Mensonges et trahisons, ce que nous dit Vincent Lindon

Le 6 mai 2020, Mediapart a publié un article et une vidéo repris depuis en boucle sur les réseaux et aujourd’hui dans les journaux, à commencer par Le Figaro, dont le parti pris pour le néolibéralisme et le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron ne fait mystère pour personne. Mensonges et trahisons, Vincent Lindon ne se contente pas d’énumérer des constats, de lister des incohérences et des crimes de lèse-majesté dont le peuple français est la cible (le concept de lèse-Peuple reste à inventer).

Alain Goutal est un de nos plus brillants dessinateurs bretons. Son regard sur l’actu, son esprit vif à croquer les travers de notre société sont aussi incisifs que son coup de crayon

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Le comédien a confié à Mediapart une longue réflexion, lue face caméra chez lui, sur ce que la pandémie révèle du pays qui est le nôtre, la France, sixième puissance mondiale empêtrée dans le dénuement (sanitaire), puis le mensonge (gouvernemental) et désormais la colère (citoyenne). Un texte puissamment politique, avec un objectif: ne pas en rester là.

Fabrice Arfi, Mediapart

Dans cet article, Fabrice Arfi publie la retranscription de l’intégralité du texte lu par Vincent Lindon et c’est utile. La démarche rompt d’emblée avec d’anciennes habitudes peut-être trop facilement prises en France, selon un casting, une répartition des rôles et des postures qui ne créent plus guère de surprise. C’est un moindre mal. Elles nous privent surtout d’une ressource essentielle dans toute démocratie : notre capacité à nourrir une pensée politique.

Car c’est bien connu, et somme toute logique. Après des décennies forgées au culte de la pensée unique, drôle de façon d’introduire le débat démocratique et citoyen au passage, pourquoi faudrait-il se fatiguer à réfléchir puisque des experts de la Nation et du bien commun le font si bien pour nous ? Des experts au-dessus de tout soupçon ? Si ce fut le cas en d’autres temps, ça ne l’est plus.

2010, Cesar du meilleur acteur dans Welcome
2015, Prix d’interpretation masculine à Cannes pour la Loi du Marché, film dans lequel il est le seul acteur pro comme dans En guerre du même réalisateur, Vincent Lindon incarne des récits forts et sensibles, au plus près des fractures qu’ils mettent en scène dans une recherche toujours poussée au paroxysme

Dans une lettre lue, le comédien revient de façon critique sur les trois années de présidence Macron et la gestion de la crise sanitaire. Il propose des solutions pour rétablir une certaine équité entre privilégiés et démunis.

Le Figaro, 6 mai 2020

Flagrant délire

Je note que « Le coup de gueule de Vincent Lindon », titre donné par la rédaction du Figaro, complété par cette citation, «déjà insupportables, les inégalités explosent avec la pandémie», est étrangement publié dans la rubrique Cinéma des pages Culture du quotidien. Rôles et postures disais-je !

Est-ce à dire que lorsqu’un comédien aussi apprécié que Vincent Lindon parle à hauteur de citoyen, pour reprendre l’expression de Fabrice Arfi, il ne peut prétendre à la rubrique « Politique » quand son propos l’est éminemment ?

Lisez donc plutôt cette courte interview intéressante de Vincent Lindon qui pose clairement les raisons politiques de ses choix, de son engagement professionnel, publiée dans L’Humanité en 2015.

Où ai-je lu déjà que la presse obéit au diktat des puissants ? Mais oui bien sûr hier dans le texte de Vincent Lindon !

Quant au pouvoir judiciaire, son indépendance n’est que théorique, tant il est simple de le contrôler par le jeu des nominations et des promotions. Depuis Montesquieu, qui a théorisé la séparation des pouvoirs (il n’en connaissait que trois, lui), un quatrième s’est imposé : la presse.

Problème : neuf milliardaires en possèdent l’immense majorité, on ne s’étonnera donc pas que l’intérêt des puissants soit ménagé dans le traitement de l’information. Impuissante politiquement, la contestation s’exprime là où elle le peut encore, dans la rue et dans les sondages d’opinion.

Vincent Lindon

Solidarité fiscale ? Tu me prends pour un Bisounours ?

