fanchon

Huis clos nomade au coeur de la vallée du Drâa

Quelque part entre M'hamid et Marrakech Crédit photo : Fanchon
Quelque part entre M’hamid et Marrakech
Crédit photo : Fanchon

J’essaie d’habitude de prendre mon temps pour offrir à votre lecture des sujets, des instants, susceptibles de vous toucher. Après avoir laissé cette idée en friche pendant trois mois, j’ai envie aujourd’hui de faire une place à une autre approche de l’écriture : saisie sur le vif de façon quasi automatique, dans l’obscurité d’un minibus, entre lâcher-prise, lutte contre le froid et la fatigue. Cette nuit-là, j’ai sans doute éprouvé le besoin de me retirer dans ma bulle, sans perdre le fil de ce qui se passait autour de moi. Je revisite a posteriori, grâce à vous, des émotions mouvantes, contradictoires, exigeantes, sans pour autant m’imposer le devoir d’en dégager la moindre direction, sans non plus chercher à ré-écrire le récit d’instants, dont j’ai juste voulu rendre compte, sur le moment, lassée sans doute d’attendre la fin d’un voyage éprouvant. L‘aller-retour express du sud au nord marocain dont il est question dans ces lignes remonte au 5 janvier dernier. Le 7, alors que j’envisageais sérieusement de rentrer en Bretagne, profitant d’un passage à proximité d’un aéroport international, j’étais de retour dans les dunes de M’hamid el Ghizlane, où j’avais posé mes valises en décembre. Plus résolue que jamais à ne pas chercher à comprendre, pour mieux accueillir l’improbable…

Hors cette longue route interminable qui se fait dans un sens puis dans l’autre, il n’y a plus d’autre réalité que cet espace intimiste qui se confond dans la nuit entre le battement de mon cœur, le bruit du moteur, les bavardages, les rires. Nous sommes au Maroc, en plein hiver.

Mon plaisir serait que vous arriviez à sentir les amortisseurs et les secousses, non que je vous souhaite une lecture inconfortable, bien au contraire… Je vous embarque avec moi dans ce drôle de voyage en 4×4 et minibus. Un aller-retour express entre le désert et Rabat. Je suis en compagnie d’artistes qui vont donner un concert. A trois semaines du festival Taragalte, nous voilà en mode commando à l’assaut de la capitale et des médias, laissant derrière nous le silence des dunes, la beauté sauvage du Sahara.

20150120_234728Le voyage loin d’être onirique – il faut quand même les avaler les deux mille kilomètres aller-retour en moins de trois jours, avec passage obligé par les routes sinueuses de l’Atlas enneigé – n’en est pas moins étonnant. Le temps du trajet, je me nourris de cette étrange impression qu’un simple minibus peut remplir tous les offices, à l’exception de deux éléments essentiels de la culture nomade : le thé à toute heure de la journée, le feu.

Je vous présente les personnages de ce huis clos itinérant : quatre membres de l’association Zaila qui organise le festival, dont les deux frères Sbai, Ibrahim et Halim, six musiciens et moi qui suit la troupe, parfois médusée, souvent amusée, la plupart du temps étrangère à ce qui se raconte puisque je ne parle ni arabe ni tamasheq.  Autant que je précise aussi que je ne parle pas polonais non plus. TAK TAK !

Il n'est de plus beau carrefour que celui où je décide de bifurquer.
Il n’est de plus beau carrefour que celui où je décide de bifurquer.

Ah oui, je ne vous ai pas dit, la veille de notre départ de M’hamid el Ghizlane, Ibrahim Sbaï a pris en charge un couple d’autostoppeurs polonais, Stéphane et Yvonna. Après une seule nuit passée au sommet d’une dune, aboutissement suprême d’un périple où ces deux jeunes se sont exclusivement déplacés en stop, les voilà aussitôt remontés dans l’autre sens, vers Rabat, avec nous. Je ne pense pas m’en servir un jour, mais je sais à présent qu’il suffit de quatre jours en stop pour s’offrir une belle traversée de l’ouest de l’Europe et cinq pour passer de l’hiver polonais à l’hiver saharien !

Cette rencontre avec ces Polonais est loin d’être la seule sur le trajet. Ça monte et ça descend comme dans un ascenseur, sur le parcours. Avec des temps de « discut » plus ou moins longs. Comme je n’ai pas accès au scénar, je me satisfais de ce jeu de who’s who qui se déroule dans un si petit espace ambulant.

La palme de la visite la plus courte va à Sandra, topée à Casablanca grâce à Amin, styliste marocain qui s’est épris pour l’énergie qu’il a trouvée au cœur des dunes lors de sa visite à M’hamid, il y a une dizaine de jours, avec Oum, marraine du festival. Sandra embarque, un large sourire aux lèvres, comprend rapidement qu’elle doit aller à l’essentiel, car le minibus attend juste deux nouvelles personnes à redescendre vers le désert, des Françaises cette fois, je crois. Sandra trouve un siège, sort un ordinateur portable, sans plus de cérémonie, et voilà que la voix qui s’échappe de la petite machine insignifiante emplit tout l’espace et me téléporte illico. La scène se passe à Casablanca même, et du coup, si nous étions tous des personnages de roman ou dans une fiction sur grand écran, il y aurait là matière à une belle mise en abîme.

Le teaser ci-dessous qui était alors en cours de réalisation ne vous permet pas de découvrir la voix fabuleuse et l’énergie monstre de cette chanteuse canadienne, mais elle dit tout de la démarche qui fonde son projet de création artistique. Vous saurez bien la retrouver cette voix, si ça vous chante !

Amin et Sandra nous quittent déjà et disparaissent dans la foule marocaine, tandis que le minibus reprend la route avec les deux jeunes Françaises à bord. Elles semblent déjà bien connaître l’équipe du festival. J’en apprendrai plus, une fois tout le monde débarqué dans le désert, c’est-à-dire à pas d’heure. J’entends parler de livre, de projet, de photo, de vidéo…J’entends aussi parler de Taïwan et je me demande si ce minibus ne disposerait pas d’une sorte d’option immatérielle, en plus du système airbag, de l’ABS, de cette foutue bande-son qui finit par me vriller le cerveau : celle d’exploser les échelles du planisphère telles qu’elles s’étaient construites dans ma vie tranquille de bretonne attachée à sa petite zone rurale du Centre-Bretagne.

Je ne cherche pas à comprendre. C’est ça le vrai luxe, laisser la machine à tisser s’activer sous vos yeux, suivre en dilettante, en novice, l’impression des motifs, toujours changeants et pourtant si fidèles à une logique décousue, sorte d’espéranto alambiqué, qui servirait de code commun entre toutes ces personnes qui se parlent, s’agitent, renversent leur jus d’avocat sur leur voisin, empestent l’atmosphère à cause d’une malencontreuse crotte de chien croisée lors d’un arrêt, réinventent le monde dans des gestes drôles, des regards complices. BORDEL !

Je décide finalement de me mettre moi-même en apnée. J’écris dans le noir avec en fond sonore les cris des femmes qui rythment les mélopées qui passent en bouclent dans l’habitacle réduit mais confortable. Ai-je besoin de retrouver mes références ou de me rouler en boule, au chaud, dans un silence vertigineux qui pourrait seul me ramener à l’équilibre ?

Je me projette chez moi, je pense bizarrement à l’art dans les chapelles. Quel rapport me direz-vous entre musique touarègue, un festival dans le désert et le petit chouchou des festivals d’art contemporain qui permet à un territoire ignoré le reste de l’année de faire la Une de Télérama ou du Monde, créant l’émoi dans les chaumières (euh, même pas !) ?

Aucun. Juste l’incongruité de rencontres auxquelles j’assiste, étrangère et heureuse de l’être. Sur le métier à tisser, j’attrape ce fil dans mes pensées nocturnes, et je n’en fais rien. Mzian. Je continue à me laisser bercée par la route et l’inapropos finalement délicieux d’un non-lieu qui donne toute sa saveur à ce qui dans un cadre plus classique, ne seraient ni plus ni moins que quelques regards et paroles échangées.

Les deux françaises que j'accompagne volontiers pour mon unique sortie touristique, près de Ouarzazate, avant de reprendre la route pour M'hamid.
Les deux françaises que j’accompagne volontiers pour mon unique sortie touristique, près de Ouarzazate, avant de reprendre la route pour M’hamid el Ghizlane.

Est-ce le fait de la présence des deux jeunes Françaises montées à Casa, les musiciens se mettent à danser sur le bord de l’autoroute à la première halte sans doute passablement alcoolisés. Comment ne pas sourire, malgré la fatigue, à ce spectacle improvisé que j’attribue peut-être à tort à un réflexe bien humain, qui surpasse celui de se dégourdir les jambes après tant d’heures de route. C’est vrai qu’ils sont beaux ces grands oiseaux un peu fous. La chasse à la gazelle étant un sport national, ils auraient bien tort de cacher leur jeu et leurs meilleurs atouts. Je replonge dans mes pensées, amusée. J’ai découvert sur l’aire que nous avons quittée un peu plus tôt que l’on pouvait concilier sans problème, société de consommation, le plastique coloré des jeux pour enfants et l’aspect plus austère d’une maison de prière. Voilà comment on met le doigt sur une inculture incroyable liée à l’absence de voyage, en tout cas en terre musulmane asphaltée.

A 20 heures, l’ambiance s’est un peu calmée, un musicien continue à frapper le djembé pour accompagner l’autoradio ou le fil de ses pensées. Nous sommes toujours sur l’autoroute, terrain plat, signe qu’on n’est vraiment pas couché ! A l’avant, près de Rachid, notre chauffeur qui n’a pas encore mis sa tenue traditionnelle, indispensable pour lutter contre le froid de l’Atlas, Halim Sbaï et Intidao. Si vous connaissez Tinariwen, alors vous connaissez Intidao, sans le savoir peut-être.

A l’arrière, un autre musicien de Kidal, Zeidi Ag Baba, l’artiste qui m’a attirée dans cette toute première aventure saharienne. Intidao et Zeidi ont accompagné la veille sur scène le groupe Génération Taragalte. Le temps d’un unique concert promotionnel dans la capitale et tout le monde rentre au bivouac, retour express au bercail. Car ce n’est pas le tout de faire les colonnes des journaux, il y a des tonnes de matos à déplacer pour monter le festival en moins de trois semaines, des centaines de paires de bras à manager pour que tout soit prêt avant le jour J, sans  oublier les millions de détails essentiels qui font le quotidien de tout organisateur de festival : boucler la programmation, réserver les billets d’avion, anticiper les éventuels problèmes de visa, préparer le meilleur accueil à la Caravane culturelle pour la paix qui entame à Taragalte sa 2e édition, avec une toute nouvelle formation : Malikanw/Voix du Mali, produite par Essakane production (Festival au désert en exil), et les musiciens de Ben Zabo, ambassadeur du Festival sur le Niger.

Zeidi et Intidao sur scène avec Génération Taragalte le 6 janvier 2015 à Rabat.
Zeidi et Intidao sur scène avec Génération Taragalte le 6 janvier 2015 à Rabat.

Je n’imaginais pas commencer ce récit dans ce minibus, mais une fois tranquillement installée dans le frigo qui me sert de bureau au bivouac du « Petit Prince » ! C’est là que j’écris tous les textes en français nécessaires à la promotion du festival, aux échanges avec les artistes et les partenaires.

