J’ai dansé sous la pluie au Sahara

Des pluies exceptionnelles se sont déversées courant septembre au Sahara, le plus grand désert du monde. Effet du dérèglement climatique ? Providence ou gratification de nature divine pour les croyants ? Simple loi physique ?

Dans la langue des nomades, le tamasheq, le mot « Tadalat » traduit à la fois « espoir » et « pâturage ». Un des proverbes les plus connus de ce peuple éclaté entre différents pays depuis la colonisation est aman iman, « l’eau c’est la vie ». Le retour actuel de la végétation dans le désert est un phénomène historique qui n’échappe ni aux observateurs, ni aux scientifiques. Des images satellites publiées récemment par la NASA et le programme européen Copernicus permettent de nous familiariser avec ces nouveaux paysages du Sahara.

Sahara vert, un rêve devenu réalité

Le terme de « réchauffement climatique » ne reflète pas l’une des réalités les plus problématiques de la hausse de températures : une forte perturbation du cycle de l’eau. Quand l’air est plus chaud, il peut contenir plus d’eau sous forme de vapeur. Je suis arrivée à M’hamid el Ghizlane le 13 septembre pour vivre l’expérience de ce phénomène, en parler avec les habitants et pouvoir témoigner.

Ce qui m’a frappée en premier lieu est un plaisir inattendu au Sahara pour la bretonne que je suis, habituée au crachin, aux nuages, aux orages. J’adore sentir la terre lavée par les averses. Là, dans cette oasis en danger, où j’aime à revenir depuis dix ans, j’ai senti pour la première fois au Maroc le parfum envoûtant d’une terre gorgée d’eau. Saviez-vous que cette odeur si particulière a un nom ? Le pétrichor.

Le lac Iriki, à sec depuis 50 ans, retrouve son écosystème de zone humide

J’aurai vraiment aimé prendre la piste pour me rendre au Lac Iriki dont j’entends parler comme d’un conte de fée depuis mon premier séjour à M’hamid el Ghizlane en 2014. En rapporter quelques clichés, un reportage radio, mais surtout sentir cette présence, cette vie renaissante, dans le paysage, aurait été une expérience inoubliable.

Je me réjouis de savoir que les chercheurs et chercheuses ont avec ce lac en plein désert un objet d’étude incontestable :

Cet événement environnemental rare est d’une grande importance scientifique.

Campus Maroc TV

Je les invite à venir partager leurs connaissances à l’occasion d’une future édition du festival nomade en zone rurale « Paysages », que j’organise en Bretagne chaque année début juillet.

J’espère que nous aurons bientôt des nouvelles de l’Université Ibn Tofail à Kenitra pour en savoir plus. En prime quelques images sublimes trouvées sur les moteurs de recherche. Merci à cette équipe !

Parmi les titres de presse que j’ai pu attraper au vol ces dernières semaines, en voici un qui mérite d’être dans ce billet. Il en dit beaucoup plus que ces quelques mots. Merci à l’auteur, Ahmed Zoubaïr, pour cet article publié le 11 septembre : « Pluies torrentielles dans le sud-est : Ce Maroc oublié, sauf du ciel… »

Ceci n’est pas une vue du Lac Iriki, mais c’est tout de même mieux qu’un mirage ou un conte de fée. Je suis à quelques kilomètres de M’hamid el Ghizlane, je m’émerveille avant d’aller rencontrer un couple d’autruches sauvages un peu plus loin. Crédit : Françoise Ramel, septembre 2024

« Les gens n’ont jamais vu ça »

La pluie au désert, si rare, est toujours une bénédiction et un motif d’espoir. Mais les flots déchainés génèrent aussi leur lot de drames. Comme à Tata, dans la vallée du Drâa au Maroc, où un car emporté par les courants a fait plus d’une dizaine de morts. Les secours sont encore à la recherche de disparus. Un peu partout, les coulées de terre et de boue offrent un spectacle de désolation. Des villages plus éloignés dans les reliefs montagneux ont été pris au piège.

Le record de précipitations a été atteint dans la région de Zagora, où il est tombé en deux jours plus de 200 millimètresLes précipitations enregistrées représentent environ la moitié des précipitations annuelles normales dans certaines régions concernées. Dans plusieurs zones, elles ont même dépassé les moyennes annuelles habituelles, ce qui souligne le caractère exceptionnel de l’événement

Le Monde, 10 septembre 2024, Alexandre AUBLANC

Des fonds d’urgence sont déjà mobilisés. À titre d’exemple, mardi 24 septembre, l’Union Européenne a accordé une aide exceptionnelle de 5,4 millions d’euros aux pays sahéliens touchés par les inondations – dont 1,35 million pour le Niger – afin de « fournir une aide immédiate et de répondre aux besoins les plus urgents ».

Que d’eau, que d’eau dans l’oued !

