Césars 2024, il sera une fois la révolution

Article : Césars 2024, il sera une fois la révolution
Crédit: Lénaïc Mercier

Césars 2024, il sera une fois la révolution

Je n’avais pas spécialement prévu de passer la soirée en compagnie des héros et héroïnes conviées à la remise des Césars vendredi 23 février, par écran interposé sur Canal +. Je ne suis pas mécontente de l’avoir fait. En clair, car je ne suis pas abonnée à la célèbre chaîne, je dirais même que je m’en serais voulue d’avoir manqué cette cérémonie culte, historique à plus d’un titre. L’envie d’en archiver le souvenir sur Plan B le prouve. J’ai donc choisi dix « instants » qui selon moi marque l’événement autant – voire plus – que le palmarès largement relayé par les médias. A noter quand même, pour la toute première fois dans l’histoire des Césars, les cinq actrices nominées pour la catégorie de la Meilleure actrice l’étaient pour des films réalisés par des femmes. Comment envoyer un meilleur signal aux jeunes générations, chez nous et dans le monde ?

Mieux comprendre ce qui s’est joué en direct devant des millions de spectateurs, le gratin de la presse et la toute nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, il faudrait rallumer dans les mémoires le scandale suscité par ce même rendez-vous télévisé, il y a seulement quelques années. Je passe. Je ne sais pas pourquoi la Cérémonie a perdu une partie de son nom d’origine. Toujours est-il que si nous ne sommes pas encore complètement sortie de la nuit, la promesse de l’aube n’a jamais été plus belle que vendredi soir.

Le film de genre « Il était une fois la révolution » dure 2h19. La cérémonie des Césars a sans doute duré plus de 3 heures. Combien de décennies précèdent cette révolution au sein du cinéma français pour que les projecteurs s’allument enfin sur des prédateurs récompensés à grand coup de statuettes ? Pour que dans cette lumière, des femmes osent dénoncer l’omerta sur leurs crimes et les dégâts irréparables dont ces hommes encensés par leur profession et le public sont responsables ?

En 2019, l’émission C à vous donne la parole à une journaliste de Médiapart qui a enquêté. En 2020, Adèle Haenel quitte la cérémonie des Césars au moment de l’attribution du César de meilleur réalisateur à Roman Polanski. En 2024, Judith Godrèche montre le chemin parcouru, celui qui reste à faire, les yeux dans les yeux, sans se mentir.

« La nuit des Césars a pour objectif de réunir le cinéma et la télévision et pour ambition d’offrir au public français une soirée équivalente à celle des Oscars aux États-Unis. »

Pierre TcheRNIA, 1976

Pour l’émotion et pour ce qui fit l’étoffe, le grain, la couleur d’une époque, je vous invite à aller consulter le site de l’INA pour voir comment Jean Gabin incarnait à sa manière le monde du cinéma au moment d’ouvrir la page d’une grande histoire, celle des Césars.

Où il est question en 1976 d’un ordinateur, mais pas de la façon dont les femmes en 2024 auront enfin toute liberté pour occuper le devant de la scène et affirmer leurs droits lors de la 49ème cérémonie des Césars Crédit INA

1. Et le César du meilleur costume est attribué à Ariane Daurat

Ariane Daurat, encore sous le choc après avoir obtenu le César du meilleur costume pour une proposition contemporaine et non pour un film d’époque

1er instant pépite de ma sélection, car cette remise de la statuette est la première qui revient au film Le règne animal. Cette fiction a rencontré un vrai succès d’estime dans les salles et a raflé un paquet de Césars tout au long de la soirée, meilleur son, meilleure photo, meilleure musique originale, meilleurs effets visuels, sans décrocher le Graal cependant.

Le prix de la réalisation, le prix du meilleur film, reviennent tous deux à Justine Triet pour « Anatomie d’une chute », déjà récompensée par la Palme d’Or à Cannes. Son film était initialement pensé pour réaliser une série. Du génie des producteurs !

Cette 1ère pépite, je la choisis aussi et surtout, parce qu’elle récompense une femme et son équipe, son talent artistique et son travail au service d’un projet cinématographique. Au moment de prendre la parole devant le parterre, Ariane Daurat est tellement submergée d’émotion qu’elle ne peut prononcer un seul mot, sinon merci.

Discours « coup de poing » à Cannes de Justine Triet le 27 mai 2023, soirée de clôture

Entre discours maîtrisé de Judith Godrèche et triomphe mérité de Justine Triet, la 49e cérémonie des césars a récompensé réalisatrices, scénaristes et actrices dans une ambiance feutrée, un peu en dessous de l’intensité du moment.

Journal Libération

2. Et le César de la révélation masculine est attribué à Raphaël Quenard

Symbole d’une génération qui n’entend pas s’excuser de ne pas laisser passer son tour, Raphaël Quenard est génial d’incongruité, de justesse et d’attachement à ce qui fait qu’il est lui, qu’il peut se sentir libre : ses racines, l’amour des siens et de la terre.

Commenter ce moment de vrai show TV à la mode Quenard, jeune comédien ultra-sollicité que j’ai repéré pour ma part non pas au cinéma mais à l’occasion des Q d’Or de l’émission Quotidien, est une gageure et en soi totalement inutile. Il suffit de se régaler en partageant son bonheur.

Je voudrais juste ajouter à ces images de direct que le cinéma, peu importe le pays qui soutient cette si belle industrie culturelle, a besoin de jeunes pousses dont les référentiels n’ont rien à voir avec ceux des générations qui les ont précédées. Raphaël Quenard comme d’autres artistes nés à la fin du XXè siècle ou au début du XXIè sont sans doute notre meilleure chance de trouver la façon de ne pas exploser en vol faute de savoir créer de nouveaux repères communs, une forme d’amour et de puissance universelle, plus forte que toutes les aberrations et les profits scandaleux d’une minorité prédatrice qui décide de notre mort et de celle de l’Humanité.

