La puissance du cinéma dans une série inspirée par le meurtre d’un docker, « De Grâce »

Article : La puissance du cinéma dans une série inspirée par le meurtre d’un docker, « De Grâce »
Crédit: De Grâce

La puissance du cinéma dans une série inspirée par le meurtre d’un docker, « De Grâce »

En six épisodes, la série franco-belge signée par le réalisateur breton Vincent-Mael Cardona nous transporte au Havre dans un univers spatio-temporel original, celui des docks. Le jeu des acteurs, les mouvements de caméra, la musique de Maxence Dussere, les procédés cinématographiques utilisés pour servir l’histoire, les flashbacks, les ellipses, les silences, tout confère à cette création une aura, mais aussi la force d’une expérience sensible propre au cinéma.
Ni saga familiale, ni plongeon dans l’enfer underground, ni coulisses d’un entre-soi politique, ni polar glacial au pays des northmen, les vikings, origine du nom Normandie, « De Grâce » pourrait bien être un OVNI télévisuel sur la notion de « Salut » ou plutôt sur l’absence de Salut dans une époque qui chavire.
La question reste ouverte sur l’horizon que découpe la silhouette lointaine de porte-containeurs dès les premières images. Tout un symbole pour ramener à notre propre échelle, ce qui fait de nous des humains, que ce soit au temps de Sophocle et des déchirements qui ont réussi à traverser les siècles grâce à l’Education, à la Culture, ou à l’ère de Netflix et du zapping permanent sur fond de catastrophe écologique.

De Grâce
Visuel qui parle de lui-même quant au traitement du décor et de la lumière dans la série De Grâce

J’espère que le meilleur est à venir et qu’un jour on en rigolera de cette farce. Joyeux anniversaire Papa.

Personnage du fils AÎNÉ, Jean Leprieur, JOUÉ par Pierre Lottin, figure montante du cinema FRANÇAIS

Entre abjection et amour, De Grâce passe au laser contradictions et démesure


« Le personnage principal, c’est le patriarche, il représente le monde ancien, ce monde s’effondre. Dans cet effondrement, un nouveau monde est à venir mais dans ce temps de reconstitution tout est éparpillé, tout est dispersé », commente Vincent Mael Cardona dans le focus de dix minutes à découvrir sur Arte, mais pas avant de vous être laissé surprendre et suspendre dans les fils du scénario écrit par quatre auteurs, dont les deux créateurs de la série : Maxime Crupaux, Baptiste Fillon.

Le teaser de la série donne le ton

Les deux premiers épisodes ont été présentés en avant-première à Lille au festival international Séries Mania en mars 2023 avec au passage le prix de la Meilleure actrice attribué à Margot Bancilhon, qui avait décroché en 2014 le Cesar du Meilleur espoir féminin.
De fait, c’est l’ensemble du casting qui mérite un prix, tant la construction du récit permet de nous intéresser à chacun des personnages principaux, à mieux comprendre dans leur blessure, leur force, ce qui sous-tend de bout en bout la trame du drame, celui d’un monde au goût amer, au goût d’acier.
Quand le réel est démesurément grand, toute caricature ressemble à une marionnette désarticulée. C’est là que résident le génie et le sens de la mise en scène de Vincent Mael Cardona. Il aime tirer du réel sa force magnétique, hypnotique.

Panayotis Pascot dans le rôle de l’apprenti galocheux, autre nom pour docker. « La galoche est la clef de voute de la mondialisation », belle réplique dans la série De Grâce

Humanité à bout portant

En 2022, Vincent Mael Cardona a décroché le Cesar du Meilleur premier film pour « les Magnétiques ». Ce long métrage, pour lequel il lui a fallu près de dix années de travail avant d’arriver au bout, faisait déjà la part belle aux personnages, à leur intériorité.

Avec De Grâce, le réalisateur et son équipe se confrontent à des contraintes de forme, de format et de genre, celles de la série, du thriller. Pourtant je retrouve les qualités de regard et de point de vue que j’ai tant aimées dans « Les Magnétiques ».
Mais je sais aussi, pour avoir eu le plaisir de l’interviewer deux fois, que je n’ai pas vu tout ce que Vincent Mael Cardona a mis en scène et filmé. C’est pour cela qu’il faut l’écouter parler de la série avec ses mots à lui, sa sensibilité d’artiste.

Et surtout ne pas se priver du plaisir de « rembobiner » pour re-visionner, reprendre dans nos oreilles à la fois les mots et les silences, le bruit des docks et la musique originale de De Grâce, le pouls d’une ville pas comme les autres et l’acharnement froid d’un système dont le compte à rebours du déclin programmé est déjà lancé.

Comme cette course aussi folle qu’inutile dans la nuit, au volant d’un bolide, par laquelle l’intrigue commence et nous perdra dans ses méandres, dans ses jeux de reflets, dans ses tunnels temporels.

Pour vous qui aurez apprécié ce billet Plan B et qui surtout aurez plaisir à aller sur ARTE, voici un air qui ne me quitte plus depuis que j’ai vu la série. A écouter en lisant, sans vous presser, la dernière citation choisie.

Et n’oubliez pas, l’amour existe…

De grâce, pardonnez moi, pardonnez leur

Le mal est le mal, c’est ce monde, cette ville peut-être. Nous les dockers, on a toujours lutter pour faire entendre que cet endroit ne serait rien sans les hommes qui y bossent. Son cœur, ses muscles et son âme, ce sont les docks. Mais l’époque n’est plus la même. L’âge de tonnes de docs qui déferlent par containers est arrivé, et les reglements de compte qui vont avec. Les anciens avaient érigé une digue, un code d’honneur. Le trafic est un engrenage infernal. Marcel a vu avant les autres que la digue allait céder, que les dockers sont des hommes, et que face à l’argent, les hommes vacillent. J’ai jamais quitté Le Havre, c’est là que je suis né, avec du pétrole et du sel dans le sang. C’est grâce au port que je suis devenu quelqu’un. Je pensais pouvoir tout changer, je me suis planté en beauté. Mais la guerre ne fait que commencer. C’est une guerre contre nous-mêmes.

Voix off, début du premier épisode

B comme bonus

Ma deuxième rencontre avec Vincent Mael Cardona, à Brest, ouverture du Festival Longueurs d’onde, janvier 2022, le réalisateur m’offre alors un scoop.

Ecouter l’interview

https://radio-boa.bzh/fr/radio-bro-gwened/385/52675

Remise du Cesar pour  « Les Magnétiques »

Ma première Interview de Vincent Mael Cardona en 2021 est aussi en ligne via le site de Radio Bro Gwened.

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