C’est pas que j’m’ennuie #2

Retrouver les sensations oubliées, enfouies sous des tonnes de tourbe, où se fossilisent jour après jour nos amours, nos échecs, espoirs et malentendus, joies et chagrins du quotidien. C’est pas que j’m’ennuie !

Oublier de sortir, ne serait-ce que pour faire quelques courses. Finir par avoir plus peur de l’après-confinement que des files de migrants plus chanceux que d’autres, qui n’en peuvent plus de s’enfermer chez eux, asphyxiés par leur propre délire de métropole.

Jackpot

La Bretagne a amorcé depuis plusieurs semaines la baisse de ses courbes dans la guerre des chiffres que le gouvernement et les médias nous assènent sans relâche dès fois que nous soyons un peu sourds d’oreille ou analphabètes.

Pour la Bretagne, cela donne 39 morts par millions d’habitants au 13 avril, pour 38 en Allemagne, où l’on annonce déjà la fin du confinement. Rien à voir donc avec le taux de 382 décès par million d’habitants enregistré pour la région Grand-Est, ou encore avec les 391 décès par million d’habitants en Espagne.

Christian Caoudal

Sur les réseaux, la carte de France circule, à chacun sa couleur, vert, orange, rouge, selon son département. Fidèle à elle-même, prairies généreuses et algues vertes, la presqu’île armoricaine affiche l’espérance sur fond bleu marine, à l’exception de la Loire-Atlantique. D’autres cartes font leur apparition avec de larges cercles pour identifier le nouveau périmètre de nos envies coupables d’évasion : 100 kilomètres.

©Thomas Biet – Radio France
Ou l’art de faire des ronds dans l’eau

À Brest, c’est un rayon qui englobe plus d’océan que de terre ferme. À Pontivy, nous voici soudain des confinés privilégiés grâce à notre position centrale. Des maires sur nos côtes se battent pour réouvrir l’accès au littoral, soutenus par un président de Région et des bretons de plus en plus remontés contre les décisions prises à Paris.

Le Peuple breton
Le Peuple breton est un journal d’opinion crée en 1964. Son slogan :
« aujourd’hui, être libre c’est être informé »

Flippant

Gestion de crise déplorable, troubles du langage des décideurs, après l’appel à la responsabilité, à la solidarité, après l’onde de choc et la nécessité de répondre à l’urgence, des voix discordantes montent à l’assaut des tribunes nationales pour alerter l’opinion.

La crise sanitaire n’a pas miraculeusement effacé les fractures et la perversité d’un système à court de stratagèmes pour nous asservir d’avantage, elle les révèle au grand jour, les exacerbe

Mon coup de cœur Confinement, un texte si juste signé par une jeune artiste kenyane au talent dévastateur, servi par un clip excellent

Alors je trouve mon salut dans les mots postés aujourd’hui sur les réseaux sociaux par Ousmane Makaveli, jeune mondoblogueur malien. Mon extra ball. J’ai besoin de sortir mon cerveau de l’étau. Que toutes ces infos qui se télescopent arrêtent de me prendre pour un flipper !

J’en perds la boule.

J’en suis à un point où plus rien ici ne m’intéresse. Je vis ici comme dans un scaphandre dans la plus totale des indifférences. Hermétique à vos débats saugrenus, les querelles de bambins, vos pseudos engagements, vos générosités intéressées, vos ambitions égoïstes.

Ousmane Makaveli, Bamako

Extra ball

Je laisse aux analystes les analyses, aux soignants les malades, aux éboueurs les poubelles, aux gendarmes à vélo ma rue déserte de petite ville si tranquille.

Je laisse à demain ce que j’aurais voulu faire hier et que je ne ferai pas aujourd’hui. Je suis occupée, si occupée.

C’est pas que j’m’ennuie.

J’aime cette façon dont le simple état de confinement fait remonter à la surface des miasmes de squelettes, aussi frais que s’ils dansaient là, les bougres, sous mes yeux happés par l’infinité de mondes intérieurs.

Je suis en compagnie de joyeux drilles dénués de leurs artifices, princesse ou fille de rien, évêque, soldat, paysan, voleur ou mendiant. « Après vous, puissant seigneur », susurre la mort dans son rictus. Aussi vrais et turbulents que sur les fresques de nos chapelles médiévales, ils dansent leur folle sarabande à l’abri des curieux.

« Iskuit » ou quand la danse contemporaine revisite d’ancestrales danses macabres avec la Compagnie bretonne Legendanse, Lanvollon

Ce n’est pas seulement le rapport à la mort qui peut changer, c’est aussi le rapport à la vie et au monde. Je n’entrerai pas dans le débat sur l’opportunité sanitaire du confinement général de la population, cependant cette période de mise à l’écart et au repos peut être l’occasion de réfléchir. Le confinement n’interdit pas de penser. Il est intéressant de relever que la peste de Justinien eut lieu sous le règne du dernier grand empereur romain, et correspondit à la fin de la Rome antique. La pandémie de coronavirus va-t-elle contribuer à changer les structures de la société ?

