23 janvier 2021

Africa 2020 : lancement réussi en Bretagne

Une première rencontre régionale Africa 2020 a eu lieu vendredi 22 janvier au rectorat de Rennes. La thématique « Musique et rythmes » avait été choisie pour ce lancement officiel. Deux projets régionaux ont fait l’objet d’une présentation dynamique et collective diffusée en ligne : Sahara Drask Eskemm et la Caravane Sitala. Rendez-vous inédit en terre bretonne !

Dans ce billet, je vous parle de Fodé, 19 ans, originaire de Conakry, seul lycéen breton présent sur notre plateau Média, d’un instant magique avec Yohann Le Ferrand, musicien (presque) africain comme son nom l’indique, invité pour la circonstance. J’écris surtout pour dire la richesse et l’originalité de ces échanges partagés en direct grâce aux nouvelles technologies. Que ferions-nous sans elles pour résister et créer en pleine pandémie !

Mais la vraie question n’est pas technologique, elle renvoie aux fondamentaux de l’action collective, locale, régionale, internationale : la culture du dialogue, l’apprentissage de la coopération, l’expertise partagée, le niveau de détermination à braver les obstacles, à travailler dans la durée.

Un mondoblogeur tchadien était connecté quelque part au Cameroun. Abdoulaye Abdelkadre nous fait part en fin d’article de ses impressions sur ce premier rendez-vous. Merci à lui d’être intervenu lors de cette session. Nous préparons avec le même enthousiasme trois autres rencontres régionales mensuelles portant sur d’autres thématiques, d’autres projets pédagogiques inspirants.

Avec Radio Bro Gwened et le Cinéma Rex de Pontivy, nous accueillons en février le temps fort dédié à l’image, au cinéma et aux médias programmé par le rectorat. J’y ai convié des intervenant.e.s qui sauront susciter votre curiosité. Abdelkadre en fait partie. Actuellement en formation, il nous parlera de son souhait de lutter contre les fake news et les propos haineux sur les réseaux. Mais pour l’heure, j’envoie la musique. En piste !

Invité pour illustrer l’esprit de Sahara Drask Eskemm, Yohann Le Ferrand a fait forte impression avec un morceau hommage aux rythmes du désert. Avec son projet YEKO, ce musicien breton a toute sa place dans la Saison Africa 2020

L’Afrique s’invite en Bretagne

Les multiples reports depuis le printemps 2020, liés au contexte sanitaire, aurait pu stopper net l’élan fédérateur espéré avant même de pouvoir vraiment l’enclencher. Ponctuée de documents audiovisuels, la session organisée le 22 janvier a permis de rappeler le cadre général de la Saison Africa 2020. Elle a aussi permis d’informer le grand public des quinze projets bretons labellisés. Ces projets servent de points d’appui à l’ambition d’une démarche collaborative mise en œuvre à l’échelle régionale depuis des mois.

Manuel de Lima, chef du service Europe et relations internationales, Académie de Rennes
Expérience de dossier bouclé, mis à la poubelle lors du changement de mandature en 2014 : Zeidi Ag Baba, bassiste de Tadalat, avec son tuteur agréé par France Volontaires, Étienne Callac, devait intégrer le conservatoire de Pontivy (programme « Réciprocité »). Africa 2020 permet d’expérimenter des partenariats plus fiables, plus prometteurs, de changer d’échelle. Accepter l’échec reste un paramètre de l’équation – Crédit photo F.Ramel

S’engager pour la culture et l’éducation

Militante culturelle et pédagogue engagée de longue date dans des projets de coopération, j’ai consacré à Africa 2020 une bonne partie de mon énergie bénévole depuis plus d’un an. L’intuition initiale s’est enracinée avec le premier confinement dans une intention affirmée. Ne laisser aucune prise au sentiment d’impuissance devant le marasme subi de plein fouet par les artistes et tous les métiers du spectacle vivant.

Agir et réagir sont des postures qui nous définissent comme choisir ou subir. Ne pas renoncer, ne pas renâcler devant l’ampleur de la tâche, devant les obstacles, nous construit.

Après une longue campagne municipale, mon agenda s’est allégé subitement le soir du 28 juin, comme en mars 2014. Le scrutin me privant de toute responsabilité élective, j’avais à nouveau le champ libre. Sauf que cette fois …

Ni regret, ni frustration à digérer, mais aussi aucune possibilité de prendre le large, frontières fermées, horizon bouché, plus aucune langue de sable à perte de vue au bout du goudron !

Nous découvrions ensemble un autre monde : celui de la visio et des concerts en mode facebook Live.

