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Florian Kaptue, hommage au disparu

Florian était à Dakar en décembre dernier, il nous a quitté trop vite, en avril dernier. L'émotion est grande au sein de la communauté Mondoblog-RFI
Florian était à Dakar en décembre, il nous a quitté trop vite, en avril dernier. L’émotion est grande au sein de la communauté Mondoblog-RFI

Florian Kaptue et moi, nous aurions pu nous croiser sans nous parler, sans nous voir, comme toutes ces vies qui vont et viennent, comme des lettres qui voyagent, et puis un jour le courrier s’entasse à la porte car plus personne n’habite à l’adresse indiquée.
C’était sans compter la flamme de Florian et son désir d’aller au bout d’une amitié, de rendre hommage à une française qui lui a tout appris, Sœur Marie Roumy, ne serait-ce que dans sa façon de donner, d’écouter, d’accompagner, parce qu’elle l’a mis lui, Florian, sur le chemin pour à son tour s’intéresser et aider les enfants des rues, en tant qu’éducateur.

Celle qu'on présentait à juste titre comme la " Mère Térésa " du Cameroun a marqué ceux qui l'ont connu de son dynamisme et de sa grandeur d'âme.
Celle qu’on présentait à juste titre comme la  » Mère Térésa  » du Cameroun a marqué ceux qui l’ont connue de son dynamisme et de sa grandeur d’âme.

Lors de la formation Mondoblog-RFI à Dakar, Florian m’accoste parce que je suis bretonne. A ses yeux, je peux l’aider à concrétiser certains de ses projets, dont l’écriture d’un livre dédié à cette religieuse qui lui a peut-être parlé un jour de lointains souvenirs d’enfance en Bretagne. Comment savoir ?
Il me remet un dossier papier sur la dernière célébration de l’anniversaire de la mort de Mbombo, comme on l’appelle là-bas, une femme dont j’ignore tout, mais qui est devenue un emblème quelque part sur cette terre, parce qu’elle a voulu que le sens de son engagement soit lié au sort de toute une communauté, au sort des plus fragiles, des plus miséreux.

En pensant à ces mômes à l’abandon, pourquoi ne parle-t’on pas plutôt de graines d’espoir, ces graines d’amour qui poussent dans les rues comme des fleurs sauvages, au gré du caprice des vents, de sols meubles ou d’une faille infime dans le rocher ? Est-ce si contre nature de regarder ces enfants, à l’image des foules de réfugiés que les Etats marchandent au plus offrant, comme un possible espoir incarné ? Celui de vérifier combien une simple main tendue peut décider du cours de nos vies et pas seulement de leur survie.

A Dakar, je ne m’engage pas, je temporise, mais le jour où Florian me recontacte à distance, je suis heureuse d’avoir le dossier sous la main dans la minute, comme si la seule idée de décevoir son attente était une offense que je me serais faite à moi-même.
S’ensuivent des échanges facebook, simples, chaleureux, où je sens combien je peux apprendre de cette expérience qui m’est si lointaine, et dans ma propre histoire, et dans mon quotidien. Florian compte sur moi pour retrouver des éléments de la vie de Sœur Marie Roumy avant l’Afrique et pour l’accueillir quand il viendrait en Bretagne remonter le fil de l’histoire. Il dit merci. Je réponds : de rien, j’espère juste ne pas décevoir ton espoir.

Et la déception vient d’ailleurs, de ce fil rompu quand il n’était encore que l’ébauche du projet à venir, d’une amitié qui ne fait pas défaut même quand l’autre est parti. Ce qu’elle laisse, cette amitié, est tellement fort, tellement porteur de sens. Comment penser l’absence comme une autre présence ?

L'hommage rendu par Jeff Ikapi, autre mondoblogureur de talent rencontré à Dakar, en décembre dernier
L’hommage rendu par Jeff Ikapi, autre mondoblogueur de talent rencontré à Dakar, en décembre dernier – Crédit photo Jeff IKAPI

Ce livre sur Sœur Marie Roumy que Florian Kaptue n’écrira pas existera parce qu’il l’a voulu et parce qu’il ne travaillait pas seul. C’est d’ailleurs cet esprit d’équipe solidaire qui fait que ma boîte de messagerie m’annonce un jour, par la voix du président de l’association, ancien enfant des rues accompagné par Bombo et Florian, la mort accidentelle de celui qui avait commencé à tisser le lien, à Dakar, pendant une formation Mondoblog, pendant que je pouvais ouvrir les yeux sur cette Afrique dont je sais si peu de chose.

Florian m’aurait guidée, Florian m’aurait appris, et c’est comme si la main tendue un jour par une française quelque part sur cet autre continent revenait vers moi pour que j’ouvre mon cœur, mes yeux, mon univers, une main pour m’aider à ne plus avoir peur, moi l’enfant déçue, moi l’ange déchu d’une époque en mal d’utopies humanistes.

Florian Kaptue est en 1974, à Douala au Cameroun. Il est auteur de plusieurs recueils de poésie et de nouvelles et est correspondant de presse. Il est également promoteur du projet « S.O.S. livre pour tous » en milieu défavorisé, l’objectif consiste à récupérer des livres en stade de désherbage dans les bibliothèques et les donner aux enfants qui ne peuvent pas s’offrir le luxe d’acheter un livre. Présentation de Florian sur Mondoblog

Pour retrouver les articles de Florian sur Mondoblog-RFI, c’est là https://mondoblog.org/author/kaptueflorian/

Pour contacter et soutenir l’association pour laquelle Florian travaillait : asso_enfantssoeurmarieroumy@yahoo.fr


Cinéma pour tous, le talent d’oser

Sur Plan B, on ne fait pas qu’aimer le cinéma, on le soutient à travers l’initiative de celles et ceux qui en ont fait leur passion, leur crédo quotidien ou comme avec Pino dont nous avons relaté ici l’incroyable percée dans ce milieu grâce à son premier rôle dans Timbuktu. 

Pino vient de boucler à l’autre bout du monde un tournage avec Gilles Lellouche et Mélanie Laurent, nous aurons donc le plaisir de le revoir bientôt sur nos écrans dans une atmosphère bien différente de celle qu’il a cotoyée en vrai à Kidal et que ses amis restés là-bas continuent de subir. Le cinéma, c’est ça. Rendre compte des réalités du monde sans d’autres comptes à rendre que celui de la justesse du regard et d’un travail d’équipe partageant la même envie, la même exigence. Le reste appartient à l’émotion, au monde des critiques bien sûr, mais aussi à la faculté du public de saisir toute la portée d’une histoire mise à l’écran.

« Le reste » nous plonge parfois dans la polémique, comme avec Timbuktu justement au moment de la sortie en France de « Salafistes », un documentaire choc finalement autorisé en février au moins de 18 ans quand, à quelques jours de sa programmation en salle, il n’était pas loin d’être carrément menacé d’interdiction. Du jamais vu au pays des Droits de l’Homme et du Citoyen. Fort heureusement, et le titre du journal Libération en joue avec habileté, cette question de la filiation voire de l’appropriation d’images entre documentaire et fiction n’aura que peu de temps détourné les esprits des problèmes de fond.

https://www.liberation.fr/france/2016/01/25/salafistes-l-aversion-originale_1428926

C’est pourquoi s’il faut des réalisateurs, des actrices et des acteurs, des technicien-nes, des soutiens financiers pour que les projets existent, il faut aussi des équipes pour rapprocher le cinéma de son public, de ses publics. C’est ce que fait depuis bientôt dix ans le festival d’Agadir, le FIDADOC, dont la 8ème édition se deroule du 2 au 7 mai avec cette ambition première affichée comme un slogan : « Cinéma partout, cinéma pour tous ». Le parti pris de cet événement culturel d’importance au Maroc est de rendre hommage à une discipline, dont les adeptes ont su renouveler complètement le genre ces dernières années : le documentaire.

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L’affiche de la 8ème édition – Crédit photo Elise Ortiou Campion

La compétition internationale comporte dix longs-métrages venus du monde entier, tous inédits au Maroc, mêlant des œuvres remarquées dans des manifestations cinématographiques internationales prestigieuses et des films découverts grâce à l’appel à candidature lancé par l’organisation qui coordonne cette intéressante programmation, l’Association de Culture et d’Éducation par l’Audiovisuel.

  • Alisa in Warland de Liubov Durakova et Alisa Kovalenko (Pologne, Ukraine)
  • Ba Smina de Omar Tajamouti et Karim Ouammou (Maroc)
  • Callshop Istanbul de Hind Benchekroun et Sami Mermer (Canada, Maroc, Tunisie)
  • The Cow Farm de Ali Sheikh Kudr (Syrie, Egypte)
  • Fi Rassi Rond-Point de Hassen Ferhani (France, Algérie)
  • Gulîstan, Terre de Roses de Zaynê Akyol (Canada, Allemagne)
  • Olmo et la Mouette de Petra Costa et Lea Glob (Danemark, Brésil, Portugal, France, Suède)
  • A Present from the past de Kawthar Younis (Egypte)
  • La Révolution ne sera pas télévisée de Rama Thiaw (Sénégal)
  • Samir dans la poussière de Mohamed Ouzine (France, Algérie, Qatar)

Au total, le programme met à l’affiche trente documentaires et vingt-cinq nationalités différentes, avec des séances hors salle dans sept autres villes associées à cette 8ème édition du FIDADOC : Taroudant, Tiznit, Aït Melloul, Inzegane, Amskroud, Chtouka et Biougra. Belle promesse tenue en matière de médiation culturelle avant même l’ouverture officielle.