Pour être honnête, je m’interroge encore  trois mois plus tard, sur l’intérêt de publier ce récit. Pourtant c’est bien lors de cette longue escapade à Rabat que j’ai décodé, presque à mon insu, ce qui se nouait dans une question que j’avais mise dans mes bagages à l’aller, prête-moi aussi à descendre du minibus, à un moment ou à un autre, sur le trajet : should I stay or should I go ?

 

Depuis mon sort s’est lié, non pas à Taragalte, mais à la Caravane culturelle pour la Paix comme je le souhaitais en m’envolant pour le Maroc le 15 décembre 2014, à la fin du festival No Border à Brest. Rentrée en Bretagne, après les trois jours de festival et mes retrouvailles avec Manny Ansar, Abdallah Ag Amano, Bina (batteur de TADALAT), je n’avais qu’une envie : retourner à M’hamid el Ghizlane, ce drôle de village au bord du Drâa, dernière oasis aux portes du Sahara.

Pouvais-je imaginer que cet attachement prendrait racine dans l’alchimie qui apprivoise les âmes endormies, frigorifiées, bercées par les cahots d’une route sinueuse en altitude ? Je ne savais pas alors que le spectacle d’une lune pleine, radieuse et généreuse, sur les reliefs accidentés de la vallée du Drâa, m’offrirait la clé de ma propre plénitude. A l’aller, enthousiaste à l’idée de voir enfin du pays, le sourire aux lèvres, avec un polonais endormi sur mon épaule gauche, une Polonaise endormie sur mon épaule droite, au retour, éreintée, vidée, mais tout compte fait soulagée d’être encore du voyage.

La confiance et la fatigue aidant, je ne m’étonne même pas de pouvoir si simplement m’autoriser à laisser ma tête rouler sur l’épaule de mon voisin dans un demi-sommeil.  A mon tour ! Etait-ce parce que j’avais dépassé mon seuil de résistance après tant d’heures de route, ou la chaleur humaine peut-elle à tout moment venir à bout du froid glacial qui s’amuse avec nos sens ? Toujours est-il que la célèbre réplique de Molière, « Que diable allait-il faire dans cette galère ? », qui m’avait tenu compagnie souvent depuis mon arrivée au Maroc, ne me semblait plus faire écho à l’humeur voyageuse, qui se réveillait un peu tard pour me laisser goûter enfin le plaisir gourmand de ces instants magnifiés par l’imprévu, que je décidais d’habiter.

La vie avait pour moi d’autres projets de huis clos nomade au coeur de la vallée du Drâa. Je l’ignorais encore cette nuit-là, mais je n’étais déjà plus si pressée d’en finir avec cette route interminable…

De retour au bivouac du Petit Prince

Mohamed


En attendant Moussa

Une fois n’est pas coutume, je reproduis ici en l’état (les fautes de frappe en moins) un billet du jour publié ce matin au saut du lit sur ma page facebook, écriture spontanée.

Ce n’est pas parce que nous vivons dans un pays en paix…
[mais est-ce qu’un pays, une nation, qui se réjouit d’une vente de 24 avions Rafale est un pays en paix d’ailleurs ? Silence, la question mérite réflexion]
qu’il faut baisser la garde…républicaine :))

L’humeur du jour….

Bien sûr, vous le reconnaissez… il n’y a que lui pour avoir cette classe là, en toute circonstance :))

Zeidi Ag BABA sur la scène de TARAGALTE - Crédit photo Louis TISSIER
Zeidi Ag BABA sur la scène de TARAGALTE – Crédit photo Louis TISSIER

Zeidi relooké à Taragalte par son ami Amine, styliste marocain, symbole d’un blues touareg en mutation qui n’a pas fini de nous surprendre, symbole aussi d’une victoire sur toutes les portes désespérément closes qui vont à l’encontre d’un droit international fondamental : la mobilité des artistes.

Zeidi était hier soir sur scène, au Mali, à Mopti, avec tous les artistes de la Caravane culturelle pour la Paix et c’est à la fois grâce au Sud-Maroc et au Morbihan que ce petit miracle a lieu.
Il appartient désormais à Zeidi de savoir ce qu’il veut/peut faire des miracles :))
Il appartient surtout au Consulat de France à Bamako de reconnaître le travail anonyme réalisé par une élue et des habitants d’un territoire rural pour arrêter de nous faire passer pour des…passeurs !!!!
Au passage, je mets le pPréfet du Morbihan dans la même barque à faire chavirer pour faire mourir sur les côtes de la planète Musique toutes les hypocrisies d’un système qui bâtit son économie sur la misère et tant qu’à être cynique, – c’est vrai ça, pourquoi s’arrêter à la guerre des visas -, sur la vente d’armes.
Vive la République, vive la France !

Message personnel : Monsieur le préfet du Morbihan qui avez refusé la prolongation de visa de Monsieur Zeidi Ag Baba et avez ruiné tout nos projets de coopération artistique et culturelle ce faisant, merci de rappeler votre ami Jean-Louis Soriano à Bamako pour lui dire que je ne cache personne dans ma cave. Ma cave, c’est ma maison, un vrai frigo, alors si des gens voulaient vraiment s’installer en France, il ferait mieux de choisir une autre adresse !, petit conseil au passage. Déjà moi j’ai fui au Sahara pour m’éviter un 8ème hiver dans ces conditions, encore heureux, j’ai pas eu besoin de visa pour me chauffer gratos au Maroc, juste 100 euros, tout ce qu’il me restait à la banque.
Monsieur le Préfet du Morbihan, merci de rappeler votre ami Jean-Louis Soriano à Bamako pour lui dire que j’entends bien refaire une demande de visa pour un autre artiste, dont personne n’a le droit de nous priver : MOUSSA MAIGA, resté à Kidal toute la durée du conflit. Et que cette fois, n’étant plus élue en charge de la Culture sur 45 communes rurales, je n’aurai aucune raison de douter du bon fonctionnement de notre administration française et je pourrais plaindre ce Monsieur, dont le bureau croule sous les demandes de visa : 120 par jour.Tellement c’est trop, maintenant ce n’est même plus le consulat qui prend les demandes de rendez-vous,il faut passer (et payer bien sûr) par un service extérieur. Oui, c’est pas bien dificile, dans le fond, de faire tourner une économie sur le dos de la misère…il suffit d’oublier chaque jour un peu plus les principes fondamentaux qui fondent une société, son développement, et après tout semble normal et vous n’avez plus qu’à voter Front national, histoire de pêter un bon coup de frein quand votre économie est déjà à l’arrêt. C’est simple, non ?

Revoir un artiste heureux sur scène ne devrait pas relever du challenge permanent selon que l'on est un artiste du Nord ou du Sud
Revoir un artiste heureux sur scène ne devrait pas relever du challenge permanent selon que l’on est un artiste du Nord ou du Sud

Aucun cadavre qui s’échoue sur nos côtes européennes ne devrait être anonyme. Si nous ne pouvons pas sauver la vie de ces clandestins, sauvons au moins le droit et battons-nous aux côtés des artistes, des festivals qui les font tourner malgré les obstacles. Un peuple meurt quand il cesse d’être créatif, c’est ça ? Amis bretons, les Kel Tamasheqs sont le meilleur exemple d’un peuple, d’une culture, qui ne veut pas mourrir !

C’est nous qui avons besoin des touaregs pour nous rappeler cette vérité bafouée par les Etats eux-mêmes et leurs administrations zélées qui coupent si bien les Z’ailes à qui voudrait voir les hommes et les femmes voler, s’émanciper, plutôt que de vivre en esclave.
Si les Kel Tamasheqs, les hommes libres, ont besoin de moi, de vous, c’est juste parce que la FRANCE, notre si beau pays membre du G8, leur a imposé une situation ingérable, invivable, et que par dessus le marché elle retient prisionnière dans son propre pays, que ce soit le Mali, le Niger, le Maroc, l’Algérie… la nouvelle génération d’artistes qui pourrait contribuer à ramener la paix au Sahara !

Au passage, amis bretons, vous connaissez bien le Ministre de la Défense qui sert la cause juste défendue par François Hollande au MALI, Jean-Yves Le DRIAN, c’est un breton lui-aussi et pas des moindres.

En dehors des nombreux bénévoles qui accompagnent le projet artistitique de Zeidi, le seul breton dans ce dossier qui mérite mon respect et à qui je dois une gratitude sans nom, c’est le breton de la région de Pontivy qui, à peine arrivé en poste à Kidal, a demandé à rencontrer Zeidi Ag Baba et l’a mis dès le lendemain dans un hélicoptère pour lui permettre de rejoindre Bamako pour sa demande de visa, déjà refusée deux fois malgré tous nos efforts, ceux de l’intéressé, de ses amis au Mali, de sa famille.

Des gars comme ce Pontivyen anonyme, je dis BRAVO ! 

Elle serait belle la France aujourd’hui, s’il n’y avait eu que des collabos et pas de gens courageux pour désobéir et prendre des risques ! Ce n’est pas parce que nous vivons dans un pays en paix…
[mais est-ce qu’un pays, une nation, qui se réjouit d’une vente de 24 avions Rafale est un pays en paix d’ailleurs ?))….silence, la question mérite réflexion]
…qu’il faut baisser la garde…républicaine :))

Quelques heures plus tard, j’écrivais ceci, en réaction à la traduction d’une chanson de TINARIWEN

A méditer…à force de déserter nos instutions, nos consciences, nos villes, la bienveillance (à ne pas confondre avec vidéosurveillance !), l’amour de l’être humain, l’amour des ressources qui lui permettent de survivre, pauvrement, modestement ou sans aucune retenue ni considération pour les autres, pourait ne plus jamais recroiser nos routes….Merci TINARIWEN (lien vers la chanson ci-dessous)

Mais vous vous demandez qui est Moussa ? Normal ! Figurez-vous que moi aussi, puisque je ne l’ai jamais rencontré. Kidal, ce n’est pas la porte à côté et puis ce n’est pas trop conseillé d’y mettre les pieds. Mais une chose est sûre, je l’attends, il est en chemin, et si tout va bien, il pourra bientôt nous faire partager sa musique, sa poésie, son histoire, made in SAHARA, inchallah.

Si vous êtes trop impatient de faire sa connaissance, vous pouvez toujours le croiser sur ce blog dans l’article consacré à son ami PINO, qui aurait tellement voulu qu’il l’accompagne dans l’aventure du tournage de TIMBUKTU.

https://dernierbaiser.mondoblog.org/2014/12/08/hymne-diversite-sel-vie-ses-langages-pino/

 

Moussa, guitariste de KIDAL, pilier avec son ami PINO du groupe AMAWAL
Moussa, guitariste de KIDAL, pilier avec son ami PINO du groupe AMAWAL

TINARIWEN – ARHEGH DANAGH

ARHEGH DANAGH
(Mes amis, je tiens à vous dire)
« Mes amis, je tiens à vous parler des aventuresCe qui touche le cœur ne peut pas être cachéEt tout ce qui l’atteint le blesseL’amour d’aujourd’hui est comme un miragePlus tu t’en apprcohes, plus il s’éloigne,

Ça fait dix ans que l’amour m’a laissé

Qu’il a déserté mon âme

Et n’a plus croisé mon chemin. »

ARHEGH DANAGH
(My friends, I want to tell you)

« My friends, I want to tell you about adventures

What touches the heart cannot be hidden away

And all that reaches it wounds it

Today’s love is like a mirage

The closer you get, the further away it goes

It’s been ten years since love left me

That it deserted my soul

And no longer crosses my path. »

 


Hospitalité et dialogue : la belle leçon de vie des nomades à Taragalte

Que l’on soit fan de musique, amateur de beaux plateaux artistiques, ou tout simplement adepte de belles ambiances qui transcendent les foules, il y a toujours un festival, petit ou grand, pour nous offrir une rupture salutaire avec le quotidien. En Bretagne, terre de festivals par excellence, nous sommes un peu les enfants gâtés de cette planète. Alors, la moindre des choses est de nous intéresser à ce que vivent ailleurs d’autres acteurs associatifs qui, par leur engagement au service de la diversité culturelle, contribuent à faire vivre une économie réelle, porteuse de sens, de valeurs et de lien social.