Août 2017, je suis au pied de la scène au Festival des Chants de marin à Paimpol avant de rejoindre les musiciens de Tinariwen dans leur loge avec mon ami forgeron de Tombouctou, Attaher Cissé Crédit photo F.Ramel
Sans festivals, les artistes sont privés de public, de mobilité. La situation sanitaire compromet gravement l’émergence de nouveaux talents. Tinariwen à Paimpol – Crédit photo F. Ramel

Associer de jeunes artistes, une volonté assumée

Cette Saison Africa 2020 en Bretagne, nous l’avons donc porté à bout de bras, avec les seuls volontaires, construite pas à pas, sans nous soucier des structures culturelles qui ont leur propre programme, avec des artistes africains triés sur le volet.

Avril 2018, j’arrive à l’entrée d’Agadez avec 3 jeunes artistes urbains de la Caravane culturelle pour la paix de Sahel Hip Hop Festival dont j’assure la co-direction. Crédit photo F. Ramel

Coopérer, ici et là-bas : l’école de la confiance

Nous avons tenu bon, mis en place des réunions hebdomadaires en visioconférence depuis octobre pour favoriser l’interconnaissance, arrêter la définition d’une méthode et d’une vision commune. Et ça a marché !

Car avant de prétendre coopérer avec des interlocuteurs africains vivant d’autres réalités dans leur pays, avec des organisations, des postures, des références culturelles si différentes des nôtres, mieux vaut déjà essayer d’apprendre à coopérer entre nous et du mieux possible.

La joie était perceptible lors de ce lancement régional Africa 2020 du seul fait d’être en phase avec la manière de procéder, loin de tout formalisme ou emballage académique. L’ambiance sur ce plateau média était vraiment ce que j’en attendais : conviviale, spontanée et chaleureuse. Bref, enfin, nous faisions connaissance !

Souplesse, solidarité, mutualisation

Danseur de Jeunesse Production Chaghat rencontré à Agadez, Fête de la Concorde, avril 2018 Crédit photo F. Ramel.
Avec Sahara Drask Eskemm, nous travaillons avec de jeunes artistes et des classes, en lien avec le Maroc, le Mali, le Niger

La Saison Africa 2020 invite à miser sur la rencontre, l’exploration et le partage de savoirs. Cela implique de susciter l’envie de s’intéresser aux points de vue des africain.e.s sur leur propre continent, leur propre Histoire, passée et contemporaine. Les internautes ont pu assister en direct à nos échanges. Ils l’ont vérifié par eux-mêmes, les portes sont grandes ouvertes. Chacun.e peut encore s’associer à telle ou telle action, promouvoir un projet de coopération avec le continent africain, expérimenter voire créer un dispositif ou une ressource pédagogique.

Diversifier les propositions pédagogiques

L’idée de présenter sur ce plateau média deux approches inspirantes et complémentaires témoigne du travail de fond réalisé en amont. Avec la Caravane Sitala, il est question d’un projet itinérant enraciné dans 20 ans d’expérience de coopération avec le Burkina Faso. Basé sur un engagement associatif fort, il allie réflexion citoyenne et pratiques artistiques avec la possibilité de faire participer un grand nombre d’élèves sur une même séquence, sous forme d’ateliers. Cette initiative interculturelle bien rodée par l’équipe de Sitala, en France et au Burkina, s’appuie sur les valeurs de l’éducation populaire, du Théâtre de l’Opprimé, de l’animation.

Avec Sahara Drask Eskemm, « être libre et le rester », il s’agit de se projeter à l’international sur une aventure humaine et artistique à construire de toutes pièces, à partir de vécus très divers, de trajectoires nomades. C’est typiquement l’expression d’une utopie réaliste à géométrie variable fondée sur l’approche participative. Nous sollicitons l’expertise de chaque composante sans qu’une tête pensante ne fixe au préalable les règles, la direction à suivre. Ce projet n’ambitionne pas comme résultat un produit pédagogique clé en main, parmi une multitude d’autres propositions dont sont submergés les enseignants. Il promeut au contraire la capacité d’action, l’innovation pédagogique, dans un contexte sanitaire qui réduit fortement les marges de manoeuvre des établissements.

