant un article sur les mégalithes. Je me demandais ce qui pouvait tant la fasciner, alors que nous étions en mode récupération en bord de mer, avant son départ. J’ai appris qu’elle était originaire de Kaoloack (nom qui sonne étrangement comme Carnac), que chez elle, il y avait un célèbre site mégalithique classé à l’UNESCO. Peu de sénégalais ont connaissance de ce patrimoine, de sa valeur pour la Science et la connaissance de l’Histoire de l’Humanité.

Avec le recul, je sais que j’aurais pu vivre trois semaines avec cette jeune femme étonnante et passer complètement à côté de cette information. Cela n’aurait changé ni le cours de l’Histoire, ni la marche du monde. Je pense pourtant qu’à ce moment précis une intuition s’est renforcée sans qu’il soit besoin de la traduire en mots, comme une évidence dans notre envie de ne pas en rester là au moment de se dire au revoir. Peut-être même une joie simple, sans arrière-pensée, enracinée dans la complicité de deux femmes de culture et d’âge différents, deux inconnues réunies par leurs utopies, par leur capacité à agir et à faire confiance. Sérendipité.

Je ne savais pas encore que je trouverai la motivation en 2024 pour que d’autres femmes s’invitent dans l’aventure du festival Paysages, comme Mané l’a fait avec beaucoup d’audace et d’engagement. Depuis notre rencontre, Mané a énormément voyagé, emportant avec elle un peu de Bretagne aux USA, au Canada, au Japon, au Maroc. Surtout, elle a invité une dizaine de jeunes bretons vivant en zone rurale à passer quinze jours au Sénégal dans le cadre d’un séjour solidaire. Le projet porté par ces jeunes en BTS Finance au lycée Joseph Loth de Pontivy sera au programme du festival Bideew, dont la première édition s’est déroulée en octobre 2023 à Téné Toubab et Ngaparou.

Claire Artemyz, invitée d’honneur de « Paysages #4 »

Un musée en France conserve la collection la plus remarquable au monde pour qui s’intéresse à la Préhistoire, aux Arts premiers, des fouilles réalisées dans les cavernes où s’abritaient nos ancêtres nomades aux projets de recherche qui étudient d’autres formes de campement. Il s’agit du Musée d’Archéologie Nationale, à Saint-Germain en Laye. Je n’y suis jamais allée.

Paysages
Claire Artemyz, invitée d’honneur du festival Paysages 2024 – Crédit Claire Artémyz

Le hasard des rencontres, la volonté de proposer au public breton de belles propositions m’ont conduite à solliciter Claire Artemyz, photographe à Paris. Elle connaît bien les collections de ce musée prestigieux. Elle y a travaillé à maintes reprises dans le cadre de résidences.
Avec l’appui de la conservatrice, Catherine Schwab, Claire Artemyz a créé au fil de sa démarche artistique une forme d’intimité, de complicité avec des objets de collection.

Elle a appris à dialoguer avec eux.

Dans l’émission Femmes de caractères, elle choisit le mot « connexion » pour évoquer ce lien sensible, par delà les siècles et l’inconnu.

Audioblog – Claire Artemyz dans Femmes de caractères (arteradio.com)

C’est ce que je ressens face aux clichés de Claire Artémyz, une étrange connexion avec des créations de main humaine sorties de la nuit des temps, animées par la lumière qui s’invite de manière très subtile dans chacune des photographies, mais aussi dans la façon dont l’artiste choisit de les montrer dans ses expositions.

Barbara Daeffler, céramiste passionnée par la Préhistoire, a découvert par hasard ce travail de création grâce à Timilin, au cœur de Saint-Brieuc, en amont des Journées Européennes de l’Archéologie.

Galerie d’Art Le Linteau rouge, Bretagne, Côtes-d’Armor – Journées européennes de l’archéologie (journees-archeologie.eu)

C’est une découverte très heureuse de connaître ce festival qui organise des rencontres entre l’Art et l’Archéologie. C’est assez rare.

BarbARa DAEFFLER, céramiste en Baie de Saint-Brieuc
Témoignage de Barbara Daeffler dans son atelier à Langueux le mercredi 26 juin pour Plan B et le festival Paysages

Un festival original à vocation internationale

Pour partager la richesse de contenu et la diversité mise en avant grâce au festival, je vous invite à feuilleter le programme, à découvrir les lieux qui accueillent nos temps de rencontre pendant cinq jours : conférences, concerts, après-midi dédié à la jeunesse et à l’international, projection de documentaire, jeu de rôle sur plateau, atelier de pratique artistique, exposition.

Vous constaterez rapidement deux caractéristiques de la proposition liées à ma vision de l’action culturelle. D’abord le nombre très important de femmes dans le programme, ensuite le fait que habitant ou chercheur, artiste professionnel ou amateur, chacun bénéficie de la même visibilité, de la même légitimité à partager un savoir.