A M’hamid el Ghizlane, entre oasis et désert, le bivouac du Petit prince se prépare à accueillir les festivaliers du 23 au 25 janvier

 

C’est à Taragalte que j’ai choisi de poser mon baluchon de «mondoblog-trotteuse», fin décembre, pour vivre une expérience nomade, au sein d’une équipe que j’apprends à connaître et à apprécier au fil des jours, au rythme des nuits étoilées. Car le soir tombe vite ici. Quand les ouvriers ont laissé pelles et truelles, piquets de tente et marteaux pour rejoindre leurs quartiers, c’est l’heure où je suis  le plus utile, grâce à ma maîtrise de la langue française, à cet attrait qu’ont pour moi les belles aventures humaines. J’ignore tout du projet, et c’est là que se trouve ma première motivation : être à l’écoute pour rendre le plus fidèlement possible la profondeur de ce qui se vit ici, dans ce décor saugrenu pour la bretonne que je suis : du sable, du sable, du sable !

Deux guerres, trois rencontres et une caravane culturelle pour la paix m’ont conduite jusqu’ici : la guerre au Mali d’une part et de l’autre celle menée contre la terre entière par des groupes organisés, financés, armés, dont les actes ont pour cibles directes la dignité humaine et la liberté. Qu’ils se réclament de tel ou tel Dieu, qu’ils soient une poignée à se faire exploser, ils sèment la terreur. Leur stratégie, leur dangereux  pouvoir est de faire en sorte que la terreur soit l’arme que nous retournons contre nous-mêmes pour que l’ignorance, l’intolérance se propagent encore plus vite et fassent leur moisson de nos renoncements, de notre aveuglement.

« Quand une minorité se sert de l’ignorance comme une arme, la majorité, c’est-à-dire chacun d’entre nous,  peut et doit agir pour faire face à la menace terroriste mondiale avec logique, responsabilité, conviction.  Tout acte terroriste, toute forme de violence est une expression de faiblesse, de lâcheté. L’aveuglement de quelques individus extrémistes ne doit pas laisser croire que nos diverses cultures seraient si fragiles qu’elles ne pourraient pas cohabiter en paix. Le manque de dialogue, le déficit de réflexion est notre premier ennemi, car il n’y a pas pire que le matérialisme au service de l’ignorance. » Ibrahim SBAÏ

Pour les rencontres, il s’agit de trois hommes, au passage tous trois musulmans : Zeidi Ag Baba, musicien, Manny Ansar, directeur du Festival au désert en exil,  Ibrahim Sbaï, directeur artistique du Festival Taragalte. C’est grâce à l’invitation d’Ibrahim que je vous propose aujourd’hui de vous installer au Bivouac Le Petit prince, à M’hamid el-Ghizlane, au Sud du Maroc. Vous avez laissé derrière vous les sommets enneigés de l’Atlas, les paysages époustouflants de la Vallée du Drâa, et vous voilà, entre oasis et désert, au pays des dattes et des caravanes. Bienvenue ! Merhaba ! Le traditionnel thé du désert nous tiendra compagnie, comme le rire des ouvriers qui s’activent pour que la fête soit belle dans quelques jours.

Les hommes de chez toi, dit le Petit prince, cultivent cinq mille roses dans un même jardin…et ils n’y trouvent pas ce qu’ils cherchent…Et cependant ce qu’ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d’eau…

Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry, 1943

Ici le blues du désert n'est pas un mythe, c'est, aussi vitale que le thé, une histoire de partage.
Ici le blues du désert n’est pas un mythe, c’est, aussi vitale que le thé, une histoire de partage. Lahcen, pas peu fier, me demande de le prendre en photo avec les artistes de Kidal en résidence, Zeidi et Intidao

J’ai rêvé d’un village mondial éphémère en plein désert

A l’heure où j’écris, comment ne pas penser que cette région située dans la province de Zagora est malheureusement l’une des rares régions du Sahara où une occidentale peut encore s’égarer sans craindre pour sa vie. Le désert devrait tellement être synonyme de paix. De fait, je me sens extrêmement privilégiée de découvrir, sur le tard certes, mais mieux vaut tard que jamais, l’extraordinaire majesté des lieux et l’hospitalité qui caractérise si bien les nomades.

Car peu importe la beauté du cadre, si le sentiment d’harmonie, de liberté qu’il inspire est troublé par des images, fugitives mais tenaces,  qui rappellent combien la guerre est un luxe qui se monnaye entre puissants quand la paix, bien moins lucrative,  reste un rêve inaccessible pour une bonne partie de l’humanité.

Bien sûr, ici, tout le monde ou presque vit du tourisme, bien sûr, le 4×4 est devenu l’alternative high-tech d’une industrie qui n’a néanmoins rien à voir avec le tourisme de masse tel qu’il se pratique sur le globe, sous toutes les latitudes. Bien sûr, le désert lui-même n’échappe pas aux raccourcis qui servent tant de fantasmes et stimulent les flux Internet au gré des offres d’innombrables agences de voyage qui se partagent le marché.

Lahcen, champion de course de dromadaires participe au montage de la scène du Petit prince
Lahcen, champion de course de dromadaires, participe au montage de la scène du Petit prince

Mais le désert, comme les nomades, ne se laisse pas enfermer si facilement dans des clichés. Le Festival Taragalte en fait la démonstration et d’une bien jolie façon. Pour sa 6ème  édition, l’organisation a dû pourtant faire face à un imprévu générant des coûts supplémentaires non négligeables : les inondations de décembre.

CAM03434
Lahcen a perdu son dromadaire pendant les inondations, il me montre les photos des bivouacs dévastés.

Pour vous donner une idée du contexte, il fallait alors faire 80 km pour aller du village au site du festival, de l’autre côté du Drâa. Un propriétaire d’auberge me racontait encore aujourd’hui comment il était resté bloqué quinze jours sans pouvoir rejoindre l’autre rive, pourtant si proche. Un jeune du chantier, sur le site du festival, me raconte comment le dromadaire qui lui avait permis de remporter sa première course était mort, emporté par le courant. Les chameaux sont chaussés naturellement pour le sable, ils ne peuvent pas fuir en cas de montée rapide des eaux.

Plusieurs bivouacs qui permettent d’accueillir les touristes en plein désert sont détruits. Les constructions de terre, omniprésentes dans le paysage,  subissent elles aussi de graves dégradations. Je comprends petit à petit l’ampleur du phénomène dont j’avais eu écho. Mais un peu partout au même moment, les TV diffusaient en boucle les images de sinistrés dans  les pays du Nord, en France notamment, eux aussi confrontés au dérèglement climatique. J’invoque mes souvenirs des inondations successives,  l’hiver dernier, à Pontivy, mais comment imaginer que cet oued apparemment inoffensif, que les  habitants  le traversent à pied, ait pu produire autant de dégâts sur son passage.

Une semaine après mon arrivée, un gué provisoire est à nouveau opérationnel. Sans ce lien entre les deux berges, il n’est pas possible de faire passer le matériel nécessaire au montage du festival qui se déroule, depuis sa création en 2009, au cœur des dunes. Au bivouac du Petit prince, le chantier se fait d’abord exclusivement à main d’hommes. A dix jours du festival, le chantier connaît une subite accélération. Les tonnes de sable qu’il reste encore à déplacer pour accueillir dans les meilleures conditions les 5000 festivaliers attendus,  nécessitent d’être transportées par des engins motorisés.

Les tentes se montent à vitesse grand V un peu partout sur le site.  On attend d’un jour à l’autre les professionnels qui vont installer la grande scène. La fourmilière s’active et le 23 janvier pour l’ouverture officielle, l’hommage que veut rendre Taragalte au passé des caravanes, à leur rôle primordial dans l’histoire économique et culturelle de cette partie du monde, sera déjà bien vivant dans l’esprit de ce campement nomade improbable,  réunissant dans un même espace vierge de toute infrastructure, des publics, des artistes aussi différents.

Le campement nomade du festival sous le vent de sabl
Campement nomade de Taragalte sous le vent de sable

Ibrahim Sbaï dirige les opérations entouré par une équipe soudée : Salah, Abbas, Lahcen…Rien que le spectacle de la voûte céleste est en soi un festival, me confie-t-il un soir. C’est vrai qu’ici, quand le silence reprend ses droits, tout semble vibrer d’une si belle énergie, avant même le branchement du premier ampli. Mais il suffit de jeter un oeil au programme pour voir combien l’entreprise est ambitieuse, malgré des marges de manœuvres financières déjà limitées, revues à la baisse.

La musique en partage dans un désert sans frontières

INTIDAO, avec des musiciens du groupe local, soutenu par le festival depuis sa création en 2009

Dans la semaine précédant le festival, le bivouac du Petit prince se transforme en résidence d’artistes pendant que le montage se poursuit. C’est une jeune chanteuse à la voix puissante, Sandra Amarie, qui vient s’installer pour travailler avec  les cinq musiciens du groupe Génération Taragalte et deux artistes de Kidal, Intidao, Zeidi Ag Baba. A la croisée des inspirations, des sonorités, des langues, le dialogue entre les cultures qui fera l’objet d’une conférence dimanche prochain avec des représentants de différents festivals africains, se traduit d’abord dans cette volonté de soutenir la création, ici, aux portes du désert.

L’association ZAÏLA s’est donné pour défi de faire chanter les dunes pour redonner vie à cet endroit magique, haut lieu du patrimoine des caravanes. On peut lire sur le descriptif donné par le site internet de la manifestation: « S’inspirant de ce carrefour de routes séculaires, bénévoles, habitants, artistes et public, partenaires du festival se rassemblent autour d’une noble cause : penser l’art et la culture comme une clé essentielle de modes de développement responsables, solidaires, et de rapprochement entre les peuples. »

A la tombée du jour, vers 17h30, avec en fond de la scène TARAGALTE les couleurs flamboyantes du soleil couchant, les grands concerts commenceront avec pas moins de 60 artistes venus d’horizons différents :  ZOUMANA TERETA-ZOU, MARIA SAYON SIDIBE-SADIO, AHMED AG KAEDY, PETIT GORO & ZOU, CHEICK SISSAKO, SAMBA TOURE, OUM, AZIZ  SAHMAOUI & University of Gnawa, MAHMOUD GUINIA, BEN ZABO, INTIDAO, ZEIDI AG BABA, MALLAL, SANDRA AMARIE, CHEBAB ASSA TARABE HASSANI, GENERATION TARAGALTE, CHAMRA, AHIDOUS, ROKBA GANGA, GEDRA, TRIBES DRÂA.