A M’hamid el Ghizlane, dans l’oued d’habitude à sec, le Drâa charrie palmiers arrachés, bouteilles de gaz, frigos… Crédit : Stéphanie Ackland (avec son accord)

Ce que j’ai vu de mes propres yeux dans la vallée du Drâa est le reflet fidèle de ce que j’ai pu capter de façon tromboscopique et superficielle d’autres réalités au Sahara à travers les réseaux sociaux et les médias internationaux. Voici un article du Monde sur l’effet des inondations sur le patrimoine d’Agadez au Niger :

Au Niger, les joyaux de la cité historique d’Agadez menacés par les inondations

Les fortes pluies engendrées par le changement climatique fragilisent les monuments emblématiques de la ville, inscrite en 2013 au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Le Monde, 26 septembre 2024

Combien de conférences sur le climat faudra-t-il encore applaudir après la COP 29 de novembre 2024 à Bakou pour prendre la mesure de la débâcle ? Opter pour des stratégies capables d’enrayer le phénomène, ou au moins d’en limiter les dégâts, ne semble pas encore dépasser le stade des déclarations d’intention.

Sans pluie pour les remplir, les barrages sont-ils encore utiles ?

Quand les discours s’accompagnent de décisions courageuses et coûteuses, comme au Royaume du Maroc, ils suscitent aussi des questionnements. C’est bien normal face à la complexité et à l’ampleur des enjeux. Je vous invite vivement à regarder le reportage vidéo de Laureline Savoye, journaliste française, dont je salue l’initiative.

La sècheresse est devenu la normalité. Je pense qu’il y a un Plan B à inventer. Cette discussion sur un Plan B, je ne la vois pas à l’agenda politique. On est encore sur des logiques du passé.

Taher Sraïri, agronome, Maroc

Maroc : pourquoi les 20 nouveaux barrages ne sauveront pas le pays de la sécheresse (lemonde.fr)

D’une COP à l’autre, alors on danse ?

Tous les continents sont frappés par des catastrophes naturelles de grande ampleur. Dans la course contre la montre engagée face à la montée inexorable des températures à l’échelle planétaire, nous n’avons pas la moindre chance de sortir d’une forme de léthargie confortable, dans laquelle nos modes de production et de consommation nous transforment en complices d’un écocide, à marche forcée.

Comme au spectacle, à M’hamid el Ghizlane, vallée du Drâa – Crédit Françoise Ramel, septembre 2024

Les choix récents d’un président d’un petit pays du G8, la France, au coude à coude avec l’extrême-droite, montre bien combien l’écologie est le cadet de ses soucis, malgré les promesses actées à la COP de Paris, censée marquer un tournant historique. La dernière COP organisée à Dubaï a aussi été présentée comme une avancée sans précédent dans les médias.

Une possible révolution pour enfin prendre la mesure de l’urgence à l’échelle mondiale ? Le spectacle délirant que nous ont offert les chefs d’État dans leur déplacement à Dubaï acte au contraire que le changement n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain. Idem si l’on repense à la Coupe du monde de football organisée en 2022 au Qatar, même si le recours à la compensation carbone voudrait nous faire croire à la « neutralité Carbone » de cet événement sportif. Footaise !

L’humanité a un choix : coopérer ou périr

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, devant 100 chefs d’État (venus en jets privés), à la COP 27 de novembre 2022

Il est déjà bien trop tard pour une révolution. En temps de paix et de croissance, les États et nous citoyens sommes restés sourds aux alertes des scientifiques. Voilà plus de cinq décennies. Il faudrait trouver une porte de sortie, en dissociant au préalable le coût écologique des économies polluantes, prédatrices, et la manière de vivre de la grande majorité des humains encore animés par des liens étroits avec leur environnement naturel. Mais les guerres se multiplient, les appétits s’aiguisent, renforçant les tensions sur les ressources, sur les populations.

Au cœur de l’oasis de M’hamid el Ghizlane coule le Drâa, plus long fleuve du Maroc, qui a déjà emporté plusieurs ponts sur son passage dans le passé. Le débit et le volume d’eau sont encore plus impressionnants que lors des inondations de novembre 2014. Cette fois le pont a tenu, même si l’eau l’a submergé à certains moments. Crédit Françoise Ramel, septembre 2024

Alors je danse sous la pluie, au Sahara, dans cette vallée du Drâa que j’aime tant. Et je laisse le mot de la fin au sublime duo Stromae / Jamel Debbouze que vous avez déjà certainement vu.

Excuse-moi de te déranger, tu serais pas en train de faire de la merde ?

Toute similitude avec des décisions de chefs d’État à l’heure de l’urgence climatique est pure coïncidence !

À l’instant, où je publie ces lignes, il pleut à nouveau. Joie ! Je retourne danser sous la pluie.

Quelque part au Sahara, près de la palmeraie de M’hamid el Ghizlane, face à l’horizon, l’intensité du moment me donne envie de me reconnecter au cosmos et de m’éloigner à tout jamais de la rumeur des hommes en guerre contre eux-mêmes – Crédit : Françoise Ramel, septembre 2024
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Commentaires

GUILBERT
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Merci pour ce reportage très utile. S'il pouvait réveiller les consciences. J'ai randonné au Sahara algérien, avec des touaregs nomades, en 1986 où il n'avait pas plu depuis de nombreuses années, ce qui leur posait de gros problèmes de pâturage. Alors, j'imagine la bénédiction que cela peut représenter pour les peuples du Sahara.
Cependant, il ne faut pas oublié que c'est dû au dérèglement climatique que nous continuons à accélérer en refusant de changer nos modes de vie des pays riches. Le réveil commence à être brutal.

Ramel
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Merci beaucoup pour ce retour. Plan B permet de contribuer à sensibiliser, comme la rencontre annuelle à Pontivy dont vous pouvez vous inspirer, Voix du Sahara, un film, un débat, organisée depuis 2014.