Nuit noire à M’hamid el Ghislane, complicité de deux amis d’enfance se retrouvant au Festival international des Nomades.
A gauche, le militaire, une des rares voies pour gagner sa vie, à droite le musicien – Mars 2016, crédit photo F.Ramel

20 000 enfants, le pari fou de Sitala

Benoit Laurent, créateur de l’association Sitala, a présenté un projet déjà bien construit, exemplaire sur son bilan comme sur sa durée. L’envie du moment est de mieux faire connaître Sitala, de tirer les leçons d’une histoire ayant permis de créer trois emplois temps plein au Burkina Faso et trois temps plein dans le Morbihan. Le succès de l’initiative a permis d’équiper un bus de tournée, de former des jeunes burkinabés à l’animation. A l’arrivée, un chiffre époustouflant dont je suis très admirative : plus de 20 000 enfants ont bénéficié de l’apport de ces deux belles associations solidaires, profondément humanistes dans leurs démarches. Sitala, c’est aussi la leçon d’une belle amitié.

J’ai eu la chance de m’entretenir avec Mamadou Coulibaly, co-fondateur de Sitala, lors de son récent séjour en Bretagne. J’étais tout ouïe. Voici le lien de l’interview.

Il n’y a pas d’éducation sans culture.

Mamadou Coulibaly, Burkina Faso

Argumenter, convaincre face aux logiques administratives

Mais Benoit Laurent a aussi expliqué comment cette approche volontairement axée sur le lien social, le dialogue entre les cultures, l’éducation à la paix, se heurte à des critères définissant strictement le champ des arts et de la culture en France.
Chez nos amis africains, la notion de statut de l’artiste n’est pas encore entrée dans les mœurs, à quelques exceptions près. L’artiste est sollicité comme un médiateur social, soit par tradition, à l’image du griot, soit du fait de commandes publiques pour lutter par exemple contre divers fléaux : Sida, Ebola, Covid.

Pour que le travail de Sitala puisse au bout de 20 ans de démonstration probante espérer enfin une reconnaissance sur son volet artistique, il lui a été conseillé de prendre une autre appellation. Comme si le sens même de l’engagement de ces musiciens pouvait se satisfaire d’une distinction purement administrative ! Où se situe donc la frontière entre ce qui relève de l’effort de création, et ce qui répond à l’enjeu d’éducation, de transmission, de proximité ?

Le sourire de Fodé

Outre une jeune équipe technique affairée et une responsable du service presse, j’ai rencontré lors de la présentation Fode Kaba Tunkara, jeune guinéen de Conakry en Terminale Gestion-Administration au lycée professionnel de Coetlogon, à Rennes.

Fode, 19 ans, connaît le Sahara pour l’avoir traversé en tant que migrant mineur. Il est parti de Conakry et a rejoint la Libye par le Mali, puis l’Algérie. Crédit photo F. Ramel

Trois enseignantes impliquées dans Sahara Drask Eskemm l’accompagnaient et représentaient également les autres lycéens dont Fode est le porte-parole.
A l’issue du lancement, une enseignante me confie sa surprise et son émotion.

Je ne l’ai jamais vu sourire comme ça.

Véronique Marjou, enseignante en Gestion-Administration

Le Sahara, la route des migrants

Après son bac, Fode envisage de poursuivre des études de droit. Une responsabilité de coordination et d’animateur au sein de l’équipe internationale qui compose Sahara Drask Eskemm conforte sa prédisposition à l’engagement, à la prise de décision.

J’ai trouvé Fode très naturel et nullement intimidé, alors qu’il y avait de quoi. Il s’est gentiment prêté au jeu d’un shooting express avant de nous dire au revoir.

Je ne saurai sans doute jamais quelle partie de son âme a été plus particulièrement touchée quand nos échanges ont laissé place à l’artiste que j’avais convié à ce lancement institutionnel, Yohann Le Ferrand.

Est-ce que Fode a eu la sensation de retrouver son Afrique natale le temps d’un morceau Live ? Oui, c’est certain. Mais où ? Avec quelles émotions associées à ses souvenirs, à ses racines, aux êtres absents, famille, amis ou compagnons d’infortune en exil ?

Parmi les thématiques abordées en classe à Dinan et Rennes, des élèves ont choisi de s’intéresser à la route des migrants grâce au témoignage de Fode. C’est cela, l’enjeu éducatif qui nous réunit : ne rien imposer, laisser ces jeunes prendre leur direction et leur envol. Pour que ce projet Africa 2020 soit vraiment le leur. C’est à cette seule condition qu’ils et elles pourront se confronter, ensemble, à l’action culturelle, à la coopération, à la production d’un savoir partagé.

Yeko, la façon de voir de Yohann Le Ferrand

Je n’imaginais pas un lancement régional sans la présence d’un artiste, porteur d’un regard et d’une expérience, faisant écho à l’ambition inscrite dans l’ADN de Sahara Drask Eskemm.

Ni Drask, ni Tarwa N-Tiniri bloqué à Ouarzazate, ne pouvaient venir partager en live la motivation de ces douze jeunes musiciens prêts depuis un an à se rencontrer, à créer ensemble.