La musique résonnera  aussi durant ces trois jours sur la scène acoustique du Petit prince et dans l’ambiance familiale du campement nomade, tout proche. Il va s’en passer des choses sous la khaïma (sous la tente), thème retenu par l’équipe pour cette édition 2015. Sur le site du festival, un espace central est dédié à l’habitat nomade, aux objets de la vie quotidienne des familles sahariennes, avec les spécificités propres à chaque région : ici, la différence se partage de façon ancestrale pour nourrir un même sentiment d’appartenance à une grande communauté de destin.

Une belle leçon de savoir-vivre dont nous ferions bien de nous inspirer, non ?

Je vous laisse poursuivre la découverte de cette riche aventure aux portes du Sahara comme bon vous semble, mais je vous invite à aller plus loin que la lecture de cet article, notamment en vous intéressant à la Caravane culturelle pour la paix, dont le coup d’envoi de la 2ème édition aura lieu ce week-end à Taragalte.

Voir les reportages sur la 1ère édition de la Caravane pour la paix

https://www.youtube.com/watch?v=0Z0yybqtQn4

https://www.youtube.com/watch?v=_NFyWrMOavk

Voir le programme de la 6ème édition de Taragalte  https://www.taragalte.org/

Voir les photos de Mehdi Ben Khouja, soirée de lanceent du Festival Taragalte  RABAT le 6 janvier 2015, concert de Génération Taragalte avec INTIDAO et ZEIDI AG BABA

Pour organiser un séjour, une bonne adresse, un vrai petit coin de paradis l’auberge de la Palmeraie

B comme bonus – Rencontre avec Génération Taragalte, dignes héritiers de TINARIWEN

CAM03855

CAM03505CAM03861CAM03864

CAM03867

 

 

 

 


Blanche l’horreur, la folie, la barbarie

1536690_722333187777587_722312078_n

Immaculée saleté, au nom des pères !

Blanche la douleur sous la lame aveugle

Qui détricote tes chairs, à vide, avide,

Elle se délecte de ta peur

Et sème dans chaque plaie ouverte

Les germes d’une moisson sans graine.

Blanche la haine dans les yeux sans larmes,

De ceux qui laissent faire

Foules innombrables, vous pleurez en dedans,

Mais vous noyez ce qui reste de sagesse,

D’obéissance aux lois suprêmes,

Tu ne tueras point, tu ne tueras point

Blanche, ma peine, immense, inutile,

Qui raccommode au gré du vent

De quoi rhabiller nos rêves livides

Désarçonnés par tant de barbarie

Faut-il que l’homme soit si stupide

Pour chérir à ce point l’ultime connerie ?

Blanche est la vie, blanc ton sourire, blanc le serment par lequel tout grandit

Blancs les sommets, blanches les forêts, blanche l’écume, blanches les dunes

Blanche ma joie de t’avoir choisi,

Blanche ma peur d’être aimée ainsi

Par l’angoisse de te perdre, par l’angoisse de mal faire

Blanche la confiance qui se gagne chaque jour

Au nom des mères, au nom de l’amour

Pontivy, 21 août 2014


LES HYENES

 

Les rivières à sec ne chantent pas, elles saignent.

M'hamid el Ghizlane, dans les dunes
M’hamid el Ghizlane, dans les dunes

Les hyènes

Quand la fraicheur de la nuit efface ce qu’elle peut des odeurs nauséabondes semées par le jour ignorant de toute beauté, préférant offrir à la lumière crue du soleil l’incurie des bêtes déchaînées autour de la carcasse encore chaude des rêves qu’elles ont tués de leurs crocs  insatiables

Quand la lune à force de pleurer demande qu’on lui donne pieds et jambes pour parcourir les dunes à la recherche des étoiles tombées une à une, ne laissant dans le ciel que la compagnie de machines, ferrailles en tout genre et autres satellites, pour mieux se fondre poussière en un soupçon d’oubli

Quand l’âme se fait chant au cœur du cimetière immense, évoquant les traces qui se croisent et se recroisent dans le sable à perte de vue, tel le ballet incessant de la proie et du prédateur, une question subsiste qui s’écrit dans le silence des tombes. Un croissant de lune, un ciel d’hiver, pour seule réponse.

Celui qui se dit proie en prédateur s’avoue mourir, qui croit chasser se sent pris à la gorge quand l’ombre de sa haine devient linceul. L’homme errant au crépuscule à la recherche des traces laissées le matin ne sait pas après quoi il court tout le jour. Il ignore tout à sa fuite que ses pas l’emmènent tôt ou tard à la croisée de sa propre route.

Toutes les traces se ressemblent, même les hyènes en ont peur, comment reconnaître la sienne quand posséder importe plus que se sentir vivant ?

Il vient toujours un moment, un carrefour, où l’angoisse d’un dialogue difficile s’invite en chemin.  Les rivières à sec ne chantent pas, elles saignent.

Pour Mohamed, une étoile dans un ciel d’hiver à Kidal

Bivouac Le petit prince, M’hamid el Ghizlane, 29/12/14

B comme big bang
B comme big bang

 


B comme bénévole et bénaise de l’être

Du 1er au 7 décembre se tenait le Fesival du Théâtre des Réalités à Sikasso, Mali, rencontre avec une bénévole à l’image des jeunes de son époque, avides d’un monde dont l’exploration contemporaine passe par l’invention de nouvelles cartes…d’identité plurielle, au-delà des frontières, au-delà des différences, au-delà de l’ignorance

Avec Plan B, je vous ai surtout présenté des artistes, mes coups de cœur 2014 en quelque sorte : Zeidi Ag Baba, Mehdi Nassouli, Pino. D’autres belles rencontres viendront vous donner l’envie de venir savourer quelques instants de plaisir sur ce blog en 2015, j’y travaille…. mais aujourd’hui, place à un autre type de portrait : celui d’une jeune femme qui a bien voulu répondre à mes questions en plein rush, et je la remercie ici vivement.

Moussa, bénévole à ACTE SEPT, Bamako
Moussa, bénévole à ACTE SEPT, Bamako

La seule chose que nous partageons, sans nous connaître, c’est notre statut de bénévole de festival et peut-être, à vous d’en juger, une bonne dose de bon sens ! Quant à l’expression « bénaise », elle me vient justement d’une expérience de bénévolat particulièrement riche en Poitou-Charentes : la mise en place du festival du Nombril du monde, en 2012, sous la direction de mon ami Denis LECAT, à Pougne-Hérisson (oui, ça ne s’invente pas !).

Mon invitée du jour s’appelle Massou.  Si je l’ai sollicitée, c’est parce qu’elle a intégré l’équipe d’un festival avec lequel j’ai essayé de monter un projet de coopération culturelle dans le cadre d’un programme qui s’appelle RECIPROCITE. Pour X raisons, ça n’a pas marché, mais j’ai continué à m’intéresser à la structure associative qui avait accepté de me faire confiance dès notre première prise de contact, ACTE SEPT. En même temps, je recherchais d’autres partenaires pour mener à bien la mise en place d’un partenariat entre la Bretagne et le Festival au désert en exil (festival Essakane, Tombouctou).

A l’heure où je reprends la plume numérique pour Mondoblog, je suis aussi bénévole pour le Festival TARAGALTE au Sud Maroc, afin de donner un coup de main au lancement de la 2ème édition de la Caravane culturelle pour la Paix, les 23,24,25 janvier prochains. Il s’agit d’un partenariat avec deux festivals maliens : festival sur le Niger et le Festival au désert. Mais revenons au sujet du jour, MASSOU, et mettons le cap plus au sud. Embarquement immédiat pour le Mali.

Fanchon : Tu es chargée de communication au sein de l’équipe d’Acte Sept, comment présenterais-tu cette association pour donner envie d’y adhérer ?

Massou : Acte sept est une association qui a pour but de promouvoir les cultures maliennes au travers diverses formes d’activités socio-culturelles.  Elle utilise le théâtre comme moyen de communication. Elle permet notamment de faire tourner des spectacles itinérants sur tout le territoire malien, y compris en milieu rural, dans les villages, afin de rendre la culture accessible à tous. Ses actions ont un rayonnement et une visibilité internationale par ses collaborations avec des artistes de toute l’Afrique de l’ouest et européens.

Fanchon : Cette association existe depuis longtemps ?

Massou : Acte sept fête ses 20 ans cette année. Ces derniers mois,  nous étions particulièrement mobilisés sur la 12ème édition du festival du théâtre des Réalités qui s’est tenu du 1er au 7 décembre à Sikasso, pas très loin de Bamako. C’est riche de partager le quotidien de cette association qui travaille en partenariat avec des ONG souhaitant sensibiliser la population sur des questions d’ordre sociales et sanitaires. Le point fort d’Acte sept, c’est de miser sur la formation aux métiers de l’action culturelle, car les pratiques artistiques sont bien plus que du divertissement, ce sont des professions. En Afrique, cela ne va pas toujours de soi.  Dans cet esprit, Acte Sept travaille aussi à la réflexion sur les enjeux économiques du secteur culturel au Mali, au sein d’un groupement de diffuseurs culturels, le réseau Sirabo.

Fanchon : Etre bénévole, ça ne s’invente pas, on met toujours « un peu-beaucoup-passionnément-à la folie » de soi dans ce type d’engagement. C’est la 1ère fois que tu es une bénévole nomade qui donne et (ap)prend de festival en festival ?

Massou  :  Non, ce n’est pas la première fois que je donne de mon temps sur ce type d’événement. J’ai été chargée d’administration durant deux ans à Pol’n (Nantes – structure culturelle). On porte et monte de nombreux spectacles et notamment le festival Kraft sur deux éditions 2013 et 2014. Par contre, c’est la première fois en Afrique (au Mali) et ça n’a rien de comparable à la France dans l’organisation de ce type d’événements.

Visuel de l'édition 2014
Visuel de l’édition 2014

Fanchon : Le festival dont tu parles vise à créer du dialogue entre les cultures si j’ai bien compris. Le public n’a pas dû s’ennuyer à Sikasso début décembre, j’ai l’impression qu’il fallait 4 paires d’yeux pour tout voir ou je me trompe ?

MASSOU : La programmation du Festival du Théâtre des réalités  est à la l’image du Mali, pays de dialogue entre les cultures justement.  Ici, Bambara, Malinkés, Peuls, Dogons, Soninké, Tamasheq savent vivre ensemble. En plus, le Mali est frontalier avec tellement de pays qu’il n’est pas rare à Bamako de croiser des Ivoiriens, des Burkinabé, des Nigériens, des Béninois, des Sénégalais, etc… C’est comme si l’Europe tout entière, en y rajoutant d’autres pays qui n’ont rien à voir les uns avec les autres culturellement, que ce soit au niveau de la langue, des traditions, pouvaient vivre ensemble. C’est incompréhensible en occident, et là est la force du Mali mais aussi sa faiblesse, car ce pays est  justement capable de tout accepter ! C’est un point de vue vraiment personnel.

Fanchon : Vu la complexité de la situation au Mali, le choix de la thématique de cette édition 2014 traduit un acte politique fort plus qu’il ne tient du geste militant ou du regard distancié par rapport à l’approche psycho-socio-philosophico-transdisciplinaire des colloques internationaux !   Qu’est-ce qui te touche personnellement dans cette question de la reconstruction des identités ?