Quand je commence à réfléchir au festival entre deux éditions, je me retrouve de manière quasi systématique avec une longue liste d’hommes. La différence, c’est que je veille au grain, il n’est pas question qu’il en soit autrement. Contrairement à d’autres événements, où je me surprends à relire deux fois le programme parce que le constat est choquant en 2024. « Ce n’est pas possible, où sont les femmes ? »

On pourrait dire la même chose à propos des jeunes, surtout en zone rurale. En France, les universités sont dans les métropoles, avec parfois des sites annexes dans certaines ville-préfectures. La Bretagne a ceci de particulier que toutes les préfectures sont situées sur la côte. Rennes, capitale administrative régionale en lieu et place de Nantes, capitale historique, est pour des raisons de modèle urbain et de transport en commun bien plus proche culturellement de Paris que de Quintin ou Pontivy.

Voilà pourquoi je crois à la pertinence d’un festival régional nomade comme « Paysages » en Centre-Bretagne et à sa vocation internationale. Nous sommes d’ailleurs le seul festival à représenter la France dans le réseau mondial The festival academy. Tant qu’il y aura des esprits ouverts, gourmands, curieux et généreux pour y croire avec moi, il y aura des perspectives de développement pour ce festival, comme pour les initiatives qui s’en inspirent.

J’ose le parti pris d’un résultat final qui émerge de lui-même, comme un phénomène naturel dans un éco-sytème de relations pré-existantes ou non. Cela laisse toute sa place à la spontanéité, à la liberté des habitants, artistes, chercheurs qui s’invitent dans « Paysages » plus que je ne les programme, au sens classique du terme.

Françoise Ramel, créatrice du festival Paysages

« Paysages », notre petite fabrique à liens

L’autre dimension qui j’espère transparaît dans ce programme, c’est la convivialité et la priorité donnée à l’interconnaissance. Car ce n’est pas seulement pour l’intérêt de l’événement en soi que je mouille la chemise. Bien sûr, la réussite dépend de sa qualité et du plaisir que j’ai depuis 2020 à relever le défi chaque année en quête de nouvelles rencontres, de nouveaux horizons.

Si je consacre un temps conséquent à cette organisation dont je veille à ce qu’elle soit la plus légère possible (ça demande aussi du temps de faire léger, il faut aimer s’adapter sans cesse), c’est aussi parce que je pense ce festival comme un substrat fertile sur lequel peuvent germer des envies de coopération, des idées de projet.

Je ne pense pas très utile d’inventer des formes, si c’est pour les garder juste pour ce que nous sommes capables de produire, et les reproduire à l’identique quand ça marche. Il me semble plus urgent de développer des liens et des espaces qui permettent aux idées, aux ressources, aux personnes de voyager, de féconder d’autres territoires, d’apprendre au contact d’autres connaissances, que ces territoires soient des lieux géographiques ou des espaces d’invention.

Nous avons tous et toutes des gênes de néandertaliens

L’analogie s’arrête là, mais quelque part, ma posture est celle d’une chasseuse-cueilleuse qui connaît parfaitement son environnement, même dans une forêt qui lui est étrangère. Si je pensais comme une sédentaire – avec ces corollaires, confort, sécurité, cadrage et obtention préalable d’un financement public -, je ne pourrais pas produire cette forme si particulière de rencontre.

L’improvisation est un art magnifique. La conception de tiers-lieux comme les définit Gilles Clément en évoquant le paysage est une philosophie. J’ose le parti pris d’un résultat final qui émerge de lui-même, comme un phénomène naturel dans un éco-sytème de relations pré-existantes ou non. Cela laisse toute sa place à la spontanéité, à la liberté des habitants, artistes, chercheurs qui s’invitent dans « Paysages » plus que je ne les programme, au sens classique du terme.

Je me suis juste autorisée à dédier la dernière journée du festival à la Préhistoire, parce qu’on me demande trop souvent à propos de ce rendez-vous volontairement éclectique : c’est quoi le thème ? Et moi de penser en mon for intérieur. « Pourquoi il faudrait forcément un thème pour que les gens deviennent juste plus curieux et ouverts à la surprise, à la rencontre ? »

A propos de légèreté, d’adaptation, d’inconfort, d’inconnu pour rester créative et audacieuse, vous faites comment vous quand un Président de la République décide le 9 juin que tout le pays doit se conformer à sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, parce que le résultat d’une élection à un tour – qui n’a rien à voir avec le contexte politique franco-français au passage – lui donne l’occasion de mettre tout le monde dans l’embarras, y compris son propre camp ?

