Salvatore Sclafani, musiques et parfums d’exil

Du 4 au 14 novembre, « Traces migratoires » s’installe au Tri postal près de la Gare du Midi à Bruxelles. Il s’agit d’une exposition qui mêle musique, photographie, vidéo, illustration et écriture. Cette initiative mobilise depuis dix mois un noyau de huit bénévoles, qui bénéficie de l’appui d’ASMAE (Association Sœur Emmanuelle). Une des préoccupations de cet organisme est l’accueil, l’accompagnement de migrants, mais aussi la sensibilisation de publics jeunes. Dans cette équipe internationale, Salvatore Sclafani joue sa partition de musicien de haut niveau, plus habitué aux publics des conservatoires et aux soirées branchées… Grand répertoire. Pourquoi ?

Salvatore Sclafani donnera son 2ème concert dans le cadre de « Traces migratoires », le 11 novembre, au Tri postal, Bruxelles – Crédit photo Umut Vicdan

Peut-être parce que l’essentiel face aux raisons dramatiques qui génèrent l’afflux de populations dans nos capitales puis sur nos territoires ruraux, est déjà de s’engager pour faire ce que l’on sait faire de mieux, à partir de sa propre histoire d’exil.

Peut-être parce que face au matraquage médiatique, aux discours populistes qui menacent nos démocraties, se sentir digne passe d’abord par assumer un regard humaniste et un propos artistique au service d’une cause commune : résister à l’enfermement, au repli sur soi, aux agitateurs de peurs malsaines.

« La scénographie permet de voir la migration comme un prisme, à travers différents modes d’expression, le texte, le dessin, la photographie, la musique. Nous avons mis en avant nos productions d’artistes, mais aussi celles de citoyens, citoyennes, désireux d’apporter leur appui à notre initiative bénévole. »

Salvatore Sclafani

L’art, carrefour de nos trajectoires

Salvatore vient de Palerme en Sicile, son amie Elisa De Angelis, dramaturge francophone, dont je vous invite à entendre le témoignage, vient de Rome. C’est elle qui l’a entrainé dans l’aventure. A travers ce projet à créer de toute pièce, Salvatore a rencontré deux jeunes artistes françaises, en formation à Bruxelles, Romane Iskaria et Anna Bourcier, mais aussi une vidéaste, Izzy Wiesner, elle aussi en cursus d’études supérieures.

Des propositions venues d’ailleurs

Pendant le processus de création de l’exposition, le groupe a choisi de faire un appel à œuvre pour permettre à d’autres artistes ou citoyens de proposer une contribution. Le texte qui m’a permis de rejoindre la communauté Mondoblog « L’étrangère » (dis-moi qui tu hais) s’est ainsi retrouvé exposé dans cette scénographie déjà riche, aux côtés d’une quinzaine d’autres propositions retenues.

Parmi les artistes africains sélectionnés, je pense à mon ami Joel Gandi, à Niamey, slameur qui raconte dans un beau texte autobiographique son parcours d’exil en empruntant à Falwinn Sarr ce joli titre « Habiter la Terre ». Je pense à Christophe Sawadogo, dont je souhaite pouvoir visiter un jour l’atelier au Burkina Faso. Cet artiste a choisi pour l’exposition un dessin inspiré par la situation des personnes qui fuient le conflit au Nord du Burkina et ailleurs. Je suis vraiment touchée par la délicatesse, le mouvement, l’humanité, que dégagent les créations de Christophe Sawadogo.

Dessin de Christophe Sawadogo exposé à Bruxelles grâce à Traces migratoires « Les déplacés internes » Crédit image : Christophe Sawadogo

Tous les chemins mènent à Rome Bruxelles

Celles et ceux qui s’invitent au Tri postal découvrent la sélection de l’appel à œuvre lancé par le collectif bénévole. Une autre façon de voyager, de donner ou prendre la parole, de sensibiliser à la question migratoire à partir de différents vécus et points de vue.