Laissons donc là Le Figaro qui ne nous apprend rien, sinon qu’une rédaction nationale aussi réputée dans certains milieux d’affaires peut se contenter de publier et de paraphraser une parole citoyenne sans la mettre en perspective, ni en tirer la moindre leçon. Bonjour l’information !

La stratégie de l’Express me semble plus appropriée puisqu’elle ne réduit pas cette parole libre et bien construite à un pugilat du Président Macron, préférant mettre en avant une des propositions qui font sens avec la réflexion que partage le comédien pour ne pas en rester là. « Avec sa taxe « Jean Valjean », Vincent Lindon veut que les riches aident les plus précaires », titre l’hebdomadaire qui ambitionne officiellement depuis janvier 2020 d’être l’équivalent français de The Economist.

Car l’intervention de Vincent Lindon pose bien en toile de fond toutes les questions qui font débat sur l’après pandémie. Elle interroge directement notre capacité collective à réformer en profondeur un système plus prompt à nous imposer des restrictions de nos libertés et ses incohérences qu’à remettre en cause les erreurs commises au nom de l’idéologie qui le sous-tend, d’en assumer les conséquences.

Pendant que nos voisins allemands se mettent en ordre de bataille, le gouvernement français peaufine sa communication. Une seule stratégie, mentir.

En termes de gestion et de communication de crise, je ne sais pas qui aurait pu faire mieux, mais je ne vois pas qui aurait pu faire pire.

En mettant au jour ses insuffisances, cette crise pourrait-elle être l’occasion d’une refonte radicale de notre démocratie ?

Si l’on s’accorde pour ne pas changer de système, alors il faut changer LE système.

VIncent Lindon

Fiskal* bazar

Ironie ou hoquet de l’Histoire de France, la seule candidate à la présidentielle à s’être aventurée par exemple sur l’épineux/scandaleux dossier des paradis fiscaux, Eva Joly, juriste spécialiste de la question, a recueilli le fabuleux/scandaleux score de 2,31% en 2012.

Cette archive presse de 2016 est réservée aux abonnés, mais vous pouvez prendre connaissance de sa teneur partielle, puis si besoin vous connecter et accéder aux contenus mis en ligne par le Monde diplomatique depuis 1954 pendant 5 jours sans abonnement. Voici l’introduction de cet éclairage pour en finir avec l’impunité fiscale apporté par Eva Joly.

La succession des révélations sur l’évitement de l’impôt à l’échelle internationale fait apparaître l’ampleur de l’impunité fiscale dont jouissent les plus puissants et les plus malins. Loin d’être fatale, celle-ci résulte de choix politiques. En particulier en France, où le verrou du ministère des finances sur les enquêtes, la baisse des effectifs et la culture de la conciliation favorisent la triche. Lutter efficacement contre l’évasion des capitaux supposerait aussi de s’en donner les moyens judiciaires.

Eva Joly

Dans cette vidéo de Mediapart devenue virale en quelques heures, Vincent Lindon dénonce tout aussi fermement la tranquillité avec laquelle les plus riches peuvent cacher leurs activités ou leurs avoirs, et se soustraire à toute solidarité nationale, avec la complicité tacite de notre gouvernement.

Distanciation sociale, oui, justice sociale, non, fin de l’évasion fiscale ?
Dur dur pour les plus fragiles

Ce même gouvernement confronté à son absence d’anticipation et aux logiques de ses propres politiques appelle pourtant sans complexe chacun d’entre nous à être solidaire, à nous protéger pour mieux protéger les autres. Dans une parfaite cacophonie, également pointée du doigt par Vincent Lindon.

Dessine moi un mouton Lindon

Mais pourquoi inviter cet instant politique et citoyen sur Plan B ? Parce que des milliers de françaises et de français se sont mis à la couture de façon solidaire, bénévole, pour fabriquer en nombre des masques, visant à protéger prioritairement les soignant.e.s, les responsables de caisses dans les supermarchés ? Parce que ces masques sont subitement désormais disponibles en masse dans ces mêmes grandes surfaces ?

Dans le 44, Pat Nas de l’association Farafina-Ton fabrique de très beaux masques avec des tissus africains

Pour évoquer justement cette notion des rôles et postures au regard de la place prise par les artistes dans une société donnée, ou place qui leur est confiée.

