Voix du Sahara, flashback sur une programmation engagée

Article : Voix du Sahara, flashback sur une programmation engagée
Crédit: Françoise Ramel

Voix du Sahara, flashback sur une programmation engagée

Du 18 novembre au 4 décembre a eu lieu l’édition 2022 du Festival des Solidarités auquel je participe grâce à Mondoblog-RFI depuis 2014. En tant que citoyenne ou élue, rien ne me permettait en Centre-Bretagne de m’associer à une initiative existante. Toutes les animations proposées se déroulaient à Rennes, Nantes ou sur des villes du littoral breton. Ce serait un peu moins vrai aujourd’hui me dit-on dans l’oreillette, mais mobiliser reste difficile. Alors quoi faire et comment ? Je ne réponds pas vraiment à cette question dans ce billet qui montre au contraire l’échec relatif d’une idée qui n’a pas rencontré son public. Pourtant si c’était à refaire, je le referais.

Nous avons rarement dépassé les 50 entrées pour nos soirées « Voix du Sahara, un film, un débat », dans lesquelles j’invite à chaque fois un ou plusieurs témoins bénévoles. Je me réjouis de chaque rencontre qui a pu avoir lieu avec la complicité précieuse de Benoît Roué, propriétaire du Cinéma Rex à Pontivy, comme de l’impact médiatique, même très local, que chaque proposition permet de générer. Ce temps d’écriture que je n’ai jamais pris pour partager l’expérience de Voix du Sahara est l’occasion d’archiver sur Plan B l’intérêt d’une aventure 100% bénévole, coopérative et solidaire.

Pour situer cet engagement militant et la raison d’être de ce concept exporté en avril 2018 à Niamey grâce à la possibilité de proposer une programmation dans une salle Canal Olympia mise à ma disposition dans le cadre de l’organisation du forum Mond’Afrique, autre concept né à Pontivy dans mon salon, je vous propose de découvrir en 2’38 la façon dont un professionnel basé à Paris parle du cinéma à impact social. Il s’appelle Gilles Dufraisse. Nous ne nous serions jamais rencontrés sans Voix du Sahara.

Pour lui, « Être un producteur à impact social, c’est ajouter un objectif à ceux qu’on a traditionnellement dans la production d’un film. » Il explique, « Habituellement on est contents si un film fait de l’audience, remporte des prix en festival, a des bonnes critiques, génère des revenus. Là, on ajoute un objectif politique et citoyen. Nous on est contents si le film a réussi à faire changer des choses, à changer les conceptions des citoyens, à faire bouger les lignes en politique.« 

Gilles Dufraisse, producteur engagé, Infocus Production

Pourquoi Voix du Sahara ?

Ce qu’il faut savoir, outre le fait que je trouve essentiel d’accompagner en zone rurale le rôle majeur des images et la création cinématographique, c’est que je n’envisageais pas une seconde de partir au désert quand je me suis lancée dans ce projet.

Voix du Sahara était une simple invitation à voyager sans quitter Pontivy, à mieux s’informer, à s’ouvrir à d’autres cultures sans autre ambition militante que le droit de croire encore à la portée des valeurs humanistes au XXIè siècle.

L’objectif, sur fond de terrorisme et d’amalgame en tout genre, était de réfléchir par nous-mêmes et d’échanger librement sur notre propre quotidien à partir de celui de nomades confrontés à une autre réalité. Faire simple, et surtout léger, comme l’auraient fait nos amis et amies du désert, parce que la beauté d’une idée est liée au voyage, aux rencontres, pas au poids du bagage.

L’idée de départ était une programmation unique en Bretagne, échelonnée sur l’année à raison de six projections par an, en accord avec le cinéma partenaire de l’association culturelle Timilin, moudre nos idées ensemble. Timilin porte cette animation dans le cadre du Festisol et du Mois de l’Economie Sociale et Solidaire, avec une interruption liée à la pandémie en novembre 2020. J’associe d’autres associations selon l’édition, le contexte et le thème du film retenu.