(à ce moment précis, je me décroche la mâchoire sous l’effet de la surprise)

Massou :  Je suis née à Bamako, adoptée à 4 ans et élevée en Vendée, au sud de Nantes. J’ai découvert le Mali à l’âge de 24 ans, j’en ai 29 et je me sens un peu plus Malienne qu’hier. Alors oui, sur cette notion de reconstruction des identités, j’y vois quelque chose de plus personnel.

(du coup, la question qui suit prend une tournure spéciale, j’étais loin de penser  que Moussa était Française, voire aussi Vendéenne que moi Bretonne)

Fanchon : Si tu devais expliquer rapidement à une Bretonne ce qu’est la vie quand on a 29 ans, quand on est une femme et que l’on vit à Bamako, tu dirais quoi ? (Oui, bon ça va, je vais quand-même pas changer mes questions a posteriori)

MASSOU : Mmmh !? c’est  plutôt agréable d’être une jeune femme française à Bamako. Les gens nous gâtent, font attention à nous car ils nous croient démunies, plus faibles que les hommes, un peu sans défense (physiquement et psychologiquement). Et c’est peut–être le cas parfois, cette bienveillance autour de moi me protège beaucoup. Mais aussi, en tant que femme, comme on te croit justement « plus facile, plus fragile » attention aux charmants manipulateurs et menteurs. En tant que femme française, on s’intéresse beaucoup à toi pour les mauvaises raisons autant que pour les meilleures.

Fanchon : Quel type d’expérience de coopération internationale aimerais-tu partager ou mettre en place, si tu as cette possibilité un jour ?

Massou :  L’échange culturel dans toutes les disciplines artistiques  confondues et un projet qui mobilise chacun des 5 grands continents.

Fanchon : Quand la petite fille regarde la femme que tu es devenue, qu’est-ce qu’elle nous dit de l’Afrique qui t’a vu naître ?

Massou : Je dirais que l’Afrique m’a souhaité « bonne arrivée ! » comme on dit ici, ce que j’ai reçu ! C’est une expression utilisée  lorsque quelqu’un vient d’arriver dans le  pays ou tout simplement parce que ça fait longtemps que cette personne n’est pas venue nous rendre visite.

Fanchon : Et sur la marche du monde, qu’est-ce que les petites filles et les femmes africaines d’aujourd’hui retiennent à ton avis de ce qu’elles voient, de ce qu’elles entendent dans leur environnement familial ?

Massou : Elles se taquineront gentiment, ou pas, entre épouses ou voisines ou sœurs en disant  : « Je suis meilleure cuisinière que toi ! ». Ici, la tradition freine tellement le développement et la réalisation personnelle de tout le monde que forcément ça crée d’autres freins sur le plan du développement économique, par voie de conséquence.

Merci Massou

Massou pendant le festival de Sissako
Massou pendant le festival de Sissako

Le Festival du Théâtre des Réalités dont j’aurais aimé faire la promotion début décembre s’est finalement déroulé entretemps. Je vous invite à découvrir sur la page Facebook d’Acte Sept les informations et photos mises en ligne par Moussa.

Pour vous donner une meilleure idée de la richesse de cette programmation originale, il y aurait eu bien sûr matière à faire un article, que dis-je, de nombreux articles, sur le contenu particulièrement engagé de ce festival malien. Choisir, c’est faire le deuil de toutes les autres options possibles. J’ai choisi Moussa et je ne le regrette pas. Pour en savoir plus, je ne saurais trop vous conseiller de vous adresser directement à l’association, dont le directeur n’est autre que le fondateur de ce festival : Adama TRAORE.

Quant à moi, je retourne travailler sur ma mission bénévole : faire de la 6ème édition du Festival Taragalte, au coeur des dunes splendides de M’hamid el Ghizlane, un nouveau temps fort du dialogue entre les cultures, en hommage à l’héritage culturel des anciennes caravanes du désert.

B comme loavezh mad, comme on dit chez moi, en Bretagne, bonne et heureuse année à vous toutes, à vous tous, lecteurs, lectrices anonymes de cette plateforme MONDOBLOG-RFI

 

B comme Bonus et là je mets le paquet, c’est la fin d’année, alors faisons Bombance de Bons plans !!!

Merci au passage à cette merveille technologique qui me permet de vous « poster » toutes ces infos  en plein désert avec pour seule musique le vent qui fait chanter les dunes. Ca non plus, ça ne s’invente pas :))

Identité plurielle, beau symbole, à nous de jouer
Identité plurielle, beau symbole, à nous de jouer

Retrouver la programmation 2014 en un clic

Exemple d’artice publié sur le sujet

La page facebook d’ACTE SEPT

Le Festival KRAFT en Bretagne

La caravane culturelle pour la paix 2015

Le Festival sur le Niger

Le Festival au désert en exil

Rendez-vous les 23, 24, 25 janvier à TARAGALTE

Facebook du Festival Taragalte

Agenda culturel : soirée de lancement de la 6ème édition le 6 janvier à Rabat, Centre culturel La Renaissance, de 19h à 21 h, avec le groupe de Blues touareg Génération Taragalte et guest stars !!!

23, 24, 25 janvier 2015, la vie au désert se fête à TARAGALTE
23, 24, 25 janvier 2015, la vie au désert se fête à TARAGALTE

 

 


L’enfant de Kidal

Une des scènes préférées de Pino, TIMBUKTU
Une des scènes préférées de Pino, TIMBUKTU, drant le tourange – Crédit photo A.CONTRERAS

L’enfant de Kidal

L’enfant dans le désert ravale ses pleurs, ses peurs

La main vers les étoiles, Il entonne un chant

Qu’il enfourche comme le vent, l’enfant- sable chante l’âme des dunes

Il laisse derrière lui fumant, le marché ruiné de Kidal

des cendres importunes, les cendres du malheur

L’enfant dans le désert, tu ne l’entends pas pleurer

Il fait corps avec la nuit et chante comme avant lui

Ses grands frères guerriers, meurtris dans leurs chairs

Berger ivre de liberté, comme eux il apprendra

Comme eux il se battra

Non, non, bo, Petit frère,  tu ne joueras pas à la guerre

Non, Non, bo, Petit frère, tu ne joueras pas à la guerre

Je t’apprendrai les mots pour que les armes se taisent

Tu deviendras l’écho dont se fatiguent les falaises

Touareg tu es, touareg tu resteras

Si pour grandir avec tes rêves, il te faut d’autres combats

Crois-moi, il n’en manque pas

De ton désert tu es la sève, la paix veut boire à cette eau là

Le sang qui bat dans tes artères jamais, m’entends-tu,

Ne mordra l’acier rougi des forges de l’enfer

Suis-moi, je suis ce rêve dont tu ne sais pas encore

Qu’il soulèvera les passions par la seule force de ton corps

Par le seul miracle d’une vie, pour que chaque jour qui se lève

Ravive ta soif de rébellion, dans ce désert, tu seras mon cri

Car si du souffle d’espérance, tu sais devenir l’esprit, la voix

Tu sèmeras ma confiance en ce monde qui commence avec toi

Arradon, 31 juillet 2013


Pino, révélation surprise : le pari fou de Timbuktu

Pino, Ibrahim Ahmed, meilleur acteur africain, grâce à son tout premier rôle au cinéma
La belle histoire d’un guitariste tamasheq démarché à partir d’une simple photo dans le studio où il enregistrait à Bamako.

Apologie d’une rencontre…

Si quelqu’un m’avait dit quand j’ai eu cette chance inouïe d’être de la dernière sélection Mondoblog, « tu sais, il va t’arriver des trucs fous »,  je ne l’aurais pas cru. Et puis, voilà, il arrive un truc fou à l’ami de l’ami d’un ami et je me retrouve pour mon plus grand bonheur, le vôtre aussi espère, dans la confidence d’une histoire incroyable, qui me relie une nouvelle fois à Kidal.

C’est lors de l’avant-première de Timbuktu à Pontivy, que je découvre grâce à « Voix du Sahara » un artiste tamasheq dont le jeu libéré de toute autre nécessité que celle de rendre une émotion sincère et juste à l’écran me remue profondément.

Une semaine plus tard, ô magie de la rencontre, Pino, l’acteur en question, et moi, étions déjà en grande conversation trois heures durant, comme si nous partagions la même table à la terrasse d’un café, au soleil évidemment. Vous préférez que je pose le décor comme le fait si bien Abderrahmane Sissako, heureux amant de la lumière et du silence ? Soit, vous avez raison, soyons exigeants et goûtons sans modération la coquetterie du fantasme à portée de clavier.

Après tout, comme j’aime à le dire, à chacun de mettre ce qu’il veut derrière cet adage personnel qui interroge l’urgence à posséder plutôt que renoncer à devoir choisir, à s’établir plutôt qu’à s’évader, à s’infirmer quand vivre c’est d’abord s’affranchir : le désir a valeur d’existence. Fanchon

Je soigne les préliminaires, patience, encore quelques lignes et je vous laisse en compagnie d’Ibrahim Ahmed, alias Pino de son nom d’artiste, mon héros du jour, propulsé meilleur acteur africain par une caste professionnelle à laquelle il appartient désormais presque malgré lui. Là encore pas question de bouder notre chance, la sortie nationale de Timbuktu donne enfin à ce récit cinématographique toute sa profondeur de champ, éminemment politique. Un récit qui tel un chant révolutionnaire appelle à l’indignation populaire et solidaire, toutes nations confondues, au nom d’une humanité en danger. Ce chant nous hantera longtemps et marquera, c’est mon espoir, l’histoire du cinéma.

Avant de sentir l’impact de cette onde de choc invisible d’une puissance salvatrice, dont le monde a besoin pour réveiller responsabilités et consciences, faire cesser le bruit des fourchettes qui s’activent devant l’écran de TV rythmant l’indifférence d’une époque narcissique et boulimique, je vous invite à entendre une voix du Sahara, celle d’un beau petit gars de Kidal, originaire de Gao. Dans son désert, loin là-bas, tout le monde connaît Pino, mais peu savent ce qu’il vit d’extraordinaire aujourd’hui. Combien savent qu’à travers lui, grâce à la magie du 7e art, tout un peuple sort de l’anonymat ? Pour les Kel tamasheq, ceux qui parlent tamasheq, la langue vaut territoire et ce territoire a pour nom Poésie. Tout autant que l’Azawad, cet espace désertique qui nourrit hommes et bêtes, loin des rares bandes de goudron, la langue et la culture sont la fierté de cette société nomade ancestrale,  éclatée, minorée, relevant administrativement de plus d’une dizaine d’Etats, lourd héritage de la décolonisation française.