Il faut reconnaître ici la qualité d’un travail de terrain mené par l’association en amont du festival auprès du tissu associatif local, en partenariat avec la Commission régionale des droits de l’Homme, mais aussi l’importance du travail en réseau qui permet d’élargir les horizons et de mutualiser les moyens pour favoriser la diffusion des oeuvres cinématographiques.

Cheville ouvrière de cette rencontre entre cinéma et public, Hicham Falah ne doit pas manquer d’arguments quand il ralie ainsi à la cause de nouveaux partenaires, et cette force de conviction profite à tous puisque les films projetés cette semaine sont déjà programmés à Casablaca par exemple. Autre opportunité saisie, une sélection de trois films dédiés à des enjeux écologiques majeurs fera l’objet d’un événement à Marrakech. L’équipe entend ainsi participer à la sensibilisation et la mobilisation de la population marocaine en vue de la Cop 22.

Si le FIDADOC réaffirme en 2016 son ancrage local, sa vocation citoyenne et sa dimension internationale, c’est aussi parce que cela va de pair avec l’accompagnement de l’émergence de nouveaux talents au Maroc. L’image est reine aujourd’hui et nous en consommons énormément, sans trop nous soucier parfois de l’impact rétinien laissé par certaines productions de type industriel. Rien n’est plus facile aujourd’hui que de reproduire, à l’insu de notre plein gré comme on dit, le formatage omniprésent des informations dont nous sommes subergés. L’art de dire, le talent d’oser résident aujourd’hui plus qu’hier dans la capacité à interroger la singularité plus que la différence ou la diversité. Encore faut-il un vivier qui permette à cette singularité de se confronter à la production de message, à la mise en récit du réel.

En choisissant comme fil conducteur la filiation et les liens du sang, l’équipe du FIDADOC fait montre d’une vraie maturité, sans doute acquise avec l’expérience de la Ruche documentaire, une initiative qui au fil du temps joue son rôle de plateforme d’échanges au carrefour de l’Afrique, du monde arabe et de l’espace euro-méditerranéen, tout en contribuant à la structuration et à la professionnalisation d’une filière documentaire au Maroc. Très prochainement, ils seront encore nombreux, auteurs, scénaristes, réalisateurs, producteurs, techniciens du son et de l’image, à venir se former ensemble à Agadir. Voilà comment se crée un vivier de talents, promotion après promotion, en pariant sur la contagion positive !

Rama Thiaw, une des invités attendues de cette édition 2016 © Camille Millerand
Rama Thiaw, une des invités attendues de cette édition 2016 © Camille Millerand

En effet de nombreux cinéastes, souvent très jeunes, font le choix de tourner leur caméra vers des parents ou un couple d’amis, de filmer avec l’intimité incroyable qu’offrent les nouveaux outils de prises de vues, la famille qui protège mais aussi celle qui empêche, et surtout les familles que l’on se choisit…

Mais d’ici là, place au spectacle et à la magie du récit en image, avec en plus de la trentaine de projections  deux résidences artistiques animées par des artistes protagonistes de deux films phares de cette programmation 2016, « La révolution ne sera pas télévisée » de Rama Thiaw et «  Rough stage » de Toomas Jarvet. Opportunité unique pour de jeunes Gadiris de rencontrer et collaborer avec les rappeurs du groupe sénégalais Keur Gui et le danseur palestinien Maher Shawamra, en vue de préparer le concert qui se déroulera après la projection du film dédié aux premiers et la performance chorégraphique du second qui sera présentée lors de la cérémonie de clôture.

Petit-avant goût de l’énergie de cette fine équipe à pied d’oeuvre pour accueillir les festivaliers durant toute la semaine prochaine, en image bien sûr et avec beaucoup d’humour, ce qui ne gâche rien !

B comme Bonus

https://www.fidadoc.org/

L’appel à candidature pour la Ruche documentaire est clos depuis le 18 avril, restez en veille pour la prochaine promotion si vous êtes concernés

https://www.fidadoc.org/appel-a-candidatures-pour-la-ruche-du-documentaire-du-fidadoc-2016

Exemple de partenariat dans le cadre des accords de cooération décentralisée entre l’ex-région Souss-Madra-Drâa et l’ex-région Acquitaine, la réforme territoriale au Maroc comme en France est passée par là depuis.

https://www.fidadoc.org/les-journees-fidac-fidadocaquitaine-au-fipa-une-nouvelle-etape-dans-la-cooperation-entre-les-regions-souss-massa-draa-dans-le-domaine-du-cinema-et-de-laudiovisuel

Le film de la réalisatrice sénégalaise Rama Thiaw « La Révolution ne sera pas télévisée » était au programme de la Berlinale 2016.

https://www.berlinale.de/en/programm/berlinale_programm/datenblatt.php?film_id=201610414#tab=video25

Beau portrait de cette réalisatrice dans Jeune Afrique (juillet 2014, Rabat).

https://www.jeuneafrique.com/49646/culture/s-n-gal-rama-thiaw-r-alisatrice-et-lutteuse/

Dans un autre registre, mais peut-on parler Cinéma sans jeter un oeil du côté de la fiction et d’un cinéma justement « pas pour tous » on dirait.

https://www.france24.com/fr/20160414-festival-cannes-selection-competition-cinema-clooney-spielberg-foster-cotillard-huppert


Souaille, tout simplement

Je n’avais pas forcément envie de raconter ma vie. « Un bout de chemin », c’est avant tout un concert de guitare. Cette création a permis un beau travail collectif de mise en scène et pour une fois, c’est moi qui suis accompagné, en image, par l’ami photographe qui a illustré mes dix derniers albums. Souaille

Trente-quatre ans de scène, une discographie impressionnante, une fraîcheur intacte teintée de cette maturité, de cette maîtrise du geste et du propos qui viennent chemin faisant, voilà en quelques lignes ce que vous pourriez retenir d’une présentation classique du travail d’un de nos meilleurs artistes bretons : Soïg Sibéril. Peut mieux faire et sans recourir aux formules, métaphores et autres jeux de mots pour dire moins bien ce que la musique de ce guitariste discret sait faire résonner en nous avec émotion, avec justesse.

La musique bretonne compte de très nombreux guitaristes, dont plusieurs sont de grands talents tout autant sollicités à l’international que Soïg. Souaille (c’est ainsi que son prénom se prononce) est de ceux qui savent marquer de leur empreinte singulière cette âme celtique qui ne se reconnaît dans aucun dogme, aucun raccourci, aucune nomenclature stylistique, pour s’être nourrie de tant de voyages de par le monde, autant d’histoires vécues et partagées.

Entre révolte et soumission, richesse et disette, espoir et spleen profond, la parfaite alchimie pour qu’un peuple invente et transmette son propre langage poétique à défaut de pouvoir écrire son histoire,  la musique de Soïg Sibéril puise son énergie dans un vaste répertoire aux mélodies parfois graves et solennelles, souvent populaires et festives.

Souaille
Souaille, tout simplement

Soig et moi, nous avons chacun notre chemin. L’histoire personnelle de Soïg fait écho à mon propre parcours. Au niveau de l’inspiration, de la création, il y avait comme une évidence à se retrouver. On savait que ça allait être simple, dans le sens d’un vrai travail en commun, d’une pleine confiance réciproque. « Un bout de chemin », c’est comme une énergie naturelle qui coule de source. Eric Legret

Cette musique traditionnelle, Soïg en a fait son chemin d’expression, son atelier de création, avec une liberté qui l’amène à se produire sur scène dans maintes formations depuis la sortie de son premier disque en 1976, « Sked » : avec Gwerz, dix ans plus tard, l’un de mes groupes préférés, avec Pennou Skoulm dont je me souviens en tant que danseuse effrénée, avec les Ours du Scorff, redécouverts l’an passé avec un bonheur indicible, la fille d’une amie sur les genoux, et j’en passe, concerts en solo, multiples duos…

Je me souviens d’une belle tournée avec Nolwenn Korbell, dont un magnifique concert donné dans la chapelle du Château des Rohan, à Pontivy. C’est d’ailleurs en voulant revoir Souaille, que je découvre le talent étonnant de cette chanteuse à l’énergie débordante, contraste qui fonctionne d’autant mieux avec Soïg dont l’énergie s’affirme dans une forme d’intériorité assumée.

Dans un tout autre registre et préservé dans ma mémoire comme un trésor, je chéris encore quinze ans après un moment inoubliable dans les carrières du Liscuis, chez mon ami Hervé Pochon : Souaille, seul à la guitare, sur une scène éphémère noyée dans l’ardoise aux mille reflets, comme nous étions plongés nous-mêmes dans la beauté de cette symbiose entre l’âme d’un lieu, son acoustique, et l’âme d’une musique bien d’ici, au pouvoir d’envoûtement si universel.

Il n’existe pas de label AOC pour protéger et mettre en avant certains savoir-faire dans le domaine musical, mais le style et la signature de Soïg Sibéril se reconnaissent dans cet attachement à l’ancrage local propice à toute facture artisanale : une recherche qui n’est pas celle du résultat et de la sophistication, mais celle d’une introspection libérée des frontières, des jugements, dans un esprit enraciné qui voyage  pour inventer, qui invente pour voyager. Bien sûr le jeu, la technique, la dextérité, participent de l’émotion, mais ils ne la commandent pas, ils ne la dominent pas.

Quand la route est belle, autant partager le carnet de voyage en musique, une belle idée de spectacle que ce bout de chemin entre Casablanca et les landes bretonnes.
Quand la route est belle, autant partager le carnet de voyage en musique, une belle idée de spectacle que ce bout de chemin entre Casablanca et les landes bretonnes.