ARTS VISUELS:

  • Nicolas Le Tutour – croquis portraits « Qalbi Jab »
  • Christophe Sawadogo – Peinture – « Les déplacés internes»
  • Ernest Ake – Collage – «Retour au pays»
  • Gbane Bacary – Dessin-  «Le mirage»
  • Amadou opa –  Peinture “ Colonnes des déplacés”
  • Florent Houessou – Peinture “- “ Cri de migration clandestine” 
  • Eyram Kinglo – Peinture – « Vivre ensemble « 
  • Katie Bardouil – Graphisme “Empruntes “
  • Mo Dabani – Photographie «stop»
  • Guido Jassens – Triptyque –
  • Badre Namir – Dessin «Vers un autre horizon» 
  • Nuria Alvarez Batalla – Dessin « L’humanité face au sang de l’exil”
  • Aissaoui Abdeslam – Dessin – « Personne n’est illégal »
  • Hicham Atif – Peinture – « Le silence cri « 

VIDEO:

  • Caroline Goblet – Vidéo « Ces petits riens » 
  • Yolande Jouanno – Vidéo « femme racine » 
  • Marie Wardy – Vidéo- “A bientôt Alep”


TEXTE/POÈME :

  • Joel Senam – Texte  “habiter la terre “
  • Françoise Ramel – Poème “l’étrangère «  

Réveiller l’intime étranger en chacun de nous

A défaut d’avoir pu me rendre à Shaerbeeck où « Traces migratoires » a déjà été installée en octobre, j’ai eu envie de solliciter Elisa et Salvatore pour mieux comprendre ce qui les avait amenés dans leur parcours de vie à se positionner de cette façon sur un projet aussi original, par sa démarche participative, par l’ambition citoyenne qui s’y exprime à travers la notion de diversité culturelle, de création artistique et de sensibilisation des publics.

« La prolifération de regards est une preuve que la question migratoire abordée d’une certaine manière est un élément qui stimule, qui apporte de la richesse, nous réveille à notre propre potentiel par la créativité qu’elle suscite. »

Salvatore SclaFani

Voici donc le témoignage de Salvatore Sclafani, qui sera en concert au Tri postal le 11 novembre et, dans les Bonus, celui d’Elisa De Angelis grâce à l’émission Femmes de caractères. Le vernissage de « Traces migratoires » a eu lieu jeudi 4 novembre. Autant dire que j’aurais vraiment voulu être à Bruxelles pour voir de mes propres yeux le fruit de tout ce travail bénévole et partager de nouvelles rencontres inspirantes.

Le visuel de l’expo signé Anna Bourcier

L’interview de Salvatore Sclafani

Plan B : Pourquoi avoir choisi de participer activement à la création de l’exposition « Traces migratoires » ?

En général je suis très sensible à la question migratoire. Je suis un migrant moi-même. Je suis italien et j’habite à Bruxelles depuis huit ans. Je me suis senti toujours bien accueilli, à vrai dire, mais quand même en tant que migrant, j’ai ressenti dans ma vie quotidienne toujours une différence entre l’endroit d’où je viens et l’endroit où je vis. Je voulais mettre mon art au service d’une cause sociale. Je suis musicien classique, j’ai matière à m’exprimer sur le thème de la migration grâce au répertoire. Quand on pense musique classique, cela donne l’impression de se situer en dehors de tout ça. Au contraire, l’histoire de la musique classique est aussi une histoire de migration, souvent. Les compositeurs et compositrices se sont inspirés des traditions populaires, influencés par leurs voyages et séjours dans différents pays.

Quelle a été votre démarche artistique pour contribuer au montage de ce projet d’exposition ?

Je suis pianiste, j’ai présenté un concert avec une sélection d’oeuvres. J’ai choisi, soit pour leur biographie, soit pour le pays où ils ont travaillé, des compositeurs classiques qui ont été influencés par la migration. Et comment les migrations influencent-elles la musique ? Surtout par des éléments de musique populaire qui eux-mêmes découlent de croisements de populations. J’ai aussi enregistré des extraits des morceaux joués en live dans l’expo. J’accompagne ces sons de fiches explicatives avec chacune leur QRcode, pour que les visiteurs soient en mesure d’enrichir leur visite comme ils et elles le souhaitent.

Que retenez-vous de l’expérience au sein du groupe moteur qui a porté ce projet d’exposition ?

Je retiens une vraie satisfaction en tant que professionnel du monde de la musique classique d’avoir pu me mettre au service de l’autre, d’une cause sociale, raison pour laquelle j’étais bénévole sur ce projet. Je mesure le côté gratifiant d’avoir pu apporter une touche musicale à notre proposition collective. Je me suis nourri de nos discussions et autres éléments liés au travail d’équipe, au pari de faire connaissance à travers le montage de ce projet en moins de neuf mois. Je me rends compte combien c’est délicat d’organiser une exposition, de prendre des contacts, de trouver des lieux pour accueillir cette création.

Quelle suite aimeriez-vous donner à ce projet ?

