Mané Touré, ambassadrice de The Festival Academy en Bretagne

Article : Mané Touré, ambassadrice de The Festival Academy en Bretagne
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10 juillet 2023

Mané Touré, ambassadrice de The Festival Academy en Bretagne

Le festival Paysages, rencontres poétiques de Motten Morvan, a tenu sa 3è édition du 30 juin au 2 juillet à Mûr-de-Bretagne, dans les Côtes d’Armor. A cette occasion, l’association Timilin a accueilli pendant trois semaines une productrice culturelle de Dakar, Ndèye Mané Touré, désireuse de s’inspirer de ce rendez-vous régional en zone rurale.

L’événement s’inscrit de façon innovante au carrefour de plusieurs préoccupations : la promotion des sciences humaines, notamment l’archéologie et l’Histoire, l’écologie, la coopération et notre capacité d’agir en tant que citoyens.

La recette en est simple. Faire se rencontrer chercheurs, poètes, habitants, dans le cadre familier d’un environnement quotidien : un clocher, un bar-PMU, un marché, une place ou encore un cinéma rural où la troupe de théâtre locale donne ses représentations. Passer du temps ensemble, passer du bon temps ensemble.

Près du lac de Guerlédan, un hameau porte le nom de mon invitée de marque, à sa grande surprise – Crédit Françoise Ramel

Festival « Paysages », le choix de la Culture du local à l’international

Après avoir fêté les 20 ans de l’association Timilin en 2022 dans un bourg du Morbihan de 600 âmes, j’ai passé neuf mois à concocter une nouvelle programmation dans un autre village breton à proximité de Motten Morvan avec le désir de renforcer notre rayonnement à l’international.

Pari réussi grâce à l’intérêt exprimé par Ndèye Mané Touré, productrice sénégalaise originaire de Kaolack, pour s’associer à cette expérience originale ancrée au local, à l’Histoire de Bretagne. La mise en relation s’est faite trois mois avant le festival grâce à un dispositif de mobilité réservé aux professionnels de la Culture, The festival Academy, structure associative basée à Bruxelles.

The festival academy, Mané Touré
Le festival « Paysages » porté par TIMILIN est le seul à représenter la France dans le catalogue d’offres à la mobilité de The festival academy. Une nouvelle offre de placement sera publiée en septembre par notre partenaire européen.
Crédit : The festival academy

Pour être honnête, quand j’ai vu le CV de Ndèye Mané Touré débarquer dans ma messagerie, j’ai pensé que nous n’avions rien à lui apporter.

Accueillir engage une responsabilité

Malgré l’opportunité, ne pas donner suite semblait une évidence. Pour des raisons financières, d’abord, les dépenses du festival doivent être ultra limitées, mais aussi parce que l’amateurisme lié à ma posture bénévole me semblait, dans ce cas précis, peu compatible avec le vécu d’une productrice professionnelle. Pourtant, après avoir reçu à ma grande surprise deux autres candidatures, une du Maroc, l’autre de Turquie, j’ai revu ma position.

Ndèye Mané Touré lors de l’installation de l’expo « Tessons » au programme du festival Paysages 2023 – Crédit Françoise Ramel

Avant de prendre une décision, il me fallait comprendre ce qui pouvait inciter trois volontaires à vouloir vivre l’expérience d’une proposition qui semble tellement décalée par rapport aux autres grands festivals parmi lesquels « Paysages » fait figure d’OVNI. Vous imaginez, un festival autour du partage du savoir dans un bourg rural quasi désert, sans aucune aide publique pour financer ce projet, pas même de la part des communes qui bénéficient directement de notre apport et de nos réseaux.

C’est le prix à payer pour ne pas remettre à demain ce qui peut être fait aujourd’hui. Entre l’ornière et le sillon, la différence repose sur deux formes d’élasticité singulières. Celle qui conduit à nous enliser et à finir par adopter des postures fatalistes, entraînant leur lot d’inertie, de discours et de clichés parfois malsains. Fréquences basses, dirait Mané.

Celle qui consiste à se retrousser les manches, à passer à l’acte, à se mettre au travail, peu importe si cela peut sembler être une goutte d’eau dans un océan d’indifférence. Peu importe si la prise de risque, toute relative, n’offre aucune garantie de résultat.

Accueillir Mané ou tout autre personne qui serait venue de si loin, à ses frais, pour m’aider, engageait ma responsabilité. J’ai préféré relever le challenge plutôt que passer à côté d’une telle chance offerte sur un plateau au festival « Paysages ».