J’ai grandi dans une double culture, marocaine du côté de ma mère, bretonne du côté paternel. Avec ma guitare, je suis d’abord parti sur les influences nord-américaines, avant de découvrir la richesse de ce répertoire traditionnel qui m’a incité à quitter Paris pour venir vivre ici et me consacrer à la composition, à l’adaptation de ces airs pour la guitare. Je sentais quelque chose de fort dans cette culture vivante, enracinée.

Le spectacle « Un bout de chemin » révèle un répertoire exploré jusque dans ses recoins reculés, un travail de création solitaire qui amène toujours à se renouveler sans perdre son âme. Mais plus encore, il est à l’image de Souaille. Invitation à prendre les devants sans se presser, à mettre un point d’honneur à s’exposer à la nouveauté quand il serait si aisé après six albums solo d’être dans une forme de redite ou d’emphase, exhortation à exprimer autrement la complicité qui se construit durant des années d’amitié pour mettre en scène, au même titre que la musique, ce plaisir du faire ensemble.

Dans cette création, le guitariste breton ne revient pas sur son passé, il s’y promène comme dans un paysage. Il ne se souvient pas, il surprend dans l’instant ce qui fait la force et la valeur d’une mémoire vivante, partagée, entre histoire universelle et histoire personnelle. Le récit n’est pas figé, l’écriture reste en mouvement de spectacle en spectacle. Si l’expérience de ces deux artistes se distille ici avec discrétion, comme un alambic redonne vie  à du vieux cidre sur un commun à l’écart du village, elle n’en a pas moins le parfum des meilleurs alcools. Magie de l’amitié !

Le dialogue subtil qui naît entre la musique de Soïg Sibéril et les images d’Eric Legret sert l’émotion avec génie et générosité. Ni superflu, ni subterfuge, juste l’imaginaire aux commandes pour vivre ce rêve éveillé, où Souaille nous entraîne entre Casablanca et les Landes de Locarn : musique in situ.

Le road movie au parfum de fougères et d’ajoncs des deux compères se déroule de part et d’autre de la N 164 et non dans quelque lieu fantasmé, vidé le plus souvent de sa vraie réalité. Même au cœur d’une campagne saignée à blanc par de multiples vagues d’exode rural, la poésie n’est pas un acte de désertion. Au contraire, la poésie est l’art d’habiter l’instant, le réel, avec toute la force de la conscience, jeu d’équilibre et d’esthétique qui seul rend le cheminement possible en dehors des sentiers battus.

Soïg Sibéril et Eric Legret se produisent dans toutes sortes de lieux, pour une écriture in situ toujours en mouvement, parce que l'image et la musique prennent leur force à la même source : l'instant présent.
Soïg Sibéril et Eric Legret se produisent dans toutes sortes de lieux, pour une écriture in situ toujours en mouvement, car l’image et la musique puisent leur force à la même source : l’instant présent.

Sans moufles, en pleine forêt de Huelgoat, même en juin, ça caillait. Les gens étaient dans des duvets. La projection plein air sur un écran en maille très légère tendue entre deux arbres,  c’était ce que nous voulions. Pouvoir jouer ce spectacle partout. Ce cadre féérique amenait beaucoup de poésie.

« Un bout de chemin » nous propose de laisser la ville et ses lumières derrière nous pour plonger dans un autre monde, à la fois plus secret et plus ouvert, à portée d’espoir, à portée de désir. Il n’y a qu’à laisser nos cordes sensibles entrer en résonnance au son de la guitare, au rythme des images, quand Souaille se raconte. Car cette histoire est aussi la nôtre pour peu que dans chacune de nos rencontres nous sachions encore reconnaître l’Aleph, cette force de l’instant où l’apnée émotionnelle nous transporte au plus près de notre potentiel de perception.

La musique de Soïg Sibéril est un langage qui parle de voyage et d’amour avec une force universelle, comme Paulo Coelho justement dans ses romans. Dans « L’Aleph », une phrase traduit simplement les dimensions multiples qui s’entrechoquent avec douceur dans les phrasés sonores et visuels de ce spectacle : « les mots sont des larmes qui ont été écrites, les larmes sont des mots qui ont besoin de couler. Sans elles, aucune joie n’a d’éclat, aucune tristesse n’a de fin. Alors merci pour vos larmes ».

Alors merci Souaille pour ce bout de chemin…et je ne parle pas que du spectacle qui s’avère être un excellent prétexte pour t’inviter sur Plan B, merci aussi pour cette belle idée, non je parle de tous ces moments intenses que tu nous a offerts, à nous publics, d’ici et d’ailleurs.

En extérieur, les images sont projetées sur un filet. La magie opère au  milieu des fougères.
En extérieur, les images d’Eric Legret sont projetées sur un filet. La magie opère au milieu des fougères.

B comme bonus

https://web.facebook.com/boutdechemin/?pnref=story

https://www.dailymotion.com/video/x2sai7p_soigi-siberil-l-autre-rive_music

https://www.dailymotion.com/video/x2sanrx_soig-siberil-vigo_music

https://www.soigsiberil.com/

https://www.myspace.com/soigsiberil

https://www.ericlegret.fr/

Concert à Callac, le 15 avril, au Bacardi, 21h30

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Rgabi la magnifique (2)

Il y a des espaces plein d’eau pour le bien-être du corps et des espaces plein de sable pour le bien-être de l’âme. Proverbe touareg

Lors du premier Forum des Nomades, j’ai sympathisé avec l’équipe venue présenter le projet et les actions de Terrachidia, une association espagnole qui oeuvre pour la sauvegarde du patrimoine dans l’oasis de M’hamid el Ghizlane depuis 2012. Cela m’a permis quelques jours plus tard de rencontrer Yasmine El Majzoub, jeune architecte libanaise de 27 ans, venue tout spécialement de Beyrouth pour participer à l’atelier de restauration de la porte de la kasbah de Rgabi.

Ainsi, grâce à Yasmine, nous allons rester un peu à Rgabi et découvrir avec ses mots ce qui pourrait vous inciter vous aussi, un jour peut-être, à venir mettre les mains dans la terre, par plaisir, par curiosité, par solidarité, ou tout simplement parce que c’est une bien belle façon de venir découvrir le Sahara, ses habitants et leurs trésors.

Diplômée de l'Université américaine de Beyrouth, Yasmine découvre le Maroc grâce à Terrachidia.
Diplômée de l’Université américaine de Beyrouth, Yasmine découvre le Maroc grâce à Terrachidia.

Nous ne faisons qu’un avec la planète bleue

Ma rencontre avec Terrachidia et mon premier voyage au Maroc commencent à Beyrouth, il y a environ un an et demi. Un poster de l’association est affiché parmi d’autres informations dans le hall d’entrée du département Architecture de mon université : l’Université américaine de Beyrouth.

J’ai mon diplôme depuis deux ans et je suis là pour passer dire bonjour quand mon regard est d’emblée attiré par la vision d’une allée en clair-obscur dans laquelle se dessine la silhouette d’un jeune enfant.  Je ne sais pas encore que cette photo m’amènera jusqu’à M’hamid el Ghizlane, mais je sais que ce simple arrêt sur image a déjà suscité le désir d’en savoir plus. Je me renseigne auprès de l’université sur les modalités pour participer à un des ateliers de cet organisme espagnol. J’en ferai vite une priorité dans mes projets, à la fois comme professionnelle mais aussi pour mon seul plaisir de partir à la rencontre de cette région du monde qui m’est encore inconnue.

Cette affiche de Terrachidia m’intrigue vraiment. La question de l’usage de matériaux naturels et de savoir-faire traditionnels dans la construction aiguise depuis longtemps ma curiosité. Selon moi, les bâtis en terre ont une âme, celle de Mère Nature. Créer des espaces avec ce que nous offre notre environnement, c’est une façon d’affirmer que nous sommes des habitants de la Terre et que nous ne faisons qu’un avec la planète bleue. Ce n’est pas qu’une question de préservation du patrimoine, c’est aussi et surtout une interrogation intéressante à porter sur nos habitats contemporains et sur l’influence de nos manière d’habiter dans l’évolution de nos référents culturels.

Durant des mois, je suis l’activité de Terrachidia à distance avec l’espoir de réunir les fonds nécessaires pour participer à un chantier de restauration organisé par cette association. Il faut compter quatre cent euros pour suivre le stage de formation, plus l’aller-retour Liban-Maroc, mais j’ai une telle motivation que ça ne m’arrête pas. Et voilà, en mars 2016, je me retrouve les mains dans la terre. Je ne parle pas un mot de la langue utilisée dans ce groupe international que j’ai enfin rejoint : l’espagnol. Peu importe, j’ai bel et bien atteint mon objectif.

A Rgabi, le chantier est l'occasion de s'imprégner de la beauté des lieux et de contribuer à sauvegarder ce riche patrimoine.
A Rgabi, le chantier est l’occasion de s’imprégner de la beauté des lieux et de contribuer à sauvegarder ce riche patrimoine.

Où l’amitié prend racine

Avant d’arriver au Maroc, je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre. Je me sens disponible, ouverte à tous les possibles. Il me suffit de savoir que je vais vivre de nouvelles rencontres et apprendre beaucoup durant ces dix jours au Sahara. Aujourd’hui, je peux dire que cette expérience est l’une des plus belles qu’il m’ait été donné de partager.

Quelle chance vraiment d’avoir pu rencontrer ces gens merveilleux, participants venus d’un peu partout et habitants. J’ai vécu avec eux des moments précieux, chacun amenant sa personnalité et son intérêt pour cet habitat traditionnel,  tous riches de nos expériences et de nos horizons différents, dans un cadre effectivement exceptionnel, celui de l’oasis de M’hamid el Ghizlane.