La Ville de Pontivy a refusé en 2014 de participer avec la modique aide de 600 euros que je sollicitais pour rembourser des frais de déplacement aux réalisatrices/réalisateurs ou aux témoins eux aussi bénéloves. Oui, vous avez bien lu ! Bénélove. Car il en faut de l’amour pour venir par exemple un soir de novembre à Pontivy quand on habite à plus de deux heures de route et qu’on a commencé son travail à 5h du mat.

Ce témoin était malien, bambara, je ne le connaissais pas. Il avait été guide dans le Nord du Mali. Je ne l’ai jamais revu. Son geste généreux reste un moment fort de l’histoire de Voix du Sahara. C’est une association du département voisin du mien, la Loire-Atlantique, Farafina Ton, qui nous avait mis en relation.

La beauté d’une idée est liée au voyage, aux rencontres, pas au poids du bagage.

Fanchon

Du désir à l’acte citoyen, des rencontres marquantes

Pourquoi Voix du Sahara ? Parce que j’ai eu beaucoup de chance, parce que j’ai osé faire des choix à l’opposé de ce qu’était mon quotidien. Petit passage introspectif pour Plan B, et surtout pour mieux comprendre.

Il y a d’abord la rencontre l’été 2013 pendant mon mandat d’élue Culture au Pays de Pontivy, avec les jeunes musiciens du groupe Tadalat venus de Kidal. Je les côtoie pendant trois mois et je décide de les rejoindre dans les Alpes à l’occasion d’un tout nouveau festival avec mon fils Maëlan, âgé de 14 ans. Il y avait vraiment longtemps que je n’avais pas programmé un tel périple ! Alors vous imaginez, loin de moi l’idée de projeter un voyage à l’étranger. Le cinéma, c’est parfait, les fauteuils sont confortables ! En plus je suis une vraie fan du son. J’ai d’ailleurs rêvé d’organiser à Pontivy un festival de musiques de film.

Dans les Alpes, je rencontre Manny Ansar, créateur du Festival au désert à Tombouctou, à qui nous devons d’avoir pu recevoir Tadalat à Pontivy. Nous n’avons pas échangé plus que quelques banalités d’usage. Mais un bref échange à l’occasion d’un débat a scellé nos regards sans qu’il soit besoin d’en dire plus. C’est ce que j’apprécie particulièrement, cela intervient rarement.

Je suis aux Houches, dans un paysage splendide de hauts sommets, ambiance vacances avec mon fiston qui retrouve Attaher Cissé, un forgeron que j’accueillerai par la suite plusieurs années dans notre maison à Pontivy. Le festival « La croisée des chemins » a programmé un film d’une photographe allemande Désirée von Trotha, dont je n’ai alors jamais entendu parler. Je mesure mon inculture. Ce film s’appelle « Woodstock in Timbuktu », c’est possiblement là, pendant la projection, que prend forme dans ma tête le désir qui deviendra « Voix du Sahara ».

Quand la salle obscure se rallume, deux jeunes Kel Tamasheq s’expriment dans un français frôlant la perfection et répondent posément aux questions très nombreuses des spectateurs. Illili Ag Elmehdi a fait le choix de rester vivre au Mali, l’ami qui l’accompagne a opté pour l’exil et s’est installé à Paris. Il fait carrière dans une grande société française.

Grâce à ce souvenir chargé d’émotion, je découvre pour écrire ce billet un reportage télévisé de janvier 2014. Il neige à Berlin. Le Sahara s’invite dans les imaginaires sur fond de guerre au Mali. Désirée von Trotha, décédée l’an dernier, y témoigne en allemand, Manny Ansar en français. Je crois reconnaître sur les dernières images un visage familier, celui d’un très jeune musicien de Tadalat.

Je repense à Mohamed, épicier de son état, à peine 18 ans. Son sourire franc, son tempérament doux et réservé, ne laissent pas deviner les violences dont Kidal ou Tombouctou sont le théâtre. Mohamed ne parle que quelques mots de français, je ne saurai jamais rien de ce jeune homme, sinon la chance improbable qu’il a eu de pouvoir se produire en Europe, aux frontières de plus en plus hermétiques.