A Rennes, une cuisinière sénégalaise apostrophe Mané, je saisis sur le vif cette rencontre furtive. Crédit Françoise Ramel

Le Tro Breizh de Mané (tour de Bretagne)

Ndèye Mané Touré est productrice. Elle a fait le choix du Sénégal quand elle aurait pu faire des études supérieures en France après son bac. Elle a fait le choix de la Culture quand elle aurait pu faire carrière dans une grande entreprise avec son diplôme d’école de commerce. Elle a fait le choix de l’autonomie, de l’audace, de l’initiative, quand son expérience, ses compétences et son réseau auraient pu lui ouvrir la porte d’institutions.

Quelques heures après son arrivée à Saint-Brieuc le 19 juin, Mané était en direct sur les ondes de Radio Bro Gwened. J’ai aimé que nous fassions connaissance dans ce studio, sans fard, sans aucune possibilité de rattrapage s’il s’avérait que nous n’étions pas en capacité d’expliquer ce que nous envisagions de partager durant trois semaines sans programme prédéfini en dehors des trois jours du festival.

Le 20 juin, avec Ndèye Mané Touré dans les studios d’une radio associative bilingue, Pontivy Crédit : Radio Bro Gwened

Extraits de l’interview en direct conduite par mon amie Claire Goualle.

Je cherchais un territoire d’exploration. Quand j’ai vu dans la liste d’offres de placement de The Festival Academy un festival en zone rurale, j’ai su que c’est ce que je voulais expérimenter.

Mané Touré, Makeda production, Dakar

J’avais franchement la trouille. Je suis contente que Mané ait cette confiance, qu’elle m’ait donné cette confiance. Nous gardons le lien avec deux autres candidats, Youssef au Maroc, et Rami, réfugié syrien en Turquie.

Françoise Ramel, présidente de TIMILIN, moudre nos idées ensemble

Cette sénégalaise habituée à travailler avec une multitude d’interlocuteurs, dont des européens, méconnaissait complètement ce qui fait notre culture, à commencer par l’existence d’une langue : le breton. Il faut dire que des français l’ignorent également, aussi fou que cela puisse paraître.

J’ai parcouru un grand nombre de kilomètres pour que Mané profite un maximum de son séjour. Cela m’a permis de mieux identifier en quoi mon réseau peut lui être utile. Cerise sur le kouign amann (gâteau breton célèbre jusqu’au Japon !), nous avons pu passer deux journées en compagnie de chercheurs du monde entier à l’occasion d’un colloque international de sociologues dont les travaux de recherche portent sur les espaces ruraux.

Autant dire que les planètes étaient vraiment alignées ! Ce congrès n’a été organisé en France qu’une seule fois depuis sa création. Au passage, faut-il vraiment s’en étonner ?

Plus de 400 inscrits, c’est dire la pertinence et l’actualité du propos. Je vous invite à lire dans les bonus la façon dont les problématiques des zones rurales étaient présentées en amont de ce 29ème congrès international. Passionnant et si peu médiatisé !

Avant de participer au colloque, j’ai conduit Mané à quelques kilomètres de la métropole, à Châteaubourg, pour lui montrer le Jardin des Arts, initiative privée soutenue par la commune, bel exemple de partenariat public-privé qui m’inspire Crédit Françoise Ramel

B comme best of

Il me faudrait plus que ce billet pour dire toute la richesse de ces trois semaines partagées avec Ndèye Mané Touré. J’aimerais pouvoir archiver sur Plan B ne serait-ce que 10% de ce que nous avons eu la joie et le plaisir de vivre ensemble. Ce serait déjà bien.

Ma collaboration avec Music in Africa, autre lien plus ancien avec Dakar, m’a permis de mettre en avant les rencontres faites avec des musiciens durant ces trois semaines.

Mané Touré a pu rencontrer en Centre-Bretagne le poète Alexis Gloaguen, avec qui je commencerai prochainement à réfléchir à la programmation de l’édition 2024 du festival « Paysages » Crédit Françoise Ramel

Pour Plan B et Mondoblog, voici dans le désordre du tiercé gagnant, « Mané, la Bretagne et nous », ce qui remonte spontanément à la surface, parce qu’il faut bien faire un choix :