Comme je ne comprends pas l’espagnol, tout le monde est aux petits soins avec moi. Sympa ! Je sens l’intention particulière dont je fais l’objet pour que je me sente à l’aise au sein du groupe. Il y a toujours quelqu’un pour me traduire les consignes sur le chantier, le programme de la journée ou tout simplement ce qui se vit sur l’instant. Et puis entre l’arabe, le français et l’anglais, j’arrive toujours à me débrouiller. En plus de meilleures connaissances du sujet technique qui m’a amenée à parcourir tant de kilomètres pour ce stage de formation, je rentre dans mon pays avec quelques notions d’espagnol. Ca sert toujours.

Les habitants, généreux, chaleureux, m’ont fait forte impression. Ils ont un vrai sens de l’hospitalité. Les femmes du groupe Terrachidia – nous sommes plus nombreuses que les hommes – ont la chance de pouvoir passer une partie de la journée avec les femmes du village, autour du cérémonial typiquement nomade lié au thé ou pour apprendre à boulanger et à cuire le pain à l’ancienne. Enfin, façon de parler, car ici cette pratique n’a pas disparu. Chaque famille fait son pain de cette façon. Ces femmes de la vallée du Drâa, dont l’environnement montre le niveau de dénuement matériel comparé aux modes de vie urbains, n’arrêtaient pas de nous complimenter et de nous souhaiter le meilleur.

Ce que je retiens de tous ces échanges, c’est notre capacité universelle de dialogue, une humanité qui transcende les frontières linguistiques, culturelles, religieuses, sans autre guide que l’envie de s’adresser à l’autre avec le cœur et un bel esprit d’ouverture. Durant ces quelques jours passés à Ouled Driss, Rgabi, deux kasbahs de la commune de M’hamid, de belles amitiés durables ont déjà pris racine. J’en suis touchée et fière.

Terrachidia, des femmes s'engagent
Même si je suis la seule à ne pas parler espagnol dans le groupe, les échanges sont d’une rare qualité et la joie d’être ensemble plus que palpable.

Venir au Sahrara pour construire un futur désirable 

L’association Terrachidia joue un rôle fondamental dans cette oasis, en appui aux habitants qui entretiennent ce bâti en terre remarquable. Héritage des caravanes sahariennes, la fragilité de cet ensemble architectural unique disséminé dans une dizaine de kasbahs est due à un phénomène global aux zones rurales au nord comme au sud, le vieillissement accéléré d’un habitat de plus en plus déserté. Autre impact qui relève de mécanismes indépendants du local : des matériaux de construction mis à mal par de récents problèmes climatiques et une menace de plus en plus prégnante, l’avancée du désert. Il est difficile de se faire une idée de cette urgence qui nous concerne tous, le climat, j’avais moi aussi du mal à appréhender l’ampleur des dégâts, mais à M’hamid, on comprend vite ce que cela signifie pour les populations.

Ces dégradations et cette vulnérabilité impliquent des réponses, si possible adaptées aux moyens locaux. Plus on tarde, plus les conséquences sont irréversibles. Or localement, la tendance est plutôt à la réinstallation dans la ville nouvelle. Les familles qui en ont les moyens y construisent leur logement en béton et non en terre. Cela a un impact lourd de sens sur l’identité même de ces populations nomades et sur la transmission de ce patrimoine matériel et immatériel.

D’où l’importance de la présence et des interventions de Terrachidia, même si c’est une goutte d’eau dans un océan de sable. C’est d’abord un beau travail technique en matière de construction, c’est une démarche utile en terme de sensibilisation des habitants à la beauté et à la qualité de cet habitat ancestral, enfin c’est un effort de médiation plus que nécessaire à destination des acteurs de la vie économique et des responsables politiques.

L’activité touristique est en effet concentrée sur une demande de très courts séjours, cap sur les dunes du Sahara, avec une destination star, l’erg de Chegaga. Les touristes repartent en grande majorité sans se douter de la richesse à découvrir dans cette oasis. Il est étonnant que l’économie locale peine à intégrer une dimension culturelle dans son offre touristique quand ce territoire rural a la chance de disposer d’un tel bâti historique, patrimoine vivant au cœur de la palmeraie luxuriante et bien entretenue, seul véritable marqueur d’un passé légendaire.

Terrachidia est un projet porté par des femmes architectes comme Yasmine qui rêve déjà de reproduire l'expérience au Liban.
Terrachidia est un projet porté par des femmes architectes comme Yasmine qui rêve déjà de reproduire l’expérience au Liban.

Apprendre pour transmettre chez moi au Liban

Pourtant, alors qu’il recèle autant de trésors cachés, ce que j’ai découvert lors de ce séjour, c’est combien ce territoire est menacé, quand des initiatives collectives comme celle à laquelle j’ai voulu m’associer sont susceptibles d’intéresser un nombre croissant de personnes au moment même où les questions du développement durable et du réchauffement climatique sont admises désormais comme des priorités à l’international, et au plus haut niveau. Mais la loi de l’offre et de la demande semble plus forte que celle qui commande à l’homme de prendre soin des ressources dont il dépend. A Chegaga, rien n’interdit de venir s’éclater en moto, au mépris même de ce qui fait la beauté des dunes et leur charme : le silence et l’air pur.  Pollution sans frontières !

A Rgabi, le chantier consistait à restaurer la porte de la kasbah. Nous avons beaucoup appris avec les professionnels locaux et l’équipe d’encadrement de Terrachidia. Chaque jour les habitants nous gratifiaient de leurs remerciements. J’ai apprécié cette ambiance joyeuse de travail collectif et l’harmonie du lieu, dans lequel nous apportions simplement notre énergie et notre motivation à mener à bien cette restauration dans le temps imparti.

J’espère qu’au Liban je trouverai le moyen de travailler sur ce type d’architecture traditionnelle. Cette technique de la terre ne nous est pas étrangère. Plusieurs villages de la vallée de Beka’a sont construits de cette façon. Malheureusement, avec l’industrialisation, les gens optent pour d’autres matériaux et ont tendance à oublier cette magnifique ressource qu’est la terre, laissant de côté les savoir-faire ancestraux qui ont permis son utilisation dans le bâti pendant des siècles. J’espère également faire d’autres ateliers avec Terrachidia.

Je reviendrai au Sahara. Le désert a une influence magique sur nous. C’est un endroit idéal pour se ressourcer et prendre le temps de se reconnecter à notre for intérieur, de laisser libre cours à la pensée. Ici, la beauté et les choses simples nous ramènent à l’essentiel. Nous ne sommes que grain de sable dans l’immensité de l’univers, mais aussi à l’échelle de nos existences. Le désert ouvre la voie à plus d’humilité, à plus d’humanité. L’hospitalité des habitants est aussi un héritage du temps des caravanes qu’il convient de préserver, autant que la qualité de leur environnement.

Au sommet de la plus haute dune de Chegaga, l'heure est à la contemplation face au soleil couchant.
Au sommet de la plus haute dune de Chegaga, l’heure est à la contemplation face au soleil couchant.

B comme bonus

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Rgabi la magnifique

L’architecture de terre est l’une des expressions les plus originales et les plus puissantes de notre capacité à créer un environnement construit avec des ressources locales facilement disponibles. Programme mondial 2007- 2017 de l’UNESCO

Terrachidia est une association espagnole formée par un groupe de spécialistes de la conservation du patrimoine et de la coopération qui considèrent que l’architecture traditionnelle, notamment la construction en terre, est un domaine où ces deux approches peuvent être liées à la formation et à la promotion d’un tourisme responsable. L’association existe depuis 2002 avec des objectifs similiaires à ceux qui m’ont amenée avec mes élèves à créer cette même année TIMILIN, « moudre nos idées ensemble », aujourd’hui présidée par Lucie Jeanneret, jeune docteure en archéologie médiévale venue s’installer en Bretagne dans la zone rurale où je l’avais invitée à conduire sa recherche sur les mottes féodales. Comme ici, à M’hamid, le touriste ignore trop souvent qu’il passe à côté de vrais trésors cachés. M’Hamid el Ghizlane, anciennement nommée Taragalte, est une commune rurale marocaine de la province de Zagora, dans la région de Souss-Massa-Draa. Proche de la frontière algérienne, avec une ambiance saharienne indéniable, M’hamid el Ghizlane est la dernière localité avant cette immensité désertique.

Le mot « tourisme » vient de l’anglais ‘ »tourism », mais l’anglais « tour » a le même sens que le mot « voyage ».Les barbarismes superflus sont souvent le résultat d’un déplacement des significations dans la culture qui nourrit le langage. Rafael Argullol a fait remarquer que « voyager beaucoup sans rien découvrir, avoir accès à de grandes quantités d’informations sans comprendre celles-ci et essayer de tout unifier sous une seule langue ne nous rend pas plus universels. C’est plutôt l’inverse. » Voilà peut-être le drame global le plus attristant à l’heure actuelle et le drame local d’un lieu comme M’hamid. Marionao Vasquez Espi, janvier 2016, dans « M’hamid, la dernière oasis du Drâa »

Terrachidia intervient à M’hamid depuis 2012 à raison de trois chantiers par an. Les prochains auront lieu en mai et en octobre 2016. Plus de deux cent personnes de différentes nationalités ont déjà participé aux ateliers en collaboration avec les habitants de l’oasis. Ensemble, ils ont restauré des éléments du patrimoine architectural, en particulier des portes fortifiées des villages, des rues principales et des mosquées.Du 18 au 28 mars, Terrachidia
Ces années d’un intense travail ont permis de mieux connaître l’oasis, ses habitants et sa richesse culturelle. Un guide, intitulé « M’hamid, la dernière oasis du Drâa » retrace ces années d’exploration et de restauration à l’ancienne. Un document d’importance quand on sait que la majorité des touristes ne voit de M’hamid que la ville nouvelle qui concentre toute l’activité commerciale de l’oasis.