J’aimerais beaucoup que l’expo continue à circuler dans d’autres endroits, d’autres contextes, à Bruxelles et ailleurs. Le concert que j’ai proposé peut vivre sans l’exposition. J’envisage de retravailler cette proposition de façon autonome, mais j’aime autant avoir l’opportunité de rejouer avec cette configuration collective, pluridisciplinaire. Dans sa forme même, notre démarche volontaire exige de s’adapter à chaque nouvel espace, de tirer partie du meilleur de chaque lieu et de chaque énergie associée à « Traces migratoires ». J’espère évidemment développer d’autres projets sur ce sujet qui me tient à coeur, soit personnels soit en collaboration avec d’autres membres du collectif.

Vernissage de l’expo Traces migratoires : l’aventure collective prend une autre forme, celle de la rencontre avec le public -Crédit photo : Héloïse Parodi

Comment le public a-t-il accueilli tout ce travail lors du vernissage puis lors de votre concert ?

Je dois dire que le public semblait très touché. Lors de la soirée-concert, le format présenté a beaucoup plu grâce à l’alternance entre parole et musique, entre explication et interprétation de chaque morceau. C’est quelque chose qui rapproche le musicien du public. En même temps, ça allait de soi dans notre démarche de sensibilisation de savoir pourquoi j’avais choisi de jouer tel ou tel extrait d’œuvre, de situer en quelques mots l’intérêt par rapport au thème  » Traces migratoires » et à la vie de son auteur. L’auditoire a aussi été sensible à la diversité des univers musicaux que nous avons traversés ensemble. J’ai présenté un répertoire assez large, à travers différentes époques. Ca allait de la musique baroque au jazz. Ce choix a eu une certaine prise sur le public.

En quoi la scénographie et les oeuvres présentées sont-elles intéressantes pour un usage pédagogique ?

Comme il s’agit d’une exposition pluridisciplinaire, cela donne beaucoup de stimuli, notamment pour un usage pédagogique. La scénographie permet de voir la migration comme un prisme, à travers différents modes d’expression, le texte, le dessin, la photographie, la musique. Nous avons mis en avant nos productions d’artistes, mais aussi celles de citoyens et citoyennes, désireux d’apporter leur appui à notre initiative bénévole. Toute cette richesse artistique montre comment le thème de la migration apporte plus de bienfaits qu’autre chose. Cette prolifération de regards est une preuve que la question migratoire abordée d’une certaine manière est un élément qui stimule, qui apporte de la richesse, nous réveille à notre propre potentiel par la créativité qu’elle suscite. On est très loin des discours stigmatisants sur les « migrants ».

Une exposition faite pour voyager

Je vous invite à retrouver toute l’actu de cette exposition « Traces migratoires » sur les réseaux, à vous en inspirer pour monter à moindre frais des projets citoyens près de chez vous, à vous intéresser aux espaces où de telles initiatives peuvent naître d’une simple volonté d’agir et de créer ensemble.

Le dessin ci-dessous, signé Niko, dessinateur à Pontivy, est aussi exposé à Bruxelles. Il faudra que je vous raconte un jour sur Plan B cette belle histoire entre un auteur de BD breton et Liban Doualé, chamelier somalien, fils de Sage Soufi jeté sur les chemins par la violence terroriste, pour arriver jusqu’à nous, encore debout !

Si nous parvenons à faire venir un jour l’exposition « Traces migratoires » en Bretagne, ce sera une belle occasion de mettre en valeur ces gestes simples qui construisent de la confiance face à l’ignorance et à l’indifférence. Et – pourquoi s’empêcher de rêver – d’inviter Patrick Chamoiseau, dont le livre « Frères migrants » est à mettre entre toutes les mains.

Dessin extrait d’une série de l’auteur de BD, Niko, réalisé lors d’une résidence de création dans un lycée à Pontivy avec pour support le récit de vie et d’exil de Liban Doualé, jeune réfugié somalien, devenu Liban DU (noir en breton) – A voir au Tri postal à Bruxelles jusqu’au 14 novembre – Crédit image : Niko

B comme Bonus

La vidéaste Izzy Wiesner a aussi interviewé Salvatore

Article sur l’expo publié en Bretagne

« Traces Migratoires » : genèse d’une exposition qui met l’art au service de l’humain

Abadenn A-du pe pas : Elisa De Angelis, l’italienne qui rêve en français (radiobreizh.bzh)

Note finale au clavier avec Salvatore

Le blog de Liban Du, ancien chamelier somalien devenu breton

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