Bachar Mar-Khalifé, petite histoire en mode On/Off
Au festival de jazz de Malguénac (Bretagne), entre deux concerts, une amie me glisse à l’oreille : « Jeudi prochain, il y a un artiste fabuleux programmé à Pontivy ». Ainsi s’invite sur Plan B une petite histoire que je partage parce que, pour tout dire, ça avait plutôt mal commencé. Encore fallait-il que je me souvienne à temps de ma première rencontre avec Bachar !
Cet artiste libanais a mis en ligne en novembre une belle réalisation vidéo qui capte l’ambiance de l’enregistrement de son album On/Off. Presque deux ans de pandémie ont changé la face du monde depuis décembre 2019, date à laquelle Bachar Mar-Khalifé et ses musiciens se retrouvent dans les environs de Beyrouth, sa ville natale. C’est toujours une chance d’avoir accès aux coulisses d’un album en création.
C’est la première fois qu’ils viennent ici. Je suis heureux de partager ces moments de silence avec eux.
Bachar Mar-Khalifé, extrait de « Making On/Off », octobre 2021 (à propos des musiciens et ingé son français qui l’accompagnent)

Reminiscence
Nous sommes fin août, je suis rodée aux backstages, la vie culturelle a repris timidement le temps d’un été. Avec des jauges à respecter, des bénévoles chargés de valider des pass sanitaires froissés, de scanner des QRcode. Mais aussi des artistes heureux de monter sur scène et de se retrouver, des festivaliers triés sur le volet qui ne boudent pas leur plaisir.
Entre deux modes de résistance, j’ai choisi. Cette pandémie est déjà une bénédiction pour les coupes budgétaires en matière de culture, d’éducation.
Ca gruge un peu au contrôle et tant mieux. Comment imaginer que la jeune génération, pas encore vaccinée, soit privée de moments de liesse collective devenus si rares ? On en rigole tout de même. Georgette, Simone, Pélagie sont de sorties, elles ont le nombril à l’air et des looks de jeunes premières.
Au lendemain du festival de jazz de Malguénac, je fais le nécessaire pour solliciter une interview de Bachar après avoir jeté un œil rapide à la presse locale. Un bon concert, ça m’intéresse toujours. À domicile, dans un cadre sympa et en plein air, c’est encore mieux !
À ce stade, je ne fais aucun rapprochement avec un vague souvenir relégué depuis 2017 dans un recoin dont il ne devait pas sortir. Le nom de l’artiste ne me dit rien, mais vraiment rien : Bachar Mar-Khalifé.
Pourtant un je ne sais quoi donne l’alerte et cherche à percer la fine membrane hermétique qui sépare certaines couches mémorielles : le souvenir d’une interview où je m’étais sentie mal à l’aise, pour ne pas dire très mal à l’aise.

Fanchon cherche désespérément bouton On/Off
C’était au Festival du Chant de marin à Paimpol, dont j’ai rapporté une palanquée de chouettes souvenirs : une interview très agréable de Titi Robin, ma rencontre avec les musiciens de Tinariwen, mes retrouvailles avec Pablo Macias et Soledad, couple de Malaga croisé à M’hamid el Ghizlane quelques mois plus tôt.
Sans oublier le plaisir de partager cette ambiance de fête sur les quais d’un port breton ouvert sur le monde avec un ami forgeron, Attaher Cisse, originaire d’Echel dans la région de Tombouctou.
Piégée par mon envie de jouer aux apprenties journalistes, j’avais jeté mon dévolu sur un musicien branché électro, dans l’idée de plancher sur un article avant de découvrir son énergie sur scène à pas d’heure dans la nuit. De m’ouvrir à une esthétique dont je me sens très éloignée.
Je devais être super motivée, car je me souviens la longue attente au pied de l’estrade pour ne pas perdre le privilège d’être aux premières loges. Le hasard m’offrant une agréable conversation avec un étudiant qui évoluait dans la danse et la création chorégraphique entre Brest et l’Espagne. La magie des festivals !