« Ce village a peu d’intérêt du point de vue paysager et la qualité de ses constructions est pauvre », peut-on lire dans le rapport d’activité multilingue de l’association, accessible en ligne. En septembre dernier, Plan B s’était intéressé à la ville nouvelle, à ce projet urbanistique contrasté si peu représentatif de la qualité architecturale héritée d’un savoir-faire ancestral particulièrement bien adapté au milieu et à la rigueur du climat saharien. Là où j’apporte des questions le plus souvent sans réponse, Terrachidia agit sur le terrain pour trouver les solutions avant qu’il ne soit trop tard pour se poser la seule question qui vaille : qu’adviendrait-il de M’hamid et de ses alentours si ce riche patrimoine bâti et paysager des ksours, des kasbahs, venait à disparaître ?

Bel outil de vulgarisation pour se promener dans l’oasis et mesurer l’importance de l’enjeu, le guide, édité par l’association à destination des touristes, mais aussi des écoles, des responsables locaux, des agences et des hébergeurs, propose neuf itinéraires dont un parcours archéologique. La vente de cette version française servira à publier la version arabe.

Pour la première fois depuis 2012, l’atelier, organisé au nord de la commune de M’hamid el Ghizlane, concorde avec les trois jours de fête du Festival International des Nomades. C’est donc en amont du premier Forum des Nomades que j’ai le plaisir de rencontrer Mamen, Susana et Raquel, trois femmes passionnées comme je les aime. Sans cette occasion unique, j’aurais pu encore aligner quelques séjours au Sahara sans entendre parler de ce travail remarquable et espérer y associer un jour mes propres réseaux en Bretagne.

A feuilleter comme une invitation à la beauté, ce livret trilingue est édité par Terrachidia, grâce à l’appui et au financement de l’Université de Girona en Catalogne. Extrait du guide dont il est question plus haut retranscrit après les Bonus (partenariat Université polytechnique de Madrid).

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Moi qui pensais avoir fait le tour des kasbahs du secteur, à pied ou à moto ! Je ne m’étais pas intéressée à ce qui se passait plus haut, sur la route de Tagounite. Rgabi ?Jamais entendu parler. Le guide du « Petit futé » parcouru à l’Auberge la Palmeraie indique bien au voyageur de venir jusqu’à Ouled Driss, sans mentionner d’ailleurs ni M’hamid el Ghizlane, ni la beauté des douze autres kasbahs, dans lesquelles vivent encore un nombre conséquent de familles. A ma décharge, j’avais comme guide un féru d’histoire locale, Ibrahim Laghrissi, un enfant du pays qui n’a jamais quitté M’hamid. Grâce à lui, je me souviendrai toujours des sensations indescriptibles que m’a laissées entre autre la visite de l’ancienne mosquée du Vieux M’hamid.

Pour saisir la force d'un lieu étonnant, la magie d'un bel échange avec Ibrahim, conteur dans l'âme
Pour saisir la force d’un lieu étonnant, la magie d’un bel échange avec Ibrahim, conteur dans l’âme

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Shopping à Ouled Driss. Crédit photo Fanchon Plan B
Shopping à Ouled Driss. Crédit photo Fanchon Plan B

Ouled Driss, c’est là que je retrouve Susana quelques jours après le festival. Nous échangeons en français. Le courant est passé tout de suite et je ne me prive pas d’en apprendre d’avantage sur ce projet grâce à la gentillesse et à la disponibilité de mon interlocutrice. Susana est co-fondatrice d’un association catalane : « Terram ». Elle est l’experte de l’enduit terre dans le groupe, mais elle représente bien plus que ça, je le sens. La discussion que je surprends entre Susana et une jeune architecte libanaise, Yasmine, me confirme cette intuition. Le groupe est au repos. Les filles sont parties apprendre à faire du pain avec les femmes du village. Nous prenons rendez-vous pour que j’accompagne le groupe dans le désert à Chegaga le lendemain. Formidable ! Je ne sais pas encore que la pluie me surprendra au petit matin.

Dans les dunes de Chegaga, avant la pluie
Dans les dunes de Chegaga, avant la pluie

A ce moment-là, je suis encore toute éblouie par ma découverte de Rgabi. Cette kasbah se trouve être le plus bel édifice que j’aie vu jusqu’à présent à M’hamid et celui dont l’environnement est le plus soigné : un vrai palais dans son jardin de palmiers, version monde rural et culture nomade. Il faut dire que les familles qui vivent là n’ont jamais cherché, semble-t-il,  à profiter de la manne touristique. Cette petite communauté berbère est d’ailleurs un peu considérée comme différente par le reste de la population qui tire l’essentiel de ses subsides de la fréquentation internationale des dunes de Chegaga.

Toujours est-il que ce lieu de vie que je découvre grâce à l’atelier de Terrachidia est la plus belle expression d’un attachement et d’une transmission qui semblent inhérentes à l’organisation sociale de l’endroit, et ce depuis belle lurette.

Une des cinq tours de Rgabi qui compte aussi la tour la plus haute de l'oasis de M'hamid
Une des cinq tours de Rgabi, un ksar, village défensif, fortifié, qui compte aussi la tour la plus haute de l’oasis de M’hamid.

Au Sud Maroc, l’architecture de terre est partout, à la fois tenace et fragile, tout en contrastes. Sentiment partagé de ruines et de propreté, poésie puissante des jeux d’ombre et de lumière, majesté des volumes symétriques et humilité des décors, dédales de ruelles entre les portes géantes qui soulignent la splendeur d’un passé qui n’est plus : celui des caravanes arrivant dans l’oasis pour décharger et recharger les marchandises échangées. La kasbah devant laquelle je suis passée si souvent sans rien voir m’apparaît comme un mirage entouré de jardins plantés de palmiers, riche écosystème rendant la vie supportable, même sous de très fortes chaleurs.

Un mirage, oui, bien que ces forteresses féodales sahariennes soient bien réelles. Elles sont habitées par des familles qui entretiennent encore avec soin ces vestiges d’une histoire locale liée au nomadisme. Or l’évolution de la société minimise ce travail anonyme, quand elle ne le rend pas obsolète au regard du dieu béton. Ici même, à grand renfort d’argent public, les minarets apposent sur l’horizon leur haute signature grisâtre et sans reflet. Ce savoir-faire de la construction en terre transmis de génération en génération sert pourtant on ne peut mieux l’esthétique et l’attractivité d’une région hautement touristique.

A Rgabi, Terrachidia a découvert un témoignage d'une mapitrise plus importante que dans les autres villages
A Rgabi, Terrachidia a découvert un témoignage d’une maîtrise de la construction plus importante que dans les autres villages

Que serait la vallée du Drâa sans ces forteresses et ces villages dont l’ocre dorée fait ressortir l’or de la paille mêlée à l’enduit de terre sous les rayons du soleil ? Que deviendront ces nomades devenus otages des frontières quand leur sédentarisation aura consacré à jamais l’ère du tout béton ? Que restera-t’il de leur culture, de leur capacité à vivre en symbiose avec un environnement si propice à la reconquête d’une énergie plus saine, plus viable que celle qui sert de carburant à tous les stress générés par les modes de vie urbain ? Avec quelles références du beau, du laid, grandissent aujourd’hui ces jeunes ruraux dont les yeux se sont habitués aux poubelles, aux poutrelles, savant mélange de modernité qui n’apporte ni confort ni mieux-être, mais un faire-valoir onéreux d’un semblant d’adaptation à de nouvelles conditions d’existence.

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Un mirage, oui, parce que l’irréversible est engagé, parce que, si l’on n’y prend garde, il ne faut pas plus de temps à la terre pour redevenir poussière qu’il n’en faut aux industriels pour faire de la poussière de ciment l’or gris des marchés financiers. Depuis quatre ans, Terrachidia s’attaque aux problèmes, et malgré toute la bonne volonté qui les anime, ces femmes architectes investies dans une course contre la montre voient chaque année des trésors disparaître.

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Une partie du groupe cosmopolite du premier atelier 2016, en route pour Chegaga. Une seule française, Charlotte, ingénieure de construction comme Massimo, italien vivant à Londres. Deux personnalités attachantes.
Yasmine a autofinancé son séjour. Arcihecte de 27ans, à Beyrouth, elle veut oeuvrer pour la sauvegarde du patrimoine au Liban.
Yasmine a autofinancé son séjour. Architecte de 27ans, à Beyrouth, elle veut oeuvrer pour la sauvegarde du patrimoine au Liban.
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35 ans, architecte, Susana Oses vit en Catalogne. Dans le désert, au coeur des kasbahs, au plus près des habitants, elle se sent chez elle et ça se voit.