C’est vrai, j’ai du flair et je suis toujours à l’affût de ce qui fait sens. Mais là j’avoue que retomber (presque par hasard) sur Yohann Le Ferrand grâce à un post sur Facebook, c’était inattendu et surtout tellement à propos. J’y vois un vrai signe d’encouragement du destin.

La rencontre en ligne Africa 2020 du 22 janvier a permis de partager une histoire émouvante, à travers le premier clip de la série Yeko en hommage à une artiste disparue peu de temps après le lancement par Yohann Le Ferrand de son projet au Mali.

Khaira Arby, de Tombouctou, est une figure emblématique des voix du Sahara. Savoir qu’un artiste breton contribue avec talent à sa mémoire et au rayonnement de son parcours de femme du désert auprès de publics qui ne la connaissent pas témoigne de l’importance de notre projet Africa 2020.

Les fusions culturelles de « Y E K O », entre ma terre natale et l’Afrique de l’Ouest, se créent naturellement. Les thèmes abordés au travers de chaque chanson sont emprunts du quotidien de l’artiste invité.e à chanter sur mes compositions. Beaucoup de talents n’ont pas accès à l’enregistrement ou aux capacités de production et développements inhérents au monde de la musique aujourd’hui. Nos rencontres se nourrissent de l’énergie de cultures ancestrales tout en s’inscrivant dans le registre des musiques actuelles.

Yohann Le Ferrand, guitariste

Le prochain clip de Yeko sera mis en ligne bientôt, avec au chant Tina Salimata Traoré. Je ne vous en dis pas plus, sinon que ce morceau magnifique, « Dunia », et la voix de Tina sont d’une grande douceur. J’accueille ce duo dans ma prochaine émission Blablazik. Je suis déjà très émue d’annoncer ainsi la sortie de l’album de Yohann Le Ferrand prévue pour mars.

Sahara Drask Eskemm veut être cet espace d’échange, de rencontre, où de beaux projets comme Yeko, existant ou à venir, trouveront une résonance, une diffusion originale jusqu’au cœur des établissements scolaires.

« Notre religion n’a jamais interdit la musique. Le Prophète a été accueilli avec des chansons lorsqu’il est arrivé à la Mecque. Nous couper la musique, c’est comme nous empêcher de respirer. Mais on continue à lutter, et ça va aller, inch’Allah. »

Khaira Arby

Prochains rendez-vous Africa 2020

Plutôt que vous inciter à nous rejoindre pour profiter des apports multiples que nous partageons en ligne chaque mois, je préfère publier ici le témoignage que Adbelkadre Abdoulaye, mondoblogueur, m’a envoyé.

En tant que jeune africain passionné de culture, j’ai aimé l’initiative Saison Africa 2020 depuis son lancement. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le maintien de l’événement malgré la crise sanitaire qui a impacté tous les secteurs. En participant à la présentation des différents projets notamment la Caravane Sitala et à l’échange avec les différents acteurs qui s’en est suivi, j’ai découvert des talents inouïs, des véritables ambassadeurs des cultures africaines.

À travers cette initiative  » Saison Africa 2020″, les jeunes talents sont dénichés, mis sous les projecteurs, un atout pour lancer leur future carrière internationale. C’est une occasion pour tout jeune qui n’a pas la chance d’être accompagné pour ses projets d’avoir une visibilité et d’être soutenu.

Ces rendez-vous Africa 2020 en Bretagne permettent aux africains de la diaspora de renouer avec la culture de leur continent, mais ils nous offrent aussi, à nous qui sommes ici en Afrique, de découvrir les cultures que nous méconnaissons aussi. Africa 2020 est une invitation au brassage.

B comme Bonus

Je vous recommande cet entretien, surtout si vous êtes musicien.ne, réalisé par mon voisin à Saint-Aignan, Heikki Bourgault, guitariste breton que j’ai la chance de voir plus souvent sur scène que Yohann Le Ferrand. Vous trouverez en conclusion d’article une référence à Ali Farka Touré.

Khaira Arby dans son élément, sur scène, avec son public. Elle restera à jamais une pionnière dans un pays qui peut être fier du rayonnement international dont il bénéficie grâce aux artistes.

Témoignage à Tombouctou pendant le Festival au désert, archive à transmettre à toutes les femmes pour évoquer la notion d’émancipation, pas toujours conciliable avec le mariage, que ce soit un choix imposé par nos représentations sociales ou quand un père vous marie à 16 ans et vous interdit de vivre votre passion, de répondre à l’appel puissant de la musique.


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