Vivre ou survivre à l’ère post-industrielle : plaidoyer d’une jeune bretonne engagée

Article : Vivre ou survivre à l’ère post-industrielle : plaidoyer d’une jeune bretonne engagée
Crédit: Libre de droit

Vivre ou survivre à l’ère post-industrielle : plaidoyer d’une jeune bretonne engagée

Parmi les associations qui m’amènent à ressentir un profond respect pour une idée, un engagement, une démarche collective, La voie de l’Humanité mérite vraiment qu’une bénévole soit citée ici dans l’intégralité d’une parole politique qui a un peu surpris et visiblement pris de court tout le monde ce samedi 20 janvier 2024, à Saint-Brieuc (Bretagne). Cette prise de parole comme cette publication sur Plan B visant à relayer une expression citoyenne n’engage ni la Voie de l’Humanité, ni les autres jeunes ayant découvert en juin et juillet 2023 à Madagascar un autre mode de vie, un autre rapport au monde. Je vous invite à lire l’intégralité de ce plaidoyer d’une jeune bretonne engagée, publié avec son accord, avec des sources documentaires qu’elle souhaite partager de façon anonyme, au nom d’un collectif : Anti-tech Résistance.

Misaotra, « merci » en malgache

Visuel de l’invitation arrivée dans ma messagerie Crédit La voie de l’Humanité

Je situe le contexte. Douze jeunes bretons partis en chantier solidaire à Madagascar nous avaient donné rendez-vous pour présenter leur expérience à Ambatomalama, petit village de brousse isolé, et la façon dont cette aventure humaine a vu le jour dans la tête de Solenn et Mélina, en service civique à la Voie de l’Humanité.

Un documentaire d’une rare justesse est diffusé en avant-première à cette occasion. Maël, jeune réalisateur membre du groupe constitué pour ce projet carrément « ouf », a fourni un travail remarquable, chronophage, à la fois subtil et à l’écoute. J’espère vraiment que ces images et ces témoignages voyageront le plus loin possible. « Misaotra » est un magnifique exemple de film à impact, sans le budget et les conditions idéales bien sûr qu’une vraie production aurait permis de mobiliser. Le résultat n’en est que plus méritant et bluffant.

Faire passer des messages forts

Une très forte émotion remplit l’espace de bout en bout de la projection. Les jeunes qui témoignent à l’écran le font sans filtre, loin de tout discours formaté.

La grande salle est pleine. De jeunes volontaires en service civique déjà partis et revenus de leur mission à Madagascar sont présents, d’autres sont encore en formation avant le départ. Des parents découvrent, ravis, ce dont ils ont entendu parler pendant des mois sans pouvoir dompter complètement une part d’envie, de fierté, mêlée d’angoisse. Des militants associatifs sont venus pour dire leur soutien à ce type d’initiative, saluer l’audace et le courage de ces jeunes bretons, découvrir les relations qu’ils et elles ont tissé avec une communauté locale pendant un mois. Quelque part dans l’obscurité, au fond de l’assistance, Paul Kader, éducateur spécialisé de métier, reste discret. Son chemin de vie est lié depuis vingt ans aux jeunes de toute la France qu’il accueille et accompagne avec la Voie de l’Humanité. La veille, il était encore à Madagascar.

En explorant une manière de vivre plus proche d’un environnement naturel, j’ai compris que
l’humanité était née d’un fondement prosocial, d’une coopération. Lorsque vos valeurs culturelles célèbrent l’autonomie individuelle, partage et interdépendance, la société est satisfaite et ne se soucie pas de dire aux autres comment vivre.

X, 19 ans, extrait du plaidoyer

De Saint-Brieuc à Madagascar via Motten Morvan

Je ne peux pas dire que je connais ces jeunes urbains partis à l’aventure au milieu de l’Océan indien. Grâce à Paul Kader, je les ai reçus chez moi pendant trois jours en mai 2023, dans ma « brousse » bretonne, afin de leur donner l’occasion de se tester et de mieux faire connaissance lors d’un chantier participatif sur un site médiéval, sans eau, ni électricité, ni connexion, un mois avant leur départ à l’étranger.

Je leur dois d’avoir vécu un très beau moment de rencontre et de convivialité à Motten Morvan, encore plus fort que ceux que j’ai pu vivre pendant les fouilles archéologiques, pourtant déjà formidables. Dire que ma première intention était de ne pas passer le week-end avec ces inconnus aux personnalités et parcours si divers, pour les laisser tranquille entre eux, avec leurs propres codes.

Photo souvenir du chantier de bénévoles à Motten Morvan en mai 2023. Le réalisateur de Misaotra, Maël, est au centre au 1er rang – Crédit Françoise Ramel

J’ai voulu accueillir ces jeunes à Motten Morvan pour qu’ils et elles goûtent au plaisir d’être ensemble. Dans cet espace protégé, hors du temps, il est plus facile de se relier, physiquement, émotionnellement, à un environnement naturel non formaté par un désir de suprématie sur le monde vivant, caractéristique d’une espèce humaine seule responsable de sa destruction. Nul besoin d’argument, de construction intellectuelle, il suffit de vivre le moment, pleinement, sans enjeu, ni volonté démonstrative du bien-fondé de l’expérience.