 

 

Les encadrants, bénévoles, vivent  chaque atelier comme un partage d'expérience et l'opportunité de belles rencontres avec les habitants de l'oasis
Les encadrants, bénévoles, vivent chaque atelier comme un partage d’expérience et l’opportunité de belles rencontres avec les habitants de l’oasis

B comme Bonus

Témoignage de Yasmine, participante libanaise de l’atelier https://dernierbaiser.mondoblog.org/2016/04/11/rgabi-la-magnifique-2/

Pour contacter Terrachidia ou commander le guide en français : https://www.terrachidia.es/terrachidia/es/index.html

Pour une vision des enjeux à l’échelle Monde : https://whc.unesco.org/fr/architecture-de-terre/

L’article Plan B sur la ville nouvelle de M’hamid : https://dernierbaiser.mondoblog.org/2015/09/24/attention-travaux-lieux-mouvants-chateaux-de-sables-et-puis-quoi-encore/

Edition 2016 du Festival International des Nomades et programme du 1er Forum des Nomades : https://nomadsfestival.wordpress.com/

L’émission de 2M Mag sur le festival en replay : https://www.2m.ma/Programmes/Magazines/Culture/2M-mag/2m-Mag-Lundi-04-Avril

Pour contacter le guide des Kasbahs, Ibrahim Laghrisssi : https://www.aubergelapalmeraie.com/

Pour voir les magnifiques clichés réalisés par un autre expert passionné espagnol, Carlos Perez Marin, lors de son travail d’inventaire dans la Vallée du Drâa

https://web.facebook.com/carlosperezmarin/media_set?set=a.10153671785853844.1073741892.667383843&type=3

Aziz Srahani habite Bounou. Il travaille avec son père dans la palmeraie. Il accueille des groupes de Terrachidia depuis 2012 chez lui au coeur de la kabah offerte aux sables qui mangent la terre, comme il dit.
Aziz Srahani habite Bounou. Il travaille avec son père dans la palmeraie. Il accueille des groupes de Terrachidia depuis 2012 chez lui au coeur de la kasbah offerte aux sables qui mangent la terre, comme il dit.

Extrait de « M’hamid, la dernière oasis du Drâa »

Itinéraire 5 : De Bounou à El Alouj –

En laissant derrière nous la rue principale qui traverse l’oasis, nous entrons dans l’une des zones le plus peuplées de la palmeraie pour atteindre le ksar de Bounou. Le chemin traverse un beau verger parsemé de nombreuses maisons qui abritent aujourd’hui la majeure partie de la population du ksar […]. Les défenses du village sont formées par un périmètre fortifié a tracé régulier qui relie de hautes tours joliment décorées avec différentes formes géométriques en brique d’adobe. Après avoir passé cette muraille, nous entrons dans l’un des plus riches anciens villages de l’oasis, mais aussi l’un des plus touchés par l’abandon.

D’un côté et de l’autre de la rue principale, nous pouvons voir de nombreuses maisons en ruines et des rues inondées par le sable. Cependant, nous voyons émerger continuellement entre ces maisons de beaux patios avec de grandes arcatures. Sur la gauche se trouve le secteur le plus habité et le mieux conservé du village. De l’autre côté de la rue, le désert a gagné la bataille.

Ce noyau urbain est particulièrement attrayant. Pour le visiter, le mieux est de descendre la rue principale en direction du lit du fleuve Drâa, qui est en général à sec, hormis quelques rares fois dans l’année. Après avoir traversé le village, nous contournons celui-ci par l’ouest et nous pouvons contempler l’action destructrice spectaculaire du sable. Les hautes dunes dévorent progressivement cette partie du ksar, recouvrant même les étages des habitations.

De là, nous pouvons profiter d’un autre avantage qu’offre l’oasis de M’hamid : la possibilité de s’aventurer dans le désert pour découvrir l’immense terre fertile qui s’étendait vers le sud dans le passé. A mesure que nous avançons, nous traversons des zones abandonnées par l’homme en des temps plus reculés. Les vestiges et ruines laissés par les anciens habitants de cette région sont nombreux. Le même désert qui les a engloutis les conserve aujourd’hui en bon état grâce à l’absence d’humidité. Lors d’une promenade entre les dunes qui envahissent les terres méridionales de l’oasis, nous verrons émerger des puits, des ruines de bâtiments et d’anciennes palmeraies.

De plus, la zone désertique qui s’étend au sud de Bonou, de l’autre côté du lit du fleuve, est particulièrement riche en vestiges archéologiques. En marchant depuis le ksar vers le sud-est, de préférence en compagnie d’’un guide local, nous arrivons aux ruines d’un ancien village entre lesquelles nous verrons encore plusieurs tombes et un marabout en ruine, Sidi Boyshak, qui est toujours très populaire. Les jeunes filles s’y rendent pour connaître l’origine de leur futur mari grâce à un jeu curieux.

En avançant vers l’ouest depuis ces ruines, avec toujours le fleuve à notre droite, nous rencontrerons facilement des vestiges le long du chemin, des tombeaux ou encore d’anciens fours. Nous arriverons enfin à l’élément archéologique le plus intéressant de cette région les ruines de l’ancienne forteresse d’El Alouj. Ce noyau défensif a été construit par le sultan Ahmed el Mansour en tant que point de départ de la route du Soudan à travers le désert quand au XVIème siècle, avec l’aide des troupes andalouses expulsées de la péninsule ibérique, il prit le contrôle des routes sahariennes, parvenant à conquérir Tombouctou. C’est un ensemble avec des tours et une double muraille, une configuration atypique dans  la région, mais commune pour ce type de fortifications.


Afel Bocoum, discrétion et humilité d’un génie du Mali

Le Festival International des Nomades a été l’opportunité de bien belles rencontres dans divers domaines : la musique bien sûr, mais aussi l’agriculture, la sauvegarde du patrimoine et tant d’autres invitations à saisir toute la richesse de la vie nomade dans cette oasis mythique du temps des caravanes. Depuis ce week-end cosmopolite si vivifiant, ce ne sont pas les sujets qui manquent pour poursuivre les échanges, vivre d’autres moments partagés aux portes du désert. Comme les artistes ont une place de choix dans Plan B, c’est naturellement le sourire et la douceur d’Afel Bocuom qui sèment le désordre dans mon programme de publication. Tant mieux. Après tout, retranscrire une interview vidéo donne le temps de mûrir les rencontres, même si la frustration persiste de ne pas pouvoir rendre toute la chaleur, toute la profondeur de cet échange improvisé.

Ambiance et contexte : samedi 19 mars, les verres s’entrechoquent sur le comptoir d’un bar d’hôtel à M’hamid el Ghizlane. Ici, on sert aussi de la bière. J’ai accosté Afel Bocoum sans préambule au milieu de touristes tout sourire, détendus, visiblement comblés. Bien qu’improvisée, j’avais mis cette rencontre en tête des priorités dans mon programme maison. Trop heureuse que les choses adviennent sans avoir à les provoquer plus que nécessaire, c’est dans une pénombre rafraîchissante que j’invite aux confidences celui qui fut, pendant trente ans, le compagnon de route d’Ali Farka Touré sur toutes les scènes internationales. A peine remise de la lumière crue et de la poussière desquelles sont nées de si belles images lors de la course de dromadaires dans l’oued à sec, je savoure ma chance de ce huis-clos paisible. Je goûte et fais durer le plaisir enfantin d’une complicité qui s’instaure spontanément entre deux parfaits inconnus.

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18 mars, le concert d’ouverture tire à sa fin. La danse est la vedette de la soirée, après Afel Bocoum, mon coup de coeur 2016

 

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Le même soir, de l’autre côté de la scène. Danser sa joie, une énergie contagieuse Crédit photo Fanchon-Plan B

Voici une vidéo pour resituer le maillon entre deux générations que représente Afel Bocoum dans le paysage musical malien et africain. Entendre sa voix, son souffle, avant de vous imprégner de ses paroles, c’est une façon de mettre votre propre musicalité sur ces lignes tranquilles.

Début mars, les amis d’Ali Farka Touré commémoraient au Mali et dans les monde entier le 10ème anniversaire de sa disparition. Le 18 mars, Afel Bocoum est sur scène à M’hamid el Ghizlane avec sa nouvelle formule trio. Dans le public, plus de mille cinq cent touristes ont fait le déplacement et se mêlent aux habitants. Une foule de fans de blues touareg en liesse se presse autour des barrières de sécurité. Ici, dans le désert, chacun sait aussi la valeur inestimable du silence qui s’étire entre les notes.

PB : Vous avez été invité par le Festival international des nomades, c’est la première fois que vous jouez ici. Quelles impressions vous laisse cette soirée d’ouverture à M’hamid el Ghizlane ?

AB :  Que de joie! et de la fierté. Jamais je n’ai vu un tel engouement, pas même en Afrique, je n’exagère pas du tout en disant ça. C’était joli à voir. Des Marocains, des Français, des Canadiens, des Norvégiens, de tous bords, il y avait vraiment un très beau mélange. Quand vous voyez ce peuple, là, entre eux, se côtoyer, essayer de parler la langue de l’autre, de se connaître, c’est un moment très fort.

PB : Vous étiez à Genève le mois dernier. C’était important ce concert aussi, non ?

AB : Oui, ça s’est bien passé. Genève, premièrement, c’était le transport de notre culture. Depuis un certain temps, mon peuple vit des scènes désastreuses, vous le savez très bien, et ces gens, ils ont pensé à nous. Au lieu de faire un festival Ali Farka Touré au Mali, ils ont pris le pas pour nous organiser ça [un concert s’est tenu le 4 février 2016 en hommage à Ali Farka Touré dans le cadre du festival « Ô Mali » organisé par les Ateliers d’ethnomusicologie, ndlr]. Parce que c’est une forme d’aide. Ils ont voulu nous aider puisque nous on ne faisait plus de musique, on ne faisait rien en tant que musicien. On était coupé de tout, à cause des événements qui se passent. Ça s’appelle djihadisme, ça s’appelle crise, ça s’appelle l’instabilité tout court. Voilà pourquoi il nous ont aidé, ces gens-là, et je garderai ce geste en mémoire toute ma vie.