Ado, Pino s’adonne au rap puis fonde avec d’autres musiciens Tamikrest, un groupe qui connaît aujourd’hui une belle carrière internationale. De cette époque, gravée à jamais dans la pierre, il reste une belle et solide amitié avec Moussa,  lui aussi à l’origine du groupe. Moussa vit toujours à Kidal, Pino a fait le choix de quitter la zone de conflit. S’il endosse aujourd’hui avec une aisance surprenante le costume de star de cinéma internationale, au moins le temps de se prendre au jeu, c’est suite à ce choix difficile. Cependant, la grâce qu’il incarne à l’écran, cette beauté d’âme qui s’imprime comme une caresse dans nos rétines éblouies, vient tout droit de ce désert qui ne le quitte jamais;

C’est un des nombreux talents de ce film que d’avoir su rendre si sobrement des gestes, des postures, des regards qui se passent de toute parole superflue, ne cherchant jamais à nous piéger dans une situation ou un jugement, pour ne garder que l’écho d’une présence plus forte que la violence. C’est par ce jeu subtil, par cette intelligence du coeur mise en scène en lieu et place des clichés que recycle à l’infini l’industrie du spectacle, qu’Abderrahmane Sissako et son équipe parviennent à emporter l’adhésion. Nous toucher intérieurement, de façon sensible et universelle, s’intéresser d’abord et surtout à l’humain, filmer chacun, adulte, enfant, djihadiste, habitant, à travers ce prisme-là : voilà le pari fou de Timbuktu.

Pino aurait tellement aimé que Moussa, l’ami, le frère, soit associé au projet, il a tout fait pour. Le contexte a rendu la chose impossible. Mais une fois terminée la tournée de promotion du film événement de l’année, ces deux-là feront tout pour se retrouver et finaliser leur prochain album : Amawal. Pari tenu !

Enfin je plante le décor, comme au cinéma. Je suis en Bretagne, Pino en Andalousie, Moussa à Kidal, et alors ? Nous voilà, Pino, Moussa et moi, à partager le plaisir d’une belle et longue causerie, comme si le rythme du rituel touareg pouvait transfigurer mon clavier et mon monde virtuel en invitant dans ma cuisine toute la beauté du fleuve Niger.

la Dune Rose, dite "Koïma Hondo" dans la langue Songhaï,  "Koïma" évoque le lien aux liégendes transmises pr les sorciers "allez et écoutez" C'est là que Pino nous invite à le rejoindre pour nous dire son histoire, en compagnie de son milleur ami, Moussa, resté à Kidal.
La dune rose, dite « Koïma Hondo », près de Gao ville natale de Pino. Dans la langue songhaï, « Koïma » évoque le lien aux légendes transmises par les sorciers « allez et écoutez ».

Une invitation à prendre le thé sur la dune rose de Koima, ça vous dit ? Ibrahim et Moussa nous attendent…

 

Silence, on tourne, désert, oublié bonheur, même là-bas il devient difficile de vivre hors du temps…

Fanchon : d’abord merci Pino d’accepter de te confier, dans ce moment de ta vie si important, à la veille de la sortie nationale en France de ton premier film « Timbuktu »

Pino : merci à toi qui me donnes l’occasion de remercier sur Mondoblog tous ceux qui ont cru en moi et m’ont donné la chance de m’exprimer par le 7e art.

Fanchon : elle commence comment l’histoire de ce meilleur acteur africain, qui disait il n’y a pas si longtemps  » Si c’est ça le cinéma, ben je continue » ?

Pino : j’étais en studio pour enregistrer mon album solo à Bamako, je voulais rendre hommage par mon travail à mon peuple, pris en otage par les djihadistes et l’amalgame avec le problème politique Nord-Sud au Mali. Quand j’ai été sollicité pour jouer dans le film d’Abderrahmane Sissako, j’ai vu tout de suite que je correspondais au personnage souhaité, le scénario portait sur le même sujet que mon album. C’est parce que je suis un jeune Touareg qu’il fallait que je le fasse. Qui mieux que moi peut comprendre l’amertume de mon peuple ?

J’étais à Kidal quand les djihadistes ont commencé à venir s’installer pacifiquement. Personne ne se doutait à cette époque qu’ils allaient imposer l’inadmissible. La religion chez nous n’a jamais été une barrière entre les populations. Je côtoie chrétiens et musulmans sans distinction. Ce qui importe dans la culture que mes parents et ma communauté m’ont transmise, c’est qui tu es, pas ta croyance religieuse. Ce n’est pas un sujet de discrimination entre nous. Que tu sois peul, bozo, sonrai, touareg, ici tout le monde partage cette idée qu’une cohabitation est possible dans l’amour, le pardon, la fraternité.

Aussi différents que soient ces hommes venus d’ailleurs, ils ont été accueillis dans cet esprit de tolérance au sein de la population. En quoi l’homme est différent d’une bête au zoo si tu lui enlèves sa liberté d’exercer la religion, le métier ou la passion de son choix ? J’ai conscience d’être né dans une culture aussi vieille que Rome, jamais on a lapidé, jamais on a exécuté qui que ce soit au nom de la religion. Cela veut dire quoi interdire la musique, l’art, la poésie ? Ma langue, le tamasheq, est en soi poésie. Quant à la musique, demande à Moussa ce qu’elle représente pour nous, peuple du désert.

Moussa : la musique, pour un Kel tamasheq, c’est beaucoup plus qu’une passion, c’est une philosophie, un art qui nous pousse à nous aimer les uns les autres. Que tu sois pauvre ou riche, ça nous unit, ça nous rapproche. La musique, c’est une invitation au partage qui s’adresse à toute la communauté. J’ai grandi avec cette philosophie. Je n’ai que 29 ans, mais en fait, je suis, comment te dire, le premier professeur de musique professionnel à Kidal. J’encourage les jeunes à aller de l’avant, à oser s’engager dans des voies professionnelles même si c’est difficile pour nous tous, surtout avec cette guerre. C’est à eux maintenant de faire découvrir toutes ces belles choses qui font notre culture, notre manière d’être avec les autres,  à travers le monde. Je n’ai pas fait d’école de musique comme ça existe chez vous, juste un petit stage de six mois, mais je n’ai pas mon pareil pour taquiner le manche d‘une guitare, pour reconnaître un bon guitariste à la souplesse de ses doigts, un bon poète à ses paroles, quand elles nous unissent tous.

Le fait que Pino ait été choisi pour jouer dans ce film Timbuktu, c’est génial, pas seulement parce que la communauté internationale doit ouvrir les yeux sur nos souffrances. Aussi parce que c’est un musicien qui tient le rôle principal. Notre communauté s’est éclatée à cause de l’évolution des mentalités, c’est vrai, mais aussi parce qu’aujourd’hui les familles sont séparées et qu’après les rébellions de 1990 et de 2006, c’est comme si la vie et le deuil ne faisaient plus qu’un. A Kidal, tout a été détruit, la maison de culture, les boîtes de nuit des jeunes, nos familles… Tout a été détruit. La musique, y avait pas. J’ai vécu tout ça, les rébellions, les massacres sous mes yeux, la violence sous mes yeux, la peur je ne la sens plus dans mon cœur. Tu comprends, qu’un réalisateur donne la parole à Pino, qu’il permette par son talent et celui de son équipe de faire que notre langue soit entendue dans les cinémas du monde entier, alors que notre voix ici semble ne jamais être entendue, c’est vraiment très important.

Fanchon : en acceptant ce travail si nouveau pour toi, Pino, tu n’imaginais pas que ce film aurait une telle notoriété internationale grâce au Festival de Cannes. Dans quel état d’esprit étais-tu pour ne pas te mettre la pression et rester à la fois toi-même et serein ? Je sais que ce qui te préoccupe en marge de cette belle aventure,  c’est de retourner à ton projet d’album, de trouver la façon de pouvoir faire venir Moussa sur l’enregistrement.

Pino : pendant le tournage, j’étais zen, tranquille, j’ai retrouvé mes dunes et un Abderrahmane simple comme bonjour qui m’a dit : » Pino, joue comme tu le sens », alors tout s’est bien passé. Le film raconte tout ça, ce que Moussa t’a expliqué, je veux dire. Le film est là pour ça, pour témoigner de l’horreur sans s’éloigner de la réalité du quotidien, sans s’éloigner de la réalité des gens et c’est pour ça que le film parle à tout le monde. Aussi radical que soit n’importe lequel de ces djihadistes, il reste en lui une flamme qu’il ne pourra jamais éteindre, celle-là qui caresse la beauté de la peinture, de la sculpture, de la poésie, de la musique. Le sel de la vie, il est dans tous ces (ses) langages. C’est quoi vivre loin de l’émotion que procure le verbe, le langage de l’art ?

Les Touareg sont les seigneurs de la patience, l’immensité du désert forge l’homme qui l’habite. Chez moi le temps n’existe pas, ce que tu ne peux pas faire aujourd’hui, demain tu le feras. Le silence est roi, tu apprends à aimer son décor. C’est l’absence de perspective d’avenir qui est à l’origine de ce fléau au nord du Mali. Tu sais, quand l’homme n’a plus d’espoir, il est une cible facile, car il est bon marché. Dans le film, on voit des jeunes, des musiciens qui ont rejoint ce mouvement, car donner un sens à sa vie est humain. Certains l’ont trouvé dans le djihad. Pino

Fanchon : mais toi, quand tu vois cette scène du jeune rappeur qui a rejoint le djihad, est-ce que tu t’identifies comme si son destin aurait pu être le tien ?

Pino : oui, car ne je ne peux pas vivre sans ma musique. Je suis allé loin de tout ça, je suis heureux de savoir que je n’ai le sang de personne sur les mains. Sur scène, je suis dans mon désert, à croire que tout le public parle ma langue. Les concerts, c’est vraiment des moments magiques où je viens devant la foule accompagné de mon désert et de son soleil. On a tous besoin de ces moments où l’harmonie se crée comme par magie.

Alors tu peux comprendre comme je suis triste d’être faible, triste de ne pas pouvoir agir, triste de l’indifférence des politiques, triste de voir l’oppression taper à la porte de mon havre de paix. Je suis triste aussi de ne pas pouvoir aller là-bas, rendre visite aux réfugiés dans les camps. Dès que l’occasion se présentera, je veux pouvoir m’y rendre. Grâce au film, j’ai récupéré beaucoup de ballons de foot et des tonnes de T-shirts pour les enfants qui vivent loin de leur campement.

Amawal, c'est le projet sur lequel Pino espére trouver des soutiens  professionnels pour retrouver son ami Moussa,  sans qui il n'envisage pas de sortir son premier album solo.
Amawal, c’est le projet sur lequel Pino espère trouver des soutiens professionnels pour retrouver son ami Moussa.

Pour te parler de l’album, qui m’attend aussi, c’est juste ma partie qui est enregistrée. Pour Moussa on n’a pas pu, il avait des problèmes pour me rejoindre à Bamako avec tout ça. Ce qu’il nous faut, c’est un producteur pour nous mettre en studio et finir le travail. Je ne me vois pas faire la musique sans lui, c’est pas juste un ami, c’est mon frère, avec lui j’ai tout partagé et je suis triste de le savoir là-bas. Pour moi, c’est le meilleur, c’est avec lui que j’ai créé Tamikrest au tout début. Ce nouveau groupe s’appelle Amawal, et on fait du blues du désert bien sûr, mais aussi du reggae, en tamasheq, en français,  même en anglais.

Comme pour la sortie de ce disque qui me tient tant à cœur, le Prix du meilleur acteur africain qui m’honore aujourd’hui, c’est à ma communauté et à tous les gens au Nord-Mali que je le dédie, à cet immense Azawad. Je voudrais y être et partager ma joie avec eux.