Il suffit de réapprendre le bonheur d’un silence habité par les rires, les chants d’oiseaux, le souffle du vent, la mélodie cristalline d’une rivière toute proche, le crépitement d’un feu. A Motten Morvan, le groupe a simplement participé à un chantier de nettoyage de printemps sans être jamais dérangé par le bruit d’une machine.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=50&v=Rszyx-Fq_u8&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fantitechresistance.org%2F&source_ve_path=Mjg2NjY&feature=emb_logo

Sans autre commentaire, voici le plaidoyer entendu samedi soir dans la bouche d’une bretonne de 19 ans accueillie à Motten Morvan avant de s’envoler pour Madagascar, dont j’ignorais qu’elle pouvait être capable d’un tel aplomb et d’une telle force pour défendre ses convictions. J’ai été sensible non seulement à l’effort d’écriture, mais aussi à la forte résonnance entre ce texte et l’ouvrage de Sébastien Bohler, docteur en neurobiologie, « Human psycho », actuellement sur ma table de chevet.

La pauvreté est la source de la richesse. L’exploitation est la condition de la production.

X, extrait du plaidoyer

Plaidoyer pour la vie signé X, 19 ans

« Depuis 500 ans la civilisation occidentale, mais également la Chine, la Russie et les pays industrialisés du Moyen-Orient ont mis sous tutelle la plupart des pays du Sud pour en
exploiter les ressources naturelles et humaines. Savez-vous que ce sont les traites négrières qui
ont financé en partie la première révolution industrielle en Europe ? Le progrès technique
accroît les inégalités depuis la révolution industrielle, une tendance qui s’accélère constamment depuis le début du XXe siècle avec l’électrification, puis aujourd’hui avec les révolutions numériques.
Nous vivons actuellement dans une société hiérarchisée, industrialisée et urbaine, où tout le fardeau de la production repose sur les populations du Sud et les machines, le tout à un coût environnemental et social complètement délirant.
A Madagascar, l’industrialisation apparaît comme un surplus. Du plastique et différents déchets polluent les terres des villages. Ma plus grande révélation durant mon voyage à Madagascar, aura été de réaliser le grand mensonge de la pauvreté. Attention, je ne parle pas ici des conditions catastrophique auxquelles sont confrontées certaines communautés africaines. Dans ce cadre de référence, je prendrais l’exemple d’un paysan-éleveur, vivant de son propre travail au sein d’une communauté traditionnelle autonome déconnectée du système techno-marchand. Celui-ci sera considéré comme « pauvre ». Et peu importe s’il est heureux ou en bonne santé ; peu importe si l’organisation traditionnelle de sa communauté favorise le partage et l’égalité. Une communauté sera considérée pauvre si elle possède matériellement peu. C’est donc ne pas savoir que la richesse est ailleurs, dans le tissu social, les traditions, l’amour, la nature. D’ailleurs la littérature scientifique montre que les sociétés traditionnelles ridiculisent les sociétés urbaines industrialisées en matière de bien-être et de santé.
En explorant une manière de vivre plus proche d’un environnement naturel, j’ai compris que
l’humanité était née d’un fondement prosocial, d’une coopération. Lorsque vos valeurs culturelles célèbrent l’autonomie individuelle, partage et interdépendance, la société est satisfaite et ne se soucie pas de dire aux autres comment vivre.
A force d’explorer la diversité culturelle sur Terre, on peut lister plusieurs critères fondamentaux
pour favoriser l’épanouissement de l’animal humain : une communauté de taille réduite soudée et une identité forte ; un environnement naturel composé de matière organique et non d’un agrégat de béton, de métaux, d’asphalte et de plastique ; et enfin une technologie artisanale synonyme de refus de puissance. En somme, l’antithèse de la société industrielle.
C’est ce que j’ai observé durant mon voyage, des villages qui subsistaient avec peu de moyens mais qui vivaient dans le partage, la solidarité, la joie. Plus nous nous écartions de la ville, plus les visages étaient lumineux, les individus travaillaient dur mais y trouvaient du sens. Ils étaient heureux de travailler pour combler les besoins de leur petite communauté, et beaucoup moins quand il s’agissait d’aller se tuer à la tâche sur des mines de charbon.
Certes, aujourd’hui un être humain qui naît en France a plus de « chance » que s’il naît dans les
régions minières du Kivu. Mais si les habitants de la République Démocratique du Congo subissent génocides et massacres à répétition, ça n’a rien à voir avec la « chance » ou la malchance, mais avec la demande mondiale en métaux, bois et pétrole, et la présence de firmes multinationales étrangères attisant les violences.