Janvier 2014, dans un cinéma à Berlin, la réaction de spectateurs atteste le manque de connaissance sur le Mali et l’envie de mieux s’informer que le documentaire de Désirée von Trotha suscite, aussi bien sur le plan culturel que politique, selon les centres d’intérêt.

Ce qui est important pour moi, c’est de faire entendre non pas la voix d’une étrangère au Sahara, mais celle des acteurs et actrices de la société civile. Respect, tolérance, la culture des Kel tamasheq se caractérise par des valeurs humanistes.

Désirée von Trotha, Berlin, janvier 2014, Festval au désert en exil

Grâce à Youtube, il est possible de retrouver quelques rares vidéos de la tournée de Tadalat en Bretagne, dont cette répétition dans une longère mise à disposition gratuitement près de Guern par un habitant pour trois mois. Celle-ci montre les artistes en répétition avant de se rendre à Florence dans un cadre superbe, celle-là, donne une excellente idée de l’ambiance dans un village en rase campagne, quand des nomades débarquent.

Inutile de rappeler que la musique a été interdite au Nord du Mali pendant suffisamment d’années depuis la dernière édition du Festival au désert en 2012 pour ne pas mesurer l’importance et la valeur de cette énergie qui s’est invitée chez moi. Comment aurais-je pu juste fermer la parenthèse d’un été fabuleux ? Et ne pas trouver le chemin d’apporter un geste utile, même insignifiant au regard des enjeux ?

J’aurais voulu partager ici un reportage de France 3 réalisé au festival Mondialfolk de Plozévet pendant cette tournée, mais il n’est pas archivé sur le site de l’INA et le lien dans les bonus de Plan B conduit désormais au site web de France Télévision et Culturebox ! Mondial Folk : Tadalat défend la cause Touareg devant le public breton.

Quand l’imprévu s’invite au programme

Dès 2014, je programme dans ma petite ville de 15 000 habitants, « Woodstock in Timbuktu », en présence d’un musicien de Kidal, Zeidi Ag Baba, accueilli avec l’espoir de le voir intégrer le conservatoire grâce à France Volontaires via le programme Réciprocité. J’ai monté ce dossier en tant qu’élue pendant plusieurs mois après le départ de Tadalat, avec l’appui d’un bassiste breton, Etienne Callac, et deux structures culturelles au Mali, Acte 7 et le Festival au désert.

Cet espoir sera déçu, toujours à cause de l’absence de vision d’élus locaux qui viennent d’arriver après les élections municipales. Le nouveau président de la commission intercommunale en charge de valider le recrutement de ce jeune volontaire malien en service civique sans avoir à engager de financement au niveau local est pourtant musicien. Il me faudra du temps pour digérer ce gâchis et ce déni de démocratie.

Je programme dans la foulée « Timbuktu » dont les espoirs ont été déçus à Cannes. Cette proposition plus grand public n’a pas plus de succès au Cinema Rex que Woodstock in Timbuktu. Je ne comprends pas ce manque d’intérêt ni pour le sujet, ni pour un si grand film dont tous les médias parlent à l’occasion de sa sortie nationale.

Le soir de la cérémonie des Césars quelques mois plus tard, je suis devant mon poste de télévision. Ce n’est pas pour voir où en est le cinéma français, mais bien pour savoir si un film africain boudé à Cannes va enfin être mis en lumière. Pino, l’acteur principal de Timbuktu, musicien kel tamasheq qui a grandi avec Zeidi Ag Baba, est en smocking au milieu du gratin parisien endimanché réuni pour la remise de ces prix aussi prestigieux que les Oscars. Je veux partager ce moment d’émotion intense, y puiser de la motivation, de l’ambition.

Moment inoubliable dans la longue liste des éditions des Cesars. Outre le Cesar du meilleur film, Timbuktu remporte six autres statuettes et toute l’équipe présente est invitée sur scène. Fatimata Diawara fait une prestation incroyable pendant la cérémonie.

En 2015, 2016 et 2017, je choisis de ne pas m’obstiner, vu l’absence totale d’intérêt suscité par Voix du Sahara. J’oeuvre autrement jusqu’au jour où ma meilleure amie m’appelle un soir pour me féliciter. Mais de quoi ?