3. Et le 7ème Art créa Marion Cotillard : César d’honneur à Christopher Nolan

Entrée magistrale de Marion Cotillard sur « Chandelier » de Sia. Ce qu’elle nous partage va au-delà des apparences. Respect !

La grand-mère de Marion Cotillard, originaire de Laurenan, avait choisi de passer sa retraite en centre-Bretagne. Elle est décédée à Plémet à 102 ans, en 2011. Par pur chauvinisme mal placé, j’aurais pu choisir comme 1ère pépite ce moment très touchant de la soirée, où une actrice française célèbre courtisée par Hollywood rend hommage à un réalisateur à qui nous devons tant de succès mondiaux. Ce serait oublier que Marion Cotillard a atteint un tel niveau dans sa carrière d’actrice internationale que la magie opère ailleurs, à l’essence même de ce qui fait qu’une femme peut incarner à l’écran tant de destins, tant de mystère, tant de grâce, sans jamais s’enfermer dans l’image dont elle devient l’instrument dans les mains d’un réalisateur, d’une réalisatrice.

Quand l’actrice s’adresse à Christopher Nolan, c’est sans emphase, ni flatterie. Marion Cotillard incarne à ce moment là un parler vrai, un vécu. Surtout elle nous invite à crever l’écran pour nous intéresser au personnage Nolan, à ce qui dans son approche du 7ème Art et sa manière de vivre en fait un réalisateur rare. Avec tact et talant, elle rend aussi hommage à celle à qui le cinéaste anglo-américain doit sa réussite, son épouse, sa productrice, Emma Thomas, assise près de lui au premier rang.

4. Quand Jamel Debbouze encense son amie, Agnès Jaoui, figure à part du cinéma français

5. Quand la Bretagne s’invite dans le César du film court d’animation avec Eté 96, tourné à Carantec puis redessiné

6. Quand Sofiane Pamart fait courir ses doigts sur le clavier, seul en scène, l’envie d’amour tout court

SPLENDIDE !

7. Quand Justine Triet nous dit son amour et son admiration pour Sophie Fillières décédée en 2023

Il y a des absences qui pèsent lourd au moment de récolter les fruits d’une belle moisson de prix.

Les Films Pelléas / 
Les Films de Pierre via Wikicommons

8. Parole de monteur « Attention au connard que vous invitez à venir jouer avec vous »

Merci à Laurent Sénéchal, récompensé par le César du Meilleur montage pour « Anatomie d’une chute ». A la tribune, il nous offre un moment vrai. 38 semaines de montage, du jamais vu, mais avec Justine Triet à la barre, il ne faut plus s’étonner du culot. Les producteurs peuvent se féliciter de lui avoir facilité le chemin, ça paie ! Prochaine étape : les Oscars. A signaler au passage que la co-production du film est assurée par la télévision de service public.

C’est un métier d’adaptation, on est des raconteurs d’histoire, des accoucheurs qui accompagnent le cinéaste.

Laurent Senechal

9. Quand face à la chape de plomb, Judith Godrèche ose avec aplomb, les droits des femmes s’imposent

10. Quand la meilleure actrice du cinéma français est allemande et n’en revient pas de décrocher le César

Anatomie d’une chute sur Canal + diffusé le mardi 27 février

Pour les abonnés de la chaîne privée, le film vedette de la soirée des Césars 2024 est déjà disponible sur Mycanal. Après sa diffusion mardi prochain, un documentaire comblera l’attente des plus passionnés, voire des sceptiques, qui veulent en savoir plus sur le destin incroyable de cette fiction aux allures de polar qui représentera le cinéma français aux Oscars la nuit du 10 au 11 mars, avec cinq nominations des plus prestigieuses.

Comme un clin d’œil de l’Histoire du cinéma mondial, Justine Triet est la seule cinéaste à concourir pour l’Oscar de la meilleure réalisation. Chapeau Justine !

Justine Triet, réalisatrice d’Anatomie d’une chute et Sandar Hüller l’actrice principale – Raph_PH via Wikicommons

Être la deuxième femme de l’histoire des César à obtenir ce prix en 49 ans, ce n’est pas rien. C’est un peu flippant et génial à la fois. Cela donne de l’espoir pour la suite.

Justine Triet

Lecture publique d' »Anatomie d’une chute » de Justine Triet à Los Angeles, avant les Oscars le 10 mars

Pour conclure ce panorama, je vous invite à vous intéresser aux réactions dans le petit village savoyard qui sert de décor au récit, Villarambert.

« Je voulais une lumière froide, crue, des extérieurs puissants qui contrastent avec les intérieurs. Et les courbes de la montagne en fond, où on n’arrête pas de monter et de descendre pour essayer de comprendre cette chute »

Justine Triet

Si vous avez aimé lire ce billet, vous aimeriez peut-être celui que j’ai consacré à un autre paysage, à une autre lumière, grâce au film « Déserts » de Faouzi Bensaïdi, que je n’ai malheureusement toujours pas vu, ou il y a 10 ans bientôt à Pino, l’acteur phare du film de Abderrahmane Sissako, Timbuktu.

Quelques mois plus tard, ce grand film tourné en Mauritanie remportait 7 Césars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure photographie, meilleur montage, meilleur son, meilleure musique originale, meilleur scénario original.

Justine Triet, quant à elle, pourrait bien nous surprendre encore avec le tiercé gagnant : Palme d’or, six Césars et l’Oscar si convoité du meilleur réalisateur attribué à une femme.

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