C’est la seule interview où je me suis dit d’entrée de jeu : je suis mal barrée. Dans mes petits souliers, comme une écolière timide et gauche, j’enchaîne les maladresses.
Je voudrais pouvoir revenir en arrière, choisir une autre option dans le programme de ma journée. Je suis là, coincée dans ce huis clos improbable avec Bachar.
Naïveté contre pudeur
Je ne sais rien de lui et lui semble m’ignorer royalement. Il s’exécute, je m’exécute, point barre. Je ne suis pas une pro. Si je m’essaie à l’exercice, c’est parce que j’en attends un plaisir réciproque, que je me crois capable d’en tirer un écrit sympa, fidèle, sensible, avec une mise en page engageante. Pro ou pas, il faut assurer. Et là, ça l’fait pas !
Je m’en prends à mon manque de préparation, d’anticipation, de savoir-faire, sans chercher de raisons plus profondes à ce fiasco.
Ce regard qui se refuse me déstabilise, comme l’apparente froideur de mon interlocuteur et ce que je perçois sur le moment comme un manque total de coopération. Je pense aujourd’hui que j’avais juste affaire à l’expression d’une pudeur.
J’avance mes questions comme on cherche à tâtons. Tout sonne faux et vain. Bref, un superbe ratage.
En manque total d’inspiration, d’envie de me challenger pour donner le meilleur, je n’ai jamais écrit l’article.
Je suis tout de même allée voir le concert. Mais le plaisir de me laisser surprendre par une déferlante de sonorités, le parti pris et la virtuosité du pianiste, était entaché par le mal-être ressenti quelques heures plus tôt.
Je ne suis ni maso ni perfectionniste. Ce n’est donc pas de mon plein gré si je me suis retrouvée de nouveau face à Bachar Mar-Khalifé, avec ce souvenir exhumé de lui-même, par défi des lois de la pesanteur. Signe que je ne suis pas encore atteinte de troubles de la mémoire.
Deuxième chance
J’ai la chance de vivre une sorte d’épreuve de rattrapage. Vu qu’en fait, c’était déjà trop tard pour faire machine arrière toute ! J’avais au moins, pour moi, la quasi certitude – ou l’espoir – que l’artiste ne me reconnaîtrait pas et ne saurait rien de mon état d’esprit en mode « Restart ».
Pourtant, je décide deux choses. Je veux mettre Bachar au parfum (mais comment faire ça sans me griller !) et faire en sorte que l’entretien se passe bien pour nous deux. J’ai plus d’expérience qu’en 2017, mais pas question de me fier à une quelconque logique ou fausse assurance.
Si je m’étais rendue compte seulement sur l’instant que j’avais déjà interviewé ce grand musicien, j’aurais eu droit à une sacrée montée d’adrénaline. Et une belle suée !
Cette fois, je sais à quoi m’attendre. Je fais le job comme si de rien n’était, en analysant ce qui avait bien pu me mettre en difficulté quatre ans plus tôt. Bachar Mar-Khalifé ne me regarde pas de toute l’interview, il fait le job lui aussi.
Et ça donne cette touchante interview, qui ne laisse en rien deviner tout ce que je viens de raconter !
Si j’avais le talent d’une conteuse, je trouverais une moralité, une chute appropriée, histoire de donner un peu de profondeur à mon propos.
Nous nous en passerons. Tant pis. Ce n’est qu’une petite histoire en mode On/Off.
Peut-être que ce qui est à retenir ici est très simple. Dans le doute, même si votre affaire semble mal engagée, ça vaut vraiment la peine certains jours de se mettre un rien en danger.
Je n’aurais pas aimé que la vie me prive d’une aussi belle rencontre avec Bachar Mar-Khalifé et sa musique.

Derrière son piano, Bachar hypnotise, remue, transcende. Consolidant la place du label InFiné (Rone, Aufgang) à la pointe des musiques actuelles, Mar Khalifé évoque un kaléidoscope constitué de musique arabe traditionnelle et de musique contemporaine, alliant piano, beats minimalistes et percussion.
ARte concert, 2014
Bachar sublime la scène
Ce soir-là, j’ai connu une extase musicale rare. Pourquoi ne dit-on pas “j’ai pris une caresse” comme on dirait pour une forte émotion “j’ai pris une claque” ?
Je ne sais pas si je suis un chercheur, je m’obstine à aller au bout de ce que j’entends, de ce que je pense, de ce que je ressens. Les sons c’est une excuse, je mets des sons ensemble pour que ça aille vers des gens.
Bachar Mar-Khalifé, 26/08/21, Pontivy
J’ai suivi Bachar dans ses constellations et circonvolutions rythmiques menant à la transe, comme s’il était le Petit Prince et moi un pilote en panne dans le désert.
Ce voyage intérieur le temps d’un concert exceptionnel m’accompagne depuis. Sous les étoiles du Sahara, parfois la seule envie qui refait surface avant de m’endormir, est d’entendre la voix chaude, pleine, enveloppante, de Bachar.
Avec ce titre en particulier « Chaffeh Chaffeh », dont j’ai adoré l’interprétation, la respiration, je peux écouter cette version Live en boucle, la chanter dans ma tête. Comme si ce cadeau pouvait à lui seul allumer mille étoiles dans le ciel. Pour ce billet, je découvre d’autres captations de « Chaffeh Chaffeh », toutes très épurées.
Celle-ci avec la chanteuse Lynn Abid par exemple
« Le génie musical de Bachar Mar-Khalifé s’exprime avec la clarté d’une source lumineuse provenant de je ne sais quel chant cosmique. Il conjugue puissance et innocence, dans un appétit, un élan, une créativité sans limite qui surprend. » Françoise Ramel
B comme Bonus
Le making On/Off Entrez dans les coulisses de l’enregistrement de cet album, au Liban
Bachar Mar-Khalifé sur Radio Bro Gwened
Une histoire de pochette de CD
https://musique.rfi.fr/musique-arabe/20201026-bachar-mar-khalife-racines-lexil
Autre billet Plan B sur un pianiste de talent, Salvatore Sclafani
Si vous aimez la musique, les artistes, je vous invite à découvrir mon émission Blablazik, 45′ d’échange comme si nous étions en backstage avec le plaisir du Live
Pour partager mes bons moments au Festival de Malguénac 2021, c’est là et c’est top, notamment la fin du reportage avec des jeunes qui témoignent, qui profitent à fond
Commentaires