  • la soirée improvisée à Redon avec Jacky Meslin, archéologue reconverti dans le numérique pour œuvrer à la médiation du patrimoine avec son entreprise Neotopia (paysage : port de Redon, terrasse d’un cinéma associatif)
  • la rencontre avec Coralie Le Bouvier, coordinatrice de l’association Le Temps des sciences, dont j’ai découvert qu’elle avait des liens forts avec l’Afrique de l’Ouest (paysage : local associatif, centre ville de St-Brieuc)
  • l’échange avec Ruben Savels, doctorant en agro-écologie à l’Université de Gand, amateur de chants de marin bretons (paysage : plage en fond de Baie de St-Brieuc, grosses machines ramassant des algues vertes avec des recycleurs d’air pour protéger les conducteurs des effets toxiques liés à la décomposition de ces végétaux marins nourris au lisier de cochon)
  • le concert en breton dans l’église de Saint-Aignan (paysage : cadre architectural splendide imprégné de notre héritage médiéval, chant des habitants et du poète haïtien Watson Charles reprenant à pleine voix le Bro Gozh, hymne national, sous le regard de Saint-Cornely)
  • les moments de repas pendant le festival avec aux manettes un cuistot bénévole de Mûr-de-Bretagne rencontré quelques jours plus tôt, Florian Dehoux. Cet incroyable bonhomme a eu l’idée géniale de la savoureuse galette saucisse au mafé, dont nous allons déposer les droits, la Dakar-Breizh. Merci Mané et Florian pour ce régal ! (paysage : la charpente des halles de Mûr-de-Bretagne, patrimoine réhabilité récemment, les discussions entre invités du festival, les inconnus qui viennent se joindre à nous car ils et elles ne trouvent rien d’ouvert dans le bourg, pourtant touristique !)
  • l’installation des photos de l’exposition de mon ami Roland Le Gallic « Tessons » pour accompagner des travaux d’élèves de CM1-CM2 d’une école rurale réalisés suite à une visite pédagogique à Motten Morvan concoctée par 4 étudiants de Master 2 de l’Université de Rennes (paysage : petite maison appartenant à la commune, volets habituellement fermés, l’étage n’a pas encore été réhabilité et pourrait s’avérer être un lieu très intéressant pour une association œuvrant pour l’éducation, le patrimoine, l’environnement et la coopération internationale)
  • les conférences au cinéma Jeanne d’Arc, où Mané gère la technique comme si rien n’était plus normal. Mané y a découvert le court-métrage « La ferme de Sophie » de Nathalie Lay, que vous pouvez voir en ligne dans son intégralité dans les Bonus en fin d’article (paysage : la grande salle obscure sent le renfermé au premier contact, mais nous y sommes assis de façon confortable et surtout c’est le lieu idéal pour enregistrer sous forme d’archives sonores de qualité les savoirs qui y sont partagés).
  • la découverte de l’Anse de Sordan près du gîte rural où nous séjournons la plupart du temps, il est plus de 23h, il fait encore jour. Mané ne connait pas ces ambiances d’équinoxe, ni ces lumières qui jouent de reflets à la surface du lac de Guerlédan (paysage : un restaurant fermé, des jeunes se baignent, heureux, insouciants, en tout cas, c’est ce que je veux croire, il fait doux, la forêt étend son ombre sur les rives, la chanson d’un rêve de matin du monde s’invente dans le silence)
  • la découverte d’un point commun improbable, à quelques jours du départ de Mané, je lui ai mis dans les mains un Hors Série du Figaro sur la Bretagne réalisé par une de mes invitées Femmes de caractères. Mané feuillette la revue sur la plage du Moulin à Etables-sur-Mer. Elle est concentrée sur un article dédié aux mégalithes, « La terre des géants ». A Kaolack, sa ville d’origine, d’autres géants de pierre du néolithique sont les témoins muets d’une civilisation autre que la nôtre, connectée aux étoiles et aux forces telluriques de la Terre Mère. J’ignore tout de ce patrimoine inscrit à l’UNESCO (paysage : l’ambiance estivale de la terrasse du Via Costa, en soirée, super spot face à la mer)

Kaolack sonne alors à mon oreille comme Carnac. Savez-vous que Ker en breton signifie « petit village » et que ce terme existe en wolof avec une signification analogue ?

L’avenir nous dira si nous pourrons, Mané et moi, favoriser la rencontre entre de jeunes bretons et des archéologues sénégalais. Deux d’entre eux font désormais partie de mon paysage : Fode Fenda Diakho et Sire Ndiaye.

Lors de mon premier échange à distance avec le jeune doctorant de Kaolack, j’ai appris que sa passion lui vient d’un enseignant-chercheur de l’Université de Rennes, Luc Laporte. Quand je vous dis que les planètes se sont alignées !

Petit flashback sur une belle découverte à Pontivy, la crêperie traditionnelle Chez Nicole. Et ça c’était juste son premier jour en Bretagne ! Crédit Françoise Ramel

Née sous une bonne étoile

Mané Touré lancera en octobre un festival en zone rurale qu’elle a choisi d’appeler Bideew, étoile en wolof. Le voyage ne fait que commencer. Pour l’heure, Mané est attendue en Italie, puis en Espagne.