Je me demande s’il lui reste encore des gênes de Néandertalien à ce jeune Président français. Il ne semble pas mettre l’intérêt du groupe et la survie de l’espèce avant tout autre préoccupation. Mais passons … L’essentiel est que la science progresse pendant que nous perdons un temps précieux. Avez-vous vu l’excellent documentaire « Les derniers secrets de l’Humanité » et son making off ? Exceptionnel !

« Les derniers secrets de l’humanité », le doc événement 20 ans après l’Odyssée de l’espèce – Sciences et Avenir

Paysages
Dans ce docu-fiction de 90 minutes, Jacques Malaterre nous plonge au cœur d’une nature préhistorique chinoise insoupçonnée et peuplée d’animaux géants qui n’ont existé que sur ce continent. Crédit Les derniers secrets de l’Humanité

Je rêve d’un festival qui nous (re)connecte

Figurez-vous que la Maison des Jeunes et de la Culture se transforme en bureau de vote à Quintin ! Damned ! Mais la chance est avec moi. J’ai trouvé encore mieux comme espace pour nous accueillir le week-end du 2ème tour des Législatives. C’est aussi cela voyager léger, en confiance, et faire que les aléas deviennent des atouts dans votre conception d’un événement.

Sérendipité ! C’est Monsieur Duquesne, proviseur du lycée public Jean Monnet à Quintin qui m’a appris ce mot, il y a moins de deux semaines, en m’ouvrant grand les portes de l’établissement. Je ne l’avais jamais rencontré auparavant.

Grâce à la mise à disposition de locaux bien équipés, où 180 élèves se forment aux techniques du bâtiment, je peux enfin tester ce qui me pousse à développer ce festival atypique en explorant des zones rurales, en allant à la rencontre d’habitants. La version 2.0 de « Paysages ».

L’ambition numérique liée à mon expérience de Mondoblog et au modèle à suivre dans un autre registre qu’est le Festival de Géopolitique de Grenoble n’est pas antinomique avec celle qui me fait choisir des bourgs ruraux pour cadre de ce projet nomade, participatif et solidaire, ancré à une réalité locale.

Je veux me persuader que la culture de l’accueil, à la mode de Bretagne, est encore bien vivante, quoique menacée par des styles de vie et des schémas de valeurs qui n’ont plus rien à voir avec l’entraide, l’ouverture à l’autre, la transmission des savoirs. Nos liens ne sont plus imprégnés de l’histoire des lieux, de leur identité propre.

Je veux faire connaître la Bretagne et ses paysages, sauvages, habités, réels, légendaires, autrement que ce que j’en vois dans les brochures touristiques en papier glacé financées par nos impôts ou via les discours marketing des sites marchands d’hébergements privés.

Le marketing territorial et autres cultes modernes du storytelling consomment et assèchent nos espaces cérébraux, nos imaginaires, aussi sûrement qu’une armada de tractopelles la forêt amazonienne. Ces engins monstrueux portent le doux nom d’abatteuses. Vous noterez au passage l’usage non tendencieux du féminin dans la langue française.

Pour Timilin, le dimanche 7 juillet 2024 restera un jour historique, pour de bonnes raisons, celles qui font que nous garderons un excellent souvenir de la 4ème édition de « Paysages, rencontres poétiques de Motten Morvan ». Vous aussi, j’espère, si vous nous suivez à distance ou si vous choisissez de soutenir cette initiative citoyenne d’une autre façon.

Jour historique dédié au partage de savoir, à la culture, à la poésie, à l’émotion que suscitent en nous les traces d’une humanité différente, quelque soit le nouveau visage de la France du XXIè siècle à la sortie du scrutin pour lequel en moins de trois semaines il aura fallu être plus efficace (ou moins regardant à la dépense, à la compromission) pour survivre dans le paysage politique français.

Quand je vous dis que nous ne sommes peut-être pas sortis d’une autre forme de préhistoire … moderne !

Racloir en cristal de roche néandertalien Crédit : Claire Artémyz, collection du Musée d’Archéologie Nationale

Pour vous intéresser au festival Paysages, vous pouvez aussi découvrir cet audioblog sur la plateforme Arte Radio et nous contacter via le site du festival.

J’adresse toutes ma reconnaissance aux habitants, chercheurs, artistes, d’ici et d’ailleurs, qui par leur confiance et leur soutien sont l’âme de ces rencontres régionales nomades.

Paysages Crédit Johanne Giquel
Photographies de Johanne Gicquel, présente au festival Paysages en 2021 et 2023, lauréate de plusieurs prix de poésie, auteure partie à la rencontre des travailleuses et travailleurs de la terre. Portraits à découvrir dans deux ouvrages : Paysâmes et Paysômes

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Commentaires

Anne Jordan
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Ô Françoise , c'est magnifique , tout ce que tu écris là est un pur délice, et les semelles me démangent déjà pour prendre la route vers l'Est;
en attendant sois remerciée pour toutes ces portes ouvertes dans une société bien rétrécie et claquemurée.