C’est bien que tu me parles de ce jeune rappeur dans le film, j’adore cette scène. En plus du jeu entre les personnages qui est extraordinaire, je suis touché par la réalité de l’instant filmé dans ce qu’il a de plus comique et banal, alors que tout est si grave dans cette façon de se renier soi-même. Comme je le dis sur un des titres de mon album, un chien a vu son ombre et l’a prise pour un loup. C’est une image pour dire que parfois l’individu se trompe, se perd, mais notre nature revient nous dire qui nous sommes.

Fanchon : tu veux bien nous dire justement ce que cette première expérience de tournage t’a appris en particulier ?

Pino : du cinéma, j’ai appris une chose. Tout est chez l’autre, ton interlocuteur a le pouvoir de sortir de toi toutes les émotions souhaitées. J’ai juste fait le vide, j’ai écouté. J’étais sans les caméras, juste en débat avec des gens super qui m’ont fait pleurer, ce qui n’arrive pas souvent. J’ai aimé ça, l’écoute a un pouvoir sur nous. Si tu comprends ton personnage, tout est facile au cinéma.

Fanchon : à  t’écouter, c’est vrai que ça a l’air vraiment facile !

Pino : ma nature, on la retrouve dans mon personnage. Je suis comme ça, tranquille. Tu sais, Abderrahmane m’a choisi sur une simple photo, on ne s’était jamais croisé avant de se retrouver à Nouakchott, en Mauritanie, pour aller sur le lieu du tournage. Même s’il avait dit, « c’est lui que je veux », moi je ne croyais pas être pris. Après le casting, j’ai même oublié tout ça jusqu’à ce qu’on m’appelle. Je suis comme tout le monde sur l’autoroute de la vie, je force rien, je prends ce qui s’offre à moi. L’an dernier, j’étais chez toi en Bretagne, au Festival du bout du monde, avec mon groupe Terakaft… C’est sympa la pluie (rire). Pour revenir à « Timbuktu », les superbes critiques qui parlent du film,  ça me touche énormément, comme ce prix bien sûr. « Meilleur acteur africain », tu parles d’une surprise !

Sur chaque scène, j’ai essayé  de trouver le père en moi, de me mettre dans la peau de tout père qui doit laisser derrière lui ce qui lui est le plus cher au monde. Le trophée d’une vie, c’est ta famille. La tragédie, la vraie, c’est celle que vivent toutes ces familles détruites par la guerre, c’est l’exil des uns et l’exil que cela crée tout autant chez celles et ceux qui sont restés derrière. En Kel tamasheq, on a une expression qui n’a pas d’équivalent en français pour dire à la fois le temps qui dure, le temps de ta propre génération : AZAMAN. Apprendre à vivre avec le désert, c’est pas possible si tu ne portes pas en toi l’idée que nous sommes tous liés les uns aux autres et tous reliés à une même destinée. Personne n’est à l’abri et tout le monde participe à veiller sur la sécurité de l’autre, même et surtout si c’est un étranger.

Transmettre la culture tamasheq, un enjeu lié à la diversité culturelle qui intéresse l'ensemble de la communauté internationale
Transmettre la culture tamasheq, un enjeu lié à la diversité culturelle

Fanchon : le dernier mot te revient, Moussa, qu’aimerais-tu ajouter pour que tout le monde sache que « Timbuktu » est l’occasion unique de découvrir ce que tu vis, toi, en étant resté à Kidal ?

Moussa : toutes mes compositions sont inspirées du folklore touareg, même si je joue dans différents répertoires du blues au funk. Ma vie d’artiste a été pour moi une aventure et un rêve brisé au fond de moi. Mais ça a nourri quelque part ma singularité, mon style musical… Quand je chante les rêves brisés, la chance, la malchance, le bonheur, le malheur, je sais que ça parle à tout le monde, chacun apporte sa signature par sa propre histoire, unique.

J’aimerais que les jeunes Touaregs soient tous unis et travaillent tous à sauver notre culture, à la transmettre à leur tour comme l’ont fait avant eux des centaines de générations. Les anciens nous ont légué cette si belle poésie et toutes ces histoires ancestrales tamasheq vouées à la disparition, si notre mode de vie disparaît avec  nous à cause des problèmes. Il y a le sous-développement et puis maintenant cette guerre qui fait qu’ailleurs dans le monde, les gens mal informés font vite l’impasse sur qui nous sommes, sur l’histoire d’un peuple millénaire, pour ne retenir que les images chocs qu’ils voient dans les journaux. « Timbuktu » permet à chacun de se faire une autre idée et de refuser que tout un peuple, que toute une génération de jeunes artistes, soient pris en otage à cause d’une minorité de terroristes en quête de territoire et d’aura médiatique.

A l'époque des débuts de Tamikrest, le plus jeune devant c'est Zeidi Ag Baba, derrière lui, Moussa, Pino est celui qui tient la guitare à bout de bras.
A l’époque des débuts de Tamikrest, le plus jeune devant c’est Zeidi Ag Baba, derrière lui, Moussa, Pino est celui qui tient la guitare à bout de bras.

Fanchon : un très grand merci à tous les deux, Pino, Moussa, et franchement, quelle riche idée ce rendez-vous rêvé au bord du fleuve Niger sur cette dune rose de Koima, tout près de l’endroit où tu as vu le jour, Pino. Evidemment tous les lecteurs du Modoblog vous souhaitent par ma voix de réaliser très vite ce projet d’album pour venir nous le présenter en Bretagne et ailleurs, dès que possbile.

Amawal c’est un très bon choix pour ce projet qui joue avec les racines, la force du symbole (Amawal veut dire Turban) et cette volonté affirmée d’ouvrir la nouvelle génération d’artistes tamasheqs avec d’autres influences musicales, à l’image de ce qui se fait aussi beaucoup chez nous en Bretagne, où la musique traditionnelle est très créative. Respect!

Que cela ne t’empêche surtout pas, Pino, de bien étudier les futures propositions de tournage, parce que tu as déjà un sacré fan club international, prêt à suivre cette carrière cinématographique le plus loin possible. Au fait, tu nous le montres avant de nous quitter ce trophée international ?

Et le nominé est ... PINO

Et le nominé est … PINO ! BRAVO !!!

Image promotionnelle du film TIMBUKTU
Image promotionnelle du film TIMBUKTU

 

Timbuktu à la Une du Monde, à la veille de sa sortie nationale en France
Timbuktu à la Une du Monde, à la veille de sa sortie nationale en France

B comme Bonus

Awal dag amawal veut dire la parole sous le masque du turban. C’est un geste de respect, par lequel les hommes se couvrent le nez et la bouche.

Pour soutenir le projet « Voix du Sahara », en Bretagne, merci d’aller de temps en temps faire un tour sur la page facebook. Prochain rendez-vous le 22 janvier 2015 pour le coup d’envoi symbolique, dans sa version bretonne, de la Caravane pour la paix, lancement qui sera officialisé, cela va de soi, aux portes du désert dès le lendemain à l’occasion du très beau festival de Taragalte

Sur Timbuktu, un reportage pour revivre le tournage

Le site officiel du film

La page facebook

A découvrir sur ce blog, rencontre avec Zeidi Ag Baba

 


Did you say «Francophonie»?

10564999_10204421412233752_7363993884629795377_n

Bel exemple d’initiative qui illustre la richesse de la Francophonie comme vecteur de dialogue entre les cultures

1er au 7/12, Sikasso, MALI – Demandez le programme !

 

Quel plus bel hommage rendu à la Francophonie que de choisir la représentante d’une minorité linguistique d’un pays anglophone de l’hémisphère nord pour présider au destin de cette ambition internationale ?

Quel meilleur signal international pour nous tous, militants et militantes de la diversité culturelle et pour ces décideurs qui continuent à détricoter les politiques publiques à contre-courant d’une époque, avec la hargne de ceux qui ne veulent pas démordre de la pensée unique, du modèle unique, quand il suffit d’être pragmatique et connecté pour constater que nous gérons nos vies à la lumière d’identités plurielles, choisies ou subies, mais omniprésentes ? FANCHON

Oui, nos combats sont légitimes et pertinents au regard de ce  que retiendra l’Histoire des civilisations, s’il reste encore assez de cerveaux disponibles pour s’intéresser à ce qui fait sens dans une communauté « VIVANTE », dans un écosystème « SENSIBLE », parmi l’amoncellement de chiffres jetés en pâture à l’opinion publique comme on jette les pelures aux cochons, parmi les gravats d’images aussi furtives qu’inutiles, mais ô combien intrusives et violentes, qui nous dispensent au quotidien d’un laborieux face-à-face avec nous-mêmes, avec la vie.

« Oui, le temps est venu de dire notre terre, pour chanter les vertus et les richesses du divers », Jean-Michel Le Boulanger

Ce matin, l’Obs  publiait un article intitulé  « Non, défendre la langue française n’est pas réac ! », signé Jacques Drillon qui se termine sur cette phrase  » En attendant, commençons par ne pas traduire en anglais ce qui existe en français. » Oups, moi qui trouvais que le mot Francophonie ressortait mieux sur fond de crème anglaise dans mon titre ? Surtout pour évoquer l’élection de l’ancienne gourverneure du Canada, grande nation anglophone, et ce sur un site comme Mondoblog dédié justement à faire du langage une bannière, belle et scintillante, que l’on hisse fièrement pour faire porter plus loin sa voix, pour dire sa différence dans le respect de toutes les différences !

Bref, pas un truc flashy, fluo, fun qui vous donne l’impression d’être en boîte de nuit même en plein jou plus vulgaire qu’attractif, d’ailleurs, au premier regard comme au second, si par malheur vous clignez des yeux en réaction à la violence de l’impact. Mais je m’égare routière, maritime, TGV, l’euphorie sans doute ! Ce soir, une femme, Michaëlle Jean, est à la Une de l’actu. Elle succède dans le rôle de première dame 2014 à Jane Campion, présidente du jury du Festival de Cannes, mais il y a certainement toute une longue liste de noms plus ou moins anonymes à recenser.

Par première dame je veux traduire le sens littéral de « c’est la première fois qu’une femme… », ne pas confondre avec les trois drôlesses de l’invisible Charly, toute allusion à un ou des candidats devenus ou non-présidents français, voire re-devenu candidat puis président, relève d’une intoxication aux médias qui nécessite de consulter immédiatement.

Alors une fois n’est pas coutume, l’heure plus que tardive est solennelle. Je voudrais donc, pour vous, cher lecteur, chère lectrice, rendre hommage à ce choix révolutionnaire, comme si la langue française se prenait à oublier qu’elle avait dressé des monolithes pour en faire des temples de la Culture, afin d’éduquer le peuple ignare, désignant de fait comme sous-culture tout ce qui ne rentrait pas dans le vocable académique du bon penseur culturel, de préférence formé à Paris, assujetti aux rois et autres roitelets, cela va sans dire.

Pour saisir toute l’importance du changement que la Francophonie peut susciter dans la sphère des « décideurs unissez-vous contre les peuples », à travers l’image de cette femme de tête et de pouvoir née à Haïti,  je vous suggère de lire les mots d’un homme, un Breton qui sillonne inlassablement la campagne armoricaine pour poser un peu partout cette étrange question : « Etre breton ? »

Le « to be or not to be » version beurre demi-sel si vous préférez, tout aussi savoureux dans le texte et dans la conviction du bonhomme qu’une scène de Shakespeare, comme  siJean-Michel Le Boulanger, l’auteur de ce discours d’accueil d’une assemblée réunie à Rennes le 26 novembre 2014 voulait nous dire…

img_1026 » Nous sommes de Bretagne et du monde. Nous sommes français, citoyens de cette République qui est nôtre, nous sommes européens, nous sommes en fraternité avec tous les peuples de la terre. Le temps me semble venu de lever des hypothèques, au nom d’une petite musique que nous trouvons belle, la musique de la diversité, du respect, de l’égale dignité de toutes les formes de culture. Notre Bretagne est ouverture aux autres et ouverture au contemporain. Notre Bretagne est de grand large, et son chant court au-delà des horizons.