PB : Hier soir, sur scène, vous avez lancé cette invitation à tous : « venez chez nous au Mali, on vous attend ». C’était inattendu, vu le contexte.

AB : Les festivaliers, les touristes ont peur. Aucun pays au monde n’est en sécurité aujourd’hui. Eux nous ont laissé en panne. Comme quoi le Mali c’est dangereux, en Algérie c’est dangereux, mais jusqu’à quel point ? Mais qu’ils viennent nous visiter, parce que nous aussi on est en danger, qu’ils viennent nous aider! S’ils ne veulent pas nous aider, qu’ils viennent nous visiter quand même! Ça nous ferait énormément plaisir. Où que tu sois, sens-toi en sécurité. C’est le message que je voudrais vraiment passer. Ne vous mettez pas dans un coin, comme si dans ce coin vous êtes en sécurité. Ce n’est pas évident à tous les coups, la vie.

Entre Namur, où il habite et Bamako où il crée un centre d'initiation aux musiques traditionnelles, Afel Bocoum construit pas à pas des ponts entre les générations.
Entre Namur, où il habite et Bamako où il crée un centre d’initiation aux musiques traditionnelles, Afel Bocoum construit pas à pas des ponts entre les générations.

PB : Et la musique dans tout ça ?

AB : La musique est une arme nécessaire et pacifique pour rapprocher les peuples. Nous, on chante en tamasheq, mais dans toutes les langues possibles du monde, la musique est en soi un langage.  Avec la musique, tu acceptes l’autre par sa performance. Par la diversité, par l’état d’âme, par le physique, par tout, parce que nous sommes des êtres humains tout court et la musique nous a réuni. Je suis descendu à Marrakech, j’ai pris le bus avec des musiciens. Moi, depuis qu’ils sont repartis chez eux, j’ai un trou de mémoire, parce qu’ils m’ont déjà manqué. Est-ce qu’on peut oublier ça ? Jamais. On n’oublie pas des scènes comme ça.  On a échangé des emails mais leur silhouette est ancrée, là, elle ne sortira pas de ma tête. Et vice versa. Ça c’est quelque chose qu’on a tout le temps quand on bouge hors de chez soi. Etre nomade, c’est une richesse. Ce n’est pas facile d’être nomade.

PB : Etre artiste, c’est une autre façon d’être nomade.

AB : Tu es forcément nomade dans ta tête, parce qu’il faut comprendre les autres, comprendre comment ils fonctionnent et les accepter dans leur fonctionnement, parce qu’ils ne fonctionnent pas dans le vide comme toi tu y arrives. Nomade, oui, dans ma tête, mais physiquement, voilà que je suis entravé. Je voudrais bien voyager. Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est ça, le visa, une barrière comme ça pour empêcher les musiciens de voyager à travers le monde. Donc voilà quelque chose dont on m’a amputé.

PB : La mobilité ces artistes, c’est selon vous un enjeu majeur ?

AB : Oui, un enjeu majeur. J’aimerais vraiment qu’on y pense, que les gouvernements apportent des réponses. Nous n’avons jamais enfreint la loi d’un Etat. Si j’avais passé une minute dans le territoire d’autrui sans permission, et qu’on ne me donne pas le visa, il n‘y a aucun problème. Mais on ne cherche même plus à comprendre. Visa ? Non. Le visage il est fermé, comme si celui qui te donne le visa travaillait pour lui-même. Il ne pense même plus à son pays, qui l’a commis. Tout est oublié, chacun fait à sa tête.

PB : Et pour les jeunes alors ? C’est difficile du coup de rentrer dans ta trace à toi. Toi tu as su rentrer dans la trace d’Ali Farka Touré. Il t’a choisi pour être sa relève. Ça t’a permis de faire ta musique. Pour les jeunes de maintenant, quel chemin s’ouvre à eux ?

AB : Ils font du rap. Je suis content pour eux, ils ont voulu changer. Ce qu’on fait, ils se sentent pas dedans. Mais je leur conseille toujours, faites attention, même si vous faites du rap, prenez soin d’utiliser vos instruments traditionnels, à la base. Parce que les Américains, c’est leur chemin. Vous ne serez pas des américains, hein ! Développez vos instruments, développez vos idées, développez votre chose, votre bien-être, mais ce chemin des Américains, fuyez ça comme la peste. Restez chez vous et ayez les pieds sur terre. Voilà le message que je passe aux jeunes. Chaque phrase compte chez nous. C’est une question d’éducation civique et morale. Nous n’écrivons pas. Des journaux, la radio, il n’y en a pas dans tout le pays. Voilà ce que la musique représente pour nous : il faut faire passer l’information à un niveau équitable à travers le pays. La télévision, elle s’arrête à un niveau, et puis c’est fini, il n’y a plus d’image. La radio, ça s’arrête à un moment, quand on ne peut plus capter car le pays est très vaste. Avec la musique, nous, on peut aller n’importe où pour délivrer des messages. Voilà la différence. Avec le rap, nos jeunes livrent des messages essentiels, mais j’aimerais que la musique à la base soit notre musique. Ça je le souhaite de tout mon cœur.

PB : Merci beaucoup Afel Bocoum. Au plaisir de vous voir où la prochaine fois ?

AB : C’est moi qui vous remercie. Pourquoi pas en Australie (sourire). On se voit là-bas, d’accord ? On prend le pari.

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Mamadou Kelly et Alain Plume forment avec Afel Bocoum un trio qui fait voyager l’âme du Mali dans de belles compositions à découvrir lors de leurs prochains concerts

 B comme Bonus

Le protrait d’Afel Bocoum sur Mondomix

Afel Bocoum est à l’initiative d’un projet culturel à Bamako pour répondre aux enjeux de la transmission : la création d’un centre d’initiation à la musique traditionnelle

Contact : malimusicalcenter@gmail.com

En concert à Bruxelles le 3 avril, Afel Bocoum a été l’un des invités de marque du Festival international de jazz de Montréal, voilà quelques années.

Un article publié le 7 mars par RFI Musique sur une autre formation avec Afel Bocoum, actuellement en tournée internationale, le Ali Farka Touré Band.

Parmi d’autres références, nombreuses en Bretagne pour échanger, agir, créer en faveur de la transmission des musiques traditionnelles – on ne peut plus actuelles -, un festival fait une large place aux rencontres professionnelles : rendez-vous à Brest en décembre 2016 pour le festival No Border.

Pour promouvoir un festival en zone rurale qui fait le job « ar feson » (top du top) à Rostrenen : le festival Fisel.

Au Sahara, le festival au désert (Prix Womex 2013) est toujours en exil. Dans son album « Niger », Afel Boucoum a dédié une de ses compositions à Manny Ansar, initiateur en  2004 de ce beau festival et coordinateur depuis 2013 de la Caravane culturelle pour la Paix. Le Festival au désert en exil est partenaire de la tournée d’Ali Farka Touré Band, en découvrir cet été en Europe après la tournée des capitales africaines

En 2004 naissait un autre festival au désert dont la 13ème édition vient de s’achever : le Festival International des Nomades (page FB).

Pour aller plus loin, l’actu Formation de la semaine.


Déposées l’ombre et l’empreinte

M'hamid el Ghizlane, dans les dunes
M’hamid el Ghizlane, dans les dunes – Janvier 2015

Des pierres du sable                         

Je m’invente un désert

pour mieux voir ton étoile

et guidée par le ciel

de mon vaisseau en cale sèche

je ferai de mes larmes

un fleuve promesse d’océan

Je n’aurai qu’à attendre

que le vent se lève

pour mettre les voiles

Des pierres du sable

voilà mon histoire

au matin du monde

au soir de ma vie

Il est beau le désert

de celui qui s’invente

l’urgence suprême

l’envie sublime

de larguer l’inutile

de voyager léger

 

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M’hamid el Ghizlane, la fin de la palmeraie – Mars 2016

Des pierres du sable

pour enfouir mes rêves

le désert pour sanctuaire

anonyme et sans Dieu

Des pierres du sable

effacées les  traces

déposées l’ombre et l’empreinte

comme on jette les armes

à la fin du combat…

… et naître au silence

 


Dynamiques africaines, palabres citoyennes à Grenoble

En 2015, 10 000 personnes ont suivi les conférences en ligne ou in situ à Grenoble
Le festival de géopolitique de Grenoble est une initiative francophone unique en son genre. En 2015, 10 000 personnes ont suivi les conférences en ligne ou in situ à Grenoble. Le thème mis au débat chaque année intéresse les acteurs économiques et culturels du monde entier avec cette vocation première : interpeler les citoyens que nous sommes sans préjuger de nos points de vue sur le sujet traité

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

 

Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.

 

Déclaration universelle des Droits de l’Homme,1948

Si je veux promouvoir ici l’initiative d’une école de management française, c’est grâce à mon implication bénévole dans un festival qui se déroule dans un tout petit village du Sahara en zone frontalière, territoire désertique en crise. Là-bas, les populations rurales peuvent vivre en paix et partager leur trésor de culture avec vous et moi sans que nous ayons besoin d’un visa ou d’une quelconque autorisation de séjour pour cela.

Dans ce même là-bas, celui qui résonne comme la voix d’une chanteuse assassinée apportant un souffle réconfortant aux paroles d’une chanson pleine de chagrin, de rancœur et somme toute d’espoir, des jeunes nomades ont rêvé eux aussi à 17 ans de risquer le tout pour le tout pour rejoindre l’Europe, dont la frontière s’invite outrageusement sur le continent africain, dans leur propre pays, le Maroc.