Je n’étais pas au courant que j’avais retrouvé mon siège d’élue à la municipalité, dans l’opposition cette fois. Un comble tout de même. Mais puisque le journal semblait affirmer la chose, c’est que cela devait être vrai.

Mes valises étaient bouclées pour un nouveau séjour au Sahara. Je me souviens avoir dit dans un sourire toute à ma joie du départ que mon retour en politique pouvait bien attendre que je sois rentrée de cette escapade hivernale. Je venais d’être retenue lors d’une sélection par Music in Africa. Je crois que j’avais de vraies envies de journalisme suite à l’expérience réussie du tournage de mon tout premier (et unique) documentaire, cette année-là au printemps, « M’hamid el Ghizlane », produit par Télé Maroc et réalisé par Laila Lahlou.

Ce n’est donc pas surprenant si Voix du Sahara revient dans le paysage culturel breton en novembre 2018, toujours dans le cadre du Festival des solidarités. Pour faire simple, je choisis d’emmener le public au Maroc avec le documentaire « Une oasis d’espoir », de Nicolas Van Ingen, produit par Infocus Production.

En juin 2018, j’étais allée à Deauville pour représenter Tahar El Ammari au Green Awards Festival et assister à la remise du prix du Meilleur documentaire à Gilles Dufraisse et Cyril Tassart.

Survivre au désert ou…

En 2019, profitant de la présence à Pontivy d’un jeune demandeur d’asile somalien d’accord pour témoigner de sa traversée du Sahara pendant neuf jours, je programme « Mirages », un premier film tourné au Niger dans les années 2000 signé Olivier Dury. J’avais eu la chance de voir ce film dans un festival breton, « Les passeurs de lumière » et d’échanger avec ce réalisateur.

Je vous recommande la lecture de cet article publié par le rédacteur en chef d’un hebdomadaire local. Pontivy : soirée ciné-débat sur les migrants africains | Pontivy Journal (actu.fr)

Ce jeune chamelier survivant de l’enfer arrivé en fin de course d’exil par le pur produit d’une multitude de hasards dans ma rue sera à l’image grâce à TV5 Monde et à une maison de production parisienne, en février 2023.

…Marcher sur l’eau

L’an dernier, c’est à nouveau un film grand public en sortie nationale qui nous laissait espérer une meilleure fréquentation, un film sauvé des cartons où il dormait par une réalisatrice, « Marcher sur l’eau », d’Aïssa Maïga. Peine perdue, nous n’étions encore qu’une vingtaine de spectateurs dans la salle.

Mais quel film ! Et quelle joie d’avoir dans l’audience des représentants de la diaspora touarègue bretonne.

Parmi les films que j’aurais aimé programmer au Cinéma Rex de Pontivy sans que cela puisse se faire, il y a « Les pieds dans le sable » de Jade Mietton, jeune réalisatrice lyonnaise, « Caravan to the future » de la journaliste franco-japonaise Alissa Descotes-Toyosaki, invitée dernièrement dans mon émission Femmes de caractères. Le documentaire « M’hamid el Ghizlane » bien sûr que j’ai voulu réaliser en darija, mais dont il était prévu que la production prévoit sa version sous-titrée pour que je puisse au moins le diffuser en festival.

Il y aurait aussi « They will have to kill us first » de l’américaine Johanna Schwartz.

Si ce sujet vous intéresse, vous pourriez apprécier cet article écrit pour Music in Africa.

Fadimata Walett Oumar : « Si on ne joue pas notre musique, c’est la fin pour nous » | Music In Africa

Si vous connaissez des films tournés au Sahara qui vous ont marqués, ou si vous avez eu la chance de voir un des films dont je parle ici, merci de partager votre expérience dans les commentaires. Voix du Sahara, c’est aussi l’idée de ne pas se limiter à un seul lieu, un seul rendez-vous. Il y a tant de façon de s’intéresser à la façon de mieux sensibiliser au devenir des cultures nomades et de mutualiser nos énergies.

Le résultat est toujours époustouflant. Régalez-vous avec ces images de la caravane de sel au Niger, que nous devons à la passion d’Alissa Descotes-Toyosaki pour le Sahara.

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