Nous entendons ce que disent certains qui nous méconnaissent tant et qui nous jugent cependant. La Bretagne, notre Bretagne serait close sur elle-même, sur son passé et frileuse devant les avenirs, se rabougrissant sur son identité. Les Bretons seraient « communautaristes », nous dit-on encore quand nous réclamons des droits qui semblent évidence en Allemagne, en Grande-Bretagne, en péninsule ibérique… Pire, l’écho de la collaboration d’une poignée de militants bretons avec la barbarie recouvrirait d’un voile brun toute déclaration d’amour à ce petit pays du bout du monde.

Ils font fausse route. Notre porte est ouverte, et nous les invitons sur les chemins de nos bohèmes. Notre Bretagne est un pays de vents. Un pays de ponts qui lient les rives de nos fleuves. Un pays de quais et de pontons qui invitent aux voyages et accueillent l’étranger. La Bretagne a toujours été terre rebelle, résistante face à l’oppression et les Bretons en grand nombre ont rejoint le camp de l’honneur quand le vol noir des corbeaux imposait son ombre sur les champs de nos pères. Ces coquelicots de la liberté, nous les portons haut à la mémoire.

Bretons nous sommes, de racines, de coeur et de désir aussi. Français nous sommes, d’héritage, de volonté et de passion aussi. Nous ne supportons pas, nous ne supportons plus que la France centralisatrice, la France jacobine, nous assigne à résidence du passé, nous entoure de ses préjugés et se contente de cartes postales aux tons sépias pour illustrer notre pays.
Nous ne supportons pas, nous ne supportons plus que notre République caricature la diversité, s’en méfie encore et n’ose s’engager avec vigueur et enthousiasme sur les chemins de la confiance. Nous ne supportons plus que la France, notre France, ne s’engage enfin vers une décentralisation ambitieuse de son organisation administrative et politique donnant à ses régions – et à la Bretagne qui le souhaite si ardemment – les compétences et les moyens dont bénéficient toutes les grandes régions d’Europe.

Soyons justes. Notre critique ne s’adresse pas à la France. Elle s’adresse à quelques-unes de ses élites, des dirigeantes d’une technostructure si centralisée, repue de chiffres, de taux et de dogmes, qui, à grands coups de certitude et de morgue, persistent à penser la diversité comme un outrage à leur propre grandeur et toute régionalisation comme une atteinte à leur pouvoir. Oui, le temps est venu de dire notre terre, pour chanter les vertus et les richesses du divers. Pour dire, surtout, que l’universel de la condition humaine demande des racines, toutes différentes, toutes entremêlées, et des rêves fraternels d’avenirs à construire. Être Breton est une promesse. Être Breton est un autre nom de l’universel.

Voilà ma conviction essentielle et le grand combat à mener au XXIe siècle : l’invention d’un humanisme de la diversité qui répondra aux fermetures des nationalismes. Un humanisme de la diversité adapté aux identités composites de notre temps, basé sur les droits culturels des personnes. Les pluriels sont si féconds quand nos racines sont rhizomes et nos langues, nos langues, sont toutes porteuses d’une histoire et d’une manière singulière d’être au monde, toutes porteuses aussi d’un universel de notre humaine condition. Ces langues, ces cultures, ces pluriels, aidons-les à vivre et à se transmettre.

Le sentiment d’appartenance à un territoire, en l’occurrence la Bretagne, est un levier essentiel de son développement. Laissons-le s’épanouir. Il est le terreau qui féconde les engagements citoyens, associatifs, collectifs. Il est plaisir et fierté parfois. Il faut être bien riche – ou vraiment très inconséquent – pour s’en priver. A une région abstraite, technocratique, dessinée sur une carte de papier, privilégions un espace vécu, rêvé, approprié, un espace de mobilisation. La Bretagne est bien plus qu’une région administrative. C’est un pays, un univers. Un désir. Oui, c’est cela, la Bretagne d’aujourd’hui et sans méconnaître les risques des « identités meurtrières», le temps semble venu d’affirmer qu’il n’y a pas de fatalité au nationalisme, à la fermeture, à la nostalgie.

Être Breton, c’est être à la fois Breton, citoyen français, Européen et humain, évidemment. Etre de Bretagne et du monde. Identités composites, identités plurielles. Qui parle de communautarisme ? Être breton, c’est à la fois être enraciné et être ouvert, aux autres, comme au contemporain. Qui parle de repli ? Nous sommes de Bretagne et du monde, comme une évidence. Ce projet humaniste des identités composites tranquillement affirmées est une réponse à tous les Eric Zemmour de la terre, qui clivent, qui expulsent et qui excluent. Ce projet humaniste de la diversité est le nôtre. Nous souhaitons qu’il soit demain le projet de la France. Ce projet humaniste est évidemment posé sur un socle culturel fécond.

Il ne peut y avoir de projet global de développement durable de nos territoires sans une présence artistique et culturelle intense.  Le poète Yvon Le Men résume parfaitement notre propos : « A quoi servent les artistes dans ce monde qui préfère les chiffres aux lettres et dont la folie des chiffres menace de nous faire chavirer dans le chaos ? Que celui qui n’a besoin ni de chansons, ni d’images, ni de poèmes, ni de romans, ni de films, ni de pièces de théâtre, ni de musique afin que se dise sa vie quand il ne sait plus la dire, pour que s’écoule son chagrin quand il ne sait plus pleurer, que celui-là tranche la gorge aux oiseaux. Que celui qui n’a pas besoin d’artiste retienne ses larmes à jamais et brise par avance ses éclats de rire »

Ce projet humaniste viendra de nous. De nos expériences et de nos combats. Car nous le savons : contrairement aux affirmations trop souvent entendues en France métropolitaine, l’histoire a construit une grande diversité de réponses administratives et institutionnelles dans nombre de nos territoires – et tout particulièrement dans les territoires ultramarins. Mais la France ne sait pas suffisamment analyser ces expériences et s’en enrichir. Comme si elles avaient été concédées et n’avaient pas de véritable légitimité.

Ces journées ont le grand mérite d’aider à faire connaître, à analyser, et à mettre en perspectives ce divers : ces réussites, ces échecs et les conseils que vous, représentants de ces institutions, pouvez donner. Ces journées ont aussi pour grand mérite de mieux fédérer ceux qui portent en eux, au plus profond de leurs actions, les vertus du divers, la chance des compositions bigarrées. En oeuvrant ensemble, nous serons plus forts. Pour conclure, un très court extrait de Moi, laminaire, d’Aimé Césaire :

« J’habite une blessure sacrée
J’habite des ancêtres imaginaires
J’habite un vouloir obscur
J’habite un long silence
J’habite une soif irrémédiable
J’habite un voyage de mille ans ».

La Bretagne est un voyage de mille ans. J’ai l’honneur de vous y accueillir, au nom du président du conseil régional de Bretagne.  Merci à vous tous d’être là. Vous êtes ici chez vous. »

Discours tenu lors des « Rencontres interrégionales des langues et des cultures régionales », au Conseil régional de Bretagne,

par le vice-président en charge de la Culture et des pratiques culturelles Jean-Michel Le Boulanger

 

 

 


Mehdi Nassouli, vibrante rencontre

Avant de se produire le 4 décembre au Liban, à l’occasion de la 2e édition du Festival Beirut & Beyond, Mehdi Nassouli quittera le studio d’enregistrement où il travaille actuellement pour s’inviter avec Titi Robin, chez nous, en Bretagne.  Degemer mat Mehdi, ma mignon !

 ob_59e6bf_dsc-0089

Il n’y a pas que le rock fusion pour surprendre son monde. Celles et ceux qui ont croisé l’alchimie incroyable servie sur un plateau par un Titi Robin particulièrement heureux de cette dernière création, Taziri, en ont les oreilles encore toutes brûlantes. Pour celles et ceux qui aiment jouer avec le feu et les émotions fortes, réservez votre soirée pour venir voir ce groupe à Langueux samedi 29 novembre, au Grand Pré.

La surprise ne devrait pas être si grande,  les instruments traditionnels, en matière de fusion, c’est le must, pourtant elle est totale. Car pour s’inventer alchimiste des sonorités à la croisée des chemins, encore faut-il connaître les règles de mise à feu avant de prétendre mettre tout un public en orbite.

C’est justement à la croisée des chemins, du festival du même nom, que j’ai eu la chance de croiser Mehdi Nassouli et son étonnant guembri, en août dernier. J’avais suivi, un rien étonnée d’abord, puis rapidement subjuguée, la façon dont Mehdi et ses acolytes faisaient monter crescendo/ decrescendo leurs dialogues complices aux limites de la transe, dans un cocktail savant, explosif, pour le plus grand bonheur d’un public en surchauffe.

Voir un extrait vidéo du concert du festival des Houches

Cette musique est une bombe. Sans mentir, l’onde de choc de ce trio imparable avait soulevé ce soir-là corps, âmes, poussières d’étoiles,  m’amenant à reconsidérer ce que je croyais de bonne foi savoir de la musique.

Quand ces trois-là ouvrent les portes de leur univers, c’est pour en dessiner les paysages qui se déplient comme des fractales à l’infini. Immensément grand, immensément petit se confondent dans un flot de sonorités qui chatouillent l’oreille jusqu’aux entrailles, à la manière d’un piment inoffensif sur la langue qui vous torture l’estomac en deux secondes, à cette différence près qu’ici la torture est délicieuse, et la perspective vertigineuse comme les abysses créés par un puits de lumière au coeur d’une forêt primaire.

Allez, vous vous dites là, « elle en rajoute » ! Peut-être ou peut-être pas, allez savoir !

Difficile de servir avec des mots justes le rêve devenu réalité musicale d’un Titi Robin aventurier et généreux, dans l’intention, dans  la vie et sur scène. Difficile de rendre compte de l’enthousiasme que dégagent ses compagnons tout aussi talentueux, puissants dans leur jeu, dans leur présence, pour ne pas dire positivement fous. Il y aurait bien une image, folle elle aussi, une image à emprunter à nos amis du Festival au désert, car si nous vivions dans les contrées sahariennes de Tombouctou, vous verriez samedi, grâce à la musique de Taziri va se créer en Bretagne une chose peu commune, à savoir  le premier chameaudrome* du genre sur le continent européen.

Au passage, merci à vous trois d’avoir choisi un prénom de femme, un prénom berbère, pour ce spectacle : Taziri.

*appellation déposée, Illily, Festival au désert

5ce25f35ba2fdb1b11462adf49444082B

B comme Bonus

Conseil de lecture  article paru la semaine dernière dans TEL QUEL, hebdo marocain

Et pour partager un autre moment de complicité avec Mehdi

https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=jjeLH0mX0fE

https://radioafrika.over-blog.com/2014/03/radio-afrika-rencontre-medhi-nassouli.html