La même dynamique coloniale d’accaparement des terres par les États et les firmes multinationales (industries extractives/agrobusiness) du Nord se poursuit et s’accélère aujourd’hui au nom de la transition.
Les multinationales exproprient les habitants dans les pays pauvres, achètent leurs terres à des politiciens corrompus, évince des populations autochtones de leurs territoires afin qu’ils ne puissent pas cultiver ou chasser leur propre nourriture. En proposant aux plus chanceux d’entre eux des emplois consistant à raser la forêt ou extraire des minerais en échange d’un salaire d’esclave. De plus en plus de populations sont expulsées de leur propre territoire pour l’exploitation de ressources toujours plus massive. A titre d’exemple, Total, multinationale française, prévoit de forer plus de 400 puits de pétroles en Ouganda. On parle d’une centaine de milliers de personnes qui doivent êtres expropriées.
Mais la conservation de la biodiversité est aussi responsable des expulsions. Les parcs nationaux
sont une source de pouvoir, de prestige et de revenus. On compte environ un million de personnes qui ont été expulsées de territoires désormais protégés. Ces expulsions aggravent la pauvreté. Les lieux de vie, les biens collectifs, le réseau d’entraide et toute une manière d’être au monde disparaissent.
Ensuite, l’écart entre pays développés et pays émergents n’a jamais été aussi grand. Il continue de se creuser. Il paraît même hautement improbable que l’Afrique et l’Amérique du Sud puissent un jour rattraper leur « retard », même si on nous laisse croire le contraire. En effet les progressistes font le jeu du système techno-industriel en militant pour que l’humanité entière accède et devienne dépendante de la technologie moderne et du marché globalisé. Malheureusement, cela ne pourra jamais remédier au fait que la pauvreté est un ingrédient des plus nécessaires et des plus indispensables de la société, sans lequel nations et communautés ne pourraient exister à l’état de civilisation. La pauvreté est la source de la richesse. L’exploitation est la condition de la production.
C’est pourquoi l’industrie est une colonisation. Ce système repose sur une expansion massive,
concurrentielle, qui implique de coloniser de nouveaux territoires, de privatiser des terres,
d’étendre les villes.
Donc mon soucis n’est pas tant pour les enfants de Ambatomalama qui pour la majorité n’accéderont jamais aux études supérieures et finiront par travailler dans les usines ou sur des sites miniers. Je me soucie plutôt de la durabilité de ces villages. En raison de la nature totalitaire du système technologique, toutes les sociétés traditionnelles seront éradiquées les unes après les autres au cours de ce siècle. Il est donc utopique de croire en une société alternative durable, si le système technologique continue de s’étendre. C’est un substrat matériel, unique pour toutes les sociétés humaines, qui mène à leur uniformisation et à la démolition de la vie sur Terre.
Pour libérer les peuples et mettre fin à « la guerre mondiale contre la nature », la montée des
inégalités semble être un mal nécessaire pour créer des conditions propices à une révolution contre le système technologique qui menace l’habitabilité de la Terre. Ces propos heurteront certainement la sensibilité des adeptes de la bien-pensance et feront hurler dans les chaumières progressistes.
Mais Walter Scheidel, professeur d’histoire à l’université de Stanford, a analysé la dynamique des inégalités depuis l’avènement des premières civilisations. Il en a conclu que seuls des chocs violents (révolution, désintégration de l’État, guerre mondiale et épidémie) détruisant un système économique ont été capables de faire chuter durablement les inégalités. Heureusement pour les pays les moins développés, ce seront eux les moins impactés par l’effondrement du système techno-industriel.

En effet, durant les dernières crises, les sociétés les plus autonomes se sont montrées être
les plus résilientes.
Ainsi, non seulement s’attaquer aux inégalités par la voie réformiste sera inefficace, mais faire ce
choix signerait un apaisement social signant l’arrêt de mort de la biosphère – donc de l’Humanité.
C’est pour cette raison que nous devons nous inspirer d’une parole de Ati Quigua, militante
écologiste colombienne qui dit : « Nous nous battons pour ne pas avoir de routes et d’électricité – cette forme d’auto-destruction qui est appelée « développement », c’est précisément ce que nous essayons d’éviter. »
Enfin je tiens à rajouter que tous les pays du monde devraient se mobiliser ensemble contre le système techno-industriel. Car les machines et les infrastructures qui exploitent l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe, l’Asie, l’Amérique et l’Océanie. »

B comme bonus

Pour soutenir l’association La voie de l’Humanité

https://lavoiedelhumanite.wixsite.com/lavoiedelhumanite

Ressources documentaires ayant inspiré le plaidoyer

Civilisés à en mourir (Christopher Ryan) – Le prix du progrès – Editions LIBRE

Le progrès technique accroît les inégalités – Anti-Tech Resistance (antitechresistance.org)

En lien avec ma lecture du moment conseillée par un de mes amis. Il y a quelques années, j’ai eu la chance de suivre à Paris une conférence sur le cerveau pour interroger la question du libre-arbitre. Cela avait remué et remis en cause un certain nombre de mes croyances. Dans « Human psycho », Sébastien Bohler aide à comprendre comment le comportement des humains et leur génie s’apparentent, pris dans leur ensemble, au comportement des psychopathes observé par les spécialistes, alors que pris individuellement, chacun a connaissance du problème posé à l’humanité, à la planète, et s’offusque des destructions, des guerres, des flux migratoires, de la raréfaction des ressources, de la multiplication des catastrophes naturelles et autres conséquences des modes de production et des modèles dominants de consommation.

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