A Niamey, grâce au Forum Mondoblog Afrique, j’ai découvert comment les artistes africains exercent une véritable fonction sociale et citoyenne, notamment en cas de pandémie.

Ils sont pourtant peu accompagnés par les institutions, loin s’en faut, par rapport aux artistes en France, protégés par un statut, soutenus par un maillage conséquent de lieux culturels, de festivals, par des politiques d’éducation artistique et de médiation culturelle qui leur permettent de diversifier interventions et publics, de la maternelle à … la prison.


Systématiquement la voix des artistes africains est utilisée parce qu’elle reste le meilleur vecteur pour faire passer des messages comme celui des gestes barrières face au Covid-19. C’était déjà le cas pour lutter contre le SIDA, contre Ebola ou pour évoquer des sujets de société, selon les contextes, auprès de populations parfois analphabètes et n’ayant pas accès majoritairement à une multitude de canaux d’information.

Je sais, et je leur rends hommage, que de nombreux artistes africains exercent aussi leur parole politique, portent des revendications citoyennes, dénoncent certains abus ou défaillances des pouvoirs étatiques, la spoliation des richesses du continent par des intérêts étrangers,  les relents malsains de discours post coloniaux qui continuent à polluer nos schémas de pensée, nos cultures et nos vécus de coopération Nord-Sud.

 
 « Vous et vos services de renseignement avez dû voir le reportage de la CNN sur la vente aux enchères en tant qu’esclaves de vos ressortissants en captivités en Libye à ce moment même, où je vous parle. Qu’est ce que vous attendez pour réagir et intervenir ? », S’interroge Alpha Blondy, en novembre 2017


Chez nous, pour ce que j’en sais pour être née dans les années soixante et avoir grandi pendant “les 30 glorieuses”, la place de l’artiste et son rôle se sont accommodés  globalement d’un certain confort, je crois.

Mensonges et trahisons

Un formatage plus ou moins conscient s’est opéré sur la base de ce qui caractérise désormais notre époque de ce côté-ci du monde : la société de consommation, la société du spectacle, le fossé grandissant entre les réalités vécues par la majorité agissante et les discours d’une certaine classe politique.

En prenant la parole comme il le fait, en partageant sa réflexion politique et en ciblant ouvertement des responsables du fiasco, Vincent Lindon bouscule sciemment l’ordre établi, les arrangements admis pour préserver une tranquille et subtile combinaison d’intérêts réciproques.

Cela doit, peut, nous interpeler, chacun à notre niveau et dans nos champs d’actions respectifs. « Comment ce pays si riche… » cumule déjà depuis hier plus de 2 millions de vues. Certes c’est moins qu’un clip américain mettant en scène deux célébrités du dance floor presque nues dans des positions suggestives, mais c’est tout sauf anodin.

Alors saluons par notre regard, notre propre niveau de réflexion politique et nos marges d’action, l’incroyable talent suggestif de Vincent Lindon. Sans autre impératif que sa propre conscience citoyenne, cet immense acteur français signe dans cette vidéo Mediapart, aussi bien qu’à l’écran dans les personnages qu’il incarne toujours avec tact, retenue et vérité, le plus beau rôle de sa vie.

A nous d’écrire le scénario !

« En même temps », comme dirait le roi des gaulois, si vous préférez mes navets, c’est vous qui voyez. Entre nous, les gens, je ne suis quand même pas si mauvais ? Roi, c’est un vrai métier, ça rigole pas. Si Lindon s’en mêle, où on va là ?

Est-ce que j’emmerde le monde avec mon cinéma, MOI !

Signé Manu 1er, Roi de France, Liberté, Égalité, Fraternité

Je vous laisse avec Vincent Lindon, mais avec une autre vidéo. Celle de Mediapart, vous la trouverez tout seul. Au fait, entre l’aurore où j’ai commencé à écrire ce billet et ce soir, où il va être temps de m’en séparer, le compteur YouTube approche des 3 millions de vues. Mais comme dirait Vincent lui-même dans son texte : Pschitt…



Si vous lisez cette dernière ligne, c’est que vous êtes de vrais accros, soit de l’info, soit de Plan B, FISKAL !

* Fiskal, c’est du breton. Je pourrais traduire cette expression par super, génial ou c’est tout bon.

Fanchon, la reine des Plan B
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