Mané Touré

Voici le très beau texte faisant référence au cosmos que la créatrice du festival Bideew a écrit pour The festival academy.

SYZYGY
Mon expérience en Bretagne est tel un syzygy, un alignement des objets célestes tant tout était parfait et interconnecté à la fois. Tout d’abord, le Festival Paysages, Rencontres Poétiques de Motten Morvan faisait écho à notre festival Bideew de par son caractère rural. Mais ceci est l’arbre qui cache la forêt, son organisatrice Françoise Ramel, Présidente de l’Association Timilin a une vision très proche de la mienne, elle a cette possibilité de voir les choses dans leur globalité et de saisir des jonctions dans des endroits improbables. Cette première collaboration pour le placement des Alumni de The Festival Academy est un succès total car, ce séjour pour moi était au-delà d’un simple partage sur la production d’événement mais c’était et surtout une expérience à taille humaine.
J’ai découvert et apprécié auprès de Françoise Ramel la Bretagne à travers ses paysages, ses us et coutumes, mais surtout ses mythes et légendes : Saint Cornely en est témoin !
L’aventure continue, ce sera pour la prochaine fois de Kaolack à Carnac à travers les mégalithes, nos jeunes archéologues doctorants…
Et puis, ce n’est pas tout, il y aura peut-être un Kër Mané dans le hameau qui porte le même nom.
SYZYGY vous dites ?

Ndèye Mané Touré

Pour l’association Timilin, moudre nos idées ensemble, les apports multiples d’une actrice de la Culture africaine dans nos projets sont la parfaite illustration que nous pouvons franchir un nouveau cap et partager encore plus largement cette aventure humaine autour de la transmission des savoirs inspirée du concept que j’ai créé dans une auberge de jeunesse à Pontivy en 2011 : « Bienvenue dans mon labo grandeur nature ».

On peut être dans son coin, faire des choses, alors que l’on porte des sujets universels.

Mané Toure, productrice de Dakar sur les ondes de Radio Bro Gwened
Moment détente extraordinaire et branché à la Base de Lorient, ville portuaire détruite par les bombardements de la 2ème guerre mondiale
Crédit Françoise Ramel
Mané entourée chaleureusement par les musiciens de Hoffmann Family Blues Expérience après leur magnifique concert à Mûr-de-Bretagne pendant le festival Paysages, rencontres poétiques de Motten Morvan – Crédit Françoise Ramel

B comme Bonus

Mûr-de-Bretagne : 3e Festival Paysages, rencontres poétiques de Motten Morvan – Patrimoine

Une journée de partage solidaire avec Timilin, à Guerlédan | Le Télégramme (letelegramme.fr)

À Guerlédan, une forge à l’ancienne en centre-bourg | Le Télégramme (letelegramme.fr)

Pour connaître le caractère exceptionnel des cercles de pierre de Sénégambie

Aperçu régional grâce au site web Le peuple breton

Saint-Aignan. Chantier participatif et portes ouvertes sur le site de Motten-Morvan (lepeuplebreton.bzh)

Mon témoignage sur France Inter dans Carnets de Campagne en 2018

Voir le court-métrage de Nathalie Lay, La ferme de Sophie projeté par Mané Touré

https://www.youtube.com/watch?v=2KCUiV99KpY&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fwww.bing.com%2F&embeds_referring_origin=https%3A%2F%2Fwww.bing.com&source_ve_path=Mjg2NjY&feature=emb_logo

Crises et avenir des zones rurales

L’Institut Agro Rennes-Angers organise du 3 au 7 juillet à Rennes le 29e congrès de la société européenne de sociologie autour du thème : Crises et avenir des zones rurales.

Les mois et les années qui viennent de s’écouler nous ont amenés à nous interroger sur la nature de ce que nous considérons comme normal et de ce que nous considérons comme une crise. La crise COVID, la guerre et ses conséquences, la crise climatique, tout cela modifie notre façon de penser le monde et d’y agir.

Comment ces changements rapides affectent-ils les zones rurales et la façon dont elles sont imaginées ? Le monde rural est-il nouvellement en crise ou doit-il être considéré comme ayant longtemps – ou peut-être toujours – été en crise, sous des formes parfois peu éclairées ? Pouvons-nous encore considérer le monde rural comme un lieu de stabilité ? Quelles sont les crises qui traversent le monde rural et où et quand ces crises sont-elles apparues ? En ce qui concerne les crises les plus pressantes, quelles sont les choses qui étaient considérées comme allant de soi dans le monde rural et qui sont aujourd’hui remises en question ? Et, inversement, quels sont les nouveaux défis, les nouvelles voies et les nouveaux avenirs pour le monde rural qui ont été ouverts ?

Société européenne de sociologie rurale
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