Bernard Rio, extrait d’interview pour Le Poher, 21/04/2020

En d’autres temps, des sociétés entières ont basculé et se sont reconstruites dans les ornières creusées par des tombereaux chargés de cadavres, soudainement égaux après que leurs propriétaires aient épuisé leurs dernières forces dans une ultime négociation avec la vie.

Non, c’est pas que j’m’ennuie.

Fourchette

J’ai fouillé mes placards pour retrouver une boîte cartonnée de purée de tomate oubliée. Deux œufs durs, piètre pitance, non que j’y sois contrainte mais par goût de cette vie monastique au doux parfum de lilas et autres senteurs fragiles réveillées par un silence inhabituel, ces œufs donc m’ont adressé un message subliminal.

Pour égayer tes heures de confinement, essaie un peu pour voir le message subliminal. Laisse-toi surprendre par le tacle d’un bonheur farceur. Pour moi, tu vois, c’est parti de la blancheur de ces œufs dans l’assiette, foudroyés par la fulgurance d’un souvenir dont je n’avais pas souvenance, mais alors rien, pas une trace, une bribe, un lambeau, une pichenette : le goût de la purée de tomate de Maman.

Mais les goûts et les couleurs, comme on dit. Cette sauce tomate industrielle n’a pas plus de saveur qu’un texte déroulant sur un téléscripteur, où s’afficherait le signal urgent d’une anomalie devenue insupportable dans ma vie, précisément à cet instant, alors que l’idée même de recouvrir des œufs d’un délicieux coulis ne m’a jamais plus traversé l’esprit depuis l’enfance.

Game over ?

C’est cela le confinement. Se repasser un film en oubliant la psychologie des personnages, les techniques d’écriture trop visibles à l’écran, la beauté des décors, pour ne s’arrêter que sur les erreurs de montage, les anomalies. Et dans ce jeu de miroir en mode arrêt sur image, passer au tamis tout un tas d’impressions, de sensations, pour y trouver les pépites de ma propre histoire.

Je chéris ces semaines qui me poussent dans mes derniers retranchements et le masochisme évident d’une vie sédentaire quand je ne rêve que de me fondre dans une vague subversive qui me déposerait sur un rivage lointain.

Car mes rêves nocturnes ont cette puissance que mes jours n’ont pas. J’y prends souvent plaisir à avoir peur, à courir ou nager, c’est selon, sans savoir où aller, poussée à bout de force par un danger imminent, invisible. Le pire ne va plus tarder. Je ne peux pas rester là à ne rien faire. Fuir, mais où ?

Puis la peur laisse subitement la place systématiquement à une forme d’émerveillement, une onde de plaisir qui se répand dans chacun de mes muscles au repos.

Je pourrais appeler cette sensation « soulagement », mais c’est plus profond et plus transcendant à la fois. Je sens que c’est autre chose, de l’ordre d’une respiration préhistorique, chamanique diraient certains.

Ce flux bienveillant me remplit, m’inonde, me transforme et prend les commandes. Comme si la paix ne pouvait subvenir que dans cette lassitude immense, où tout effort est superflu, où la volonté lâche prise.

C’est pas que j’m’ennuie

Oublier de sortir, ne pas faire les courses et se régaler d’une purée de tomates … faite maison, par la seule rémanence de souvenirs enfouis.

Conakryvirus, du rap et du bon à s’inoculer

L’auteur de ce beau visuel est Chakal Design, un jeune guinéen

Je vous laisse avec Queen Rima, confinée à Conakry. Il y a deux ans, nous rentrions ensemble d’Agadez pour rejoindre via Niamey nos contrées et nos vies respectives.

Quelle chance inouïe d’avoir d’aussi belles énergies à porter de clic pour tromper les heures qui s’enfilent comme des perles de culture. Pensez-y quand vous aurez trop envie de vous éclater dans la folle ambiance d’un festival, d’un concert, et que ce sera tout simplement IMPOSSIBLE.

Visuel annulation festivals
#Soutienauxartistes
https://m.youtube.com/watch?v=4kVKfeRLW3Q&fbclid=IwAR3jg3Rcvb-1lNoIsQZBfmoywvhjVTnoiGItQtjVA6AYsJHsBwGBAh-WFEw

B comme Bonus

C’est pas que j’m’ennuie, un premier billet à lire ou relire dans les pépites de Mondoblog.

Parmi mes plus beaux souvenirs, mes plus belles réussites, ce temps fort du 1er Forum Mondoblog Afrique, la conférence de presse de Sahel Hip Hop et Musiques du Monde, salle Canal Olympia à Niamey, en avril 2018. Je ne connaissais pas encore Queen Rima, mais je suis tombée sous le charme direct ce jour-là en l’entendant slamer.

Queen Rima, la rapeuse au chapeau sur cette photo historique

Pour une dose adéquate de Conakryvirus, je vous conseille ce clip d’avant confinement Me no fear, Même pas peur !

Même pas peur

Pour apprécier la créativité, la force du verbe, le beat si puissant et l’engagement de Muthoni Drummer Queen, voici son dernier clip découvert sur la page anglophone de Music in Africa

A découvrir en français ici

Partagez

Commentaires