Ces jeunes-là que j’ai eu la chance de connaître ont renoncé à ce projet fou. Ils sont aujourd’hui une lumière sur l’horizon pour d’autres jeunes dans leur village et c’est légalement qu’ils ont découvert l’Europe finalement quelques années plus tard et qu’ils y reviendront pour allumer le nôtre, d’horizon. Mais combien n’ont pas eu d’autres choix que de devenir ces aventuriers sans gloire dont je vous invite à entendre des témoignages poignants dans le film documentaire d’Hélène Crouzillat et Laetitia Tura, Les messagers.

Hier, les médias nous annonçaient que la Turquie et l’Europe se livraient à un vil marchandage pour trouver une issue moins détestable à la cause des réfugiés que celle dont témoigne avec justesse ce film époustouflant d’audace et de clairvoyance. J’ignore quel savant en géopolitique nous expliquera un jour comment ce qui semble possible avec Ankara à renfort de milliards n’étaient pas envisageable, il y a bien longtemps déjà, avec le Maroc pour éviter de transformer une frontière terrestre de 10 kilomètres en cimetière marin. Sans doute ces milliards sont-ils négociables au prix de vies humaines anonymes et d’un confort à préserver du bon côté de la frontière, comme on sauve la face pour les apparences en cachant consciencieusement sous le tapis les turbulences prévisibles du futur divorce qui mettra à jour toutes les fissures pré-existantes au contrat de mariage signé au siècle passé. Sans doute cette information étonnante cohabite-t-elle sans pudeur avec cette autre actualité qui nous ramène à la question posée à Grenoble : que se passe-il en Afrique ?

Coopération – Afrique : Ankara affiche sa puissance économique, article Le Point Afrique, 3 mars 2016

Affiches_FDGG16« Dynamiques africaines », voilà le sujet sur lequel vont plancher du 16 au 19 mars plus de 120 invités venus du monde entier pour débattre…

Non, pas entre eux comme si le monde justement n’existait pas et n’appartenait qu’aux experts. Le débat à Grenoble, il se vit dans le sens citoyen du terme, au sens qu’il n’y a pas de démocratie sans débat, pas d’opinion publique bien informée sans capacité de cette opinion publique à décrypter l’information pour tenter de forger ce qu’on appelait autrefois l’esprit critique.

Interpellée par ce thème 2016 d’un festival dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à présent (damned!), j’ai recouru aux bons services du net et, ni une ni deux, arguant ma nouvelle veine journalistique, me voilà en entretien avec un enseignant-chercheur de Grenoble Ecole de Management (GEM) qui m’explique l’origine et la nature de cet OVNI du monde moderne, dont chacun sait qu’il est ultra-connecté sans trop savoir sur quoi d’ailleurs.

Car le progrès n’est plus une utopie partagée épinglée sur la courbe de la croissance entre deux désillusions. Oui, va bien falloir s’y faire. On nous aurait raconté des cracks toutes ces années alors ? Faut croire que nous avons toujours été plus forts pour trouver des solutions techniques et financières au défi de la conquête spatiale que pour résoudre les équations complexes du budget familial, qui se serre la ceinture sans jamais réussir à joindre les deux bouts, ni même celle de la famille réfugiée, qui n’avait pas choisi l’option « Plein air, motus et bouche cousue » dans le catalogue « Voyage, offrez-vous l’aventure de votre (sur)vie ».  

Le festival a ouvert ses portes le mercredi 16 mars à Grenoble. Les 10 000 participants qui ont fait le succès de la dernière édition n’ont pas tous fait le déplacement et c’est en soi une performance que de permettre à quiconque souhaite s’informer par lui-même et se forger sa propre opinion sur un sujet d’actualité que de le faire de chez lui à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il suffit de se connecter au site entre le 16 et le 19 mars et de choisir parmi la soixantaine de conférences diffusées en direct, seul ou en profitant de l’aubaine pour faire ricocher le débat et l’information citoyenne chez soi, dans le concret de son propre contexte géopolitique.

Tout n’est pas géopolitique, le directeur du Festival, Jean-Marc Huissoud, me l’a confirmé. Rien non plus n’est jamais neutre. La question est bien celle de notre liberté de choix et de parole pour que le jeu de l’expertise et de l’information ne soit pas confisqué au profit de quelques uns pour laisser la masse en proie à un seul mode de réaction : l’indignation. Face au sentiment de plus en plus répandu d’impuissance, d’inutilité, il y a des alternatives à la perte de repère, à la perte de sens même, à vouloir défendre coûte que coûte des systèmes démocratiques qui saluaient dans une même emphase (en phase ?) le printemps arabe, quand ils sont les fossoyeurs identifiés de leur propre rêve démocratique.

La neutralité n’existe pas, l’objectivité non plus, nous sollicitons des gens dont les parcours et les opinions sont différents. Nous arrivons à avoir un panorama de ce qui se dit sur un sujet. Les orateurs ont leur approche,  leurs conclusions, ils sont entièrement responsables de ce qu’ils disent. C’est leur nombre et la multiplicité des parcours qui font que ça peut convenir au plus grand nombre. La neutralité sur des questions qui touchent tout le monde comme la sécurité, c’est illusoire. Ce festival ne véhicule pas de valeurs, si ce n’est la volonté d’informer le public. Nous n’avons pas la prétention de détenir une vérité, ni la volonté de défendre implicitement telle ou telle idéologie politique. C’est important d’éduquer le regard à ce qu’est la géopolitique pour justement sortir des injonctions quotidiennes à penser d’une manière ou d’une autre. Jean-Marc Huissoud

 

PB : Entre le moment où l’initiative s’est mise en place et cette 8ème édition, quelles sont les influences qu’il vous semble essentiel de mieux observer en terme de changement et d’impact par rapport à la marche du monde ?

JMH :

  • La désillusion liée à nos représentations sur les pays émergents, aux perspectives qu’ils offraient. Il était comme acquis de penser qu’ils seraient le moteur d’une relance de l’économie mondiale et surtout des économies développées. On s’aperçoit que ça ne va pas être tout à fait le cas.
  • ce n’est pas une surprise, mais on voit à quel point la prise en compte du concret des réalités monte très vite en puissance dernièrement, par rapport à la prise de priorité dans l’agenda des questions environnementales qui a commencé à modifier et qui va de plus en plus modifier les orientations des discours stratégiques, diplomatiques, politiques à l’avenir? Ca va vraiment devenir une question cruciale.
  • l’achèvement du modèle de gouvernance mondiale de 1945 qui est en train de se déliter par petit bout et dont la hiérarchie est en train de changer, comme son mode de fonctionnement est amené à changer dans les années à venir face à la contestation croissante du modèle occidental comme modèle de gouvernance mondiale.

PB : Est-ce que cette évolution des représentations est à mettre en rapport avec la question de la pensée unique ?

JMH : Pas seulement. Ca va au-delà. La question va être maintenant de ne pas tomber dans l’excès inverse, qui serait de tomber dans un modèle anti-occidental, ce qui reviendrait à une autre forme de pensée unique. L’enjeu, c’est la pluralité des options, des normes, des voies que les différentes régions du monde vont pouvoir emprunter dans l’avenir. Quand je dis région, je ne parle pas de Rhônes-Alpes, mais bien de grands territoires multinationaux, comme le Sahel par exemple.

PB : Le festival s’intéresse cette année au continent africain. Pourquoi ce choix précisément en 2016 ?

JMH : Parce que là encore on était en train de développer sur l’Afrique les mêmes discours que sur les pays émergents. Tout d’un coup, c’était l’avenir du monde, le continent commençait à intéresser beaucoup de monde mais pas pour les bonnes raisons. Bien sûr, il est question de raisons économiques, mais pas au bénéfice d’une vraie compréhension de ce continent, très complexe et dont la position au regard de l’occident est toujours perçue comme périphérique. L’Afrique n’est pas du tout périphérique, mais elle est perçue comme telle. Le but c’est de reposer la question, sans faux semblant, sans recourir aux réponses toutes faites, et de placer cette question au cœur de regards multiples, pas de notre seul point de vue occidental : que se passe-t-il aujourd’hui sur le continent africain ?

PB : Est-ce que la géopolitique telle que vous la définissez ne rencontre pas une vraie difficulté dans l’écart de plus en plus paradoxal entre les discours et les actes, entre les injonctions et l’inertie des systèmes qui produisent ces mêmes injonctions ?

JMH : Ah… Si ! Pour moi géopolitique – comprenons- nous bien -, c’est une démarche d’analyse (pas une science), visant à une compréhension qui doit permettre deux choses, l’action  pertinente en rapport avec une problématique donnée dans un contexte déterminé, le débat et la négociation entre les parties prenantes, les deux étant liés. La géopolitique, ce n’est pas une méthode d’action mais une méthode d’analyse. Si on parle de diplomatie, de gouvernance internationale dans le concret, entre discours et action, il y a évidemment un décalage, de l’inertie, c’est inévitable, on n’éteint pas une crise comme on appuie sur un interrupteur. Les gens qui sont en charge d’agir savent que c’est complexe et que ça va prendre du temps. Parfois, il est préférable de ne surtout pas se presser de croire qu’on a trouvé une solution, parce que la solution peut à son tour devenir le problème.

89-FN-Sahara_Vue aérienne du mur_2001

PB : L’intitulé « Dynamiques africaines » invite à sortir du seul constat objectif, mais aussi d’une certaine forme de discours. Quelle(s) nouvelle(s) vision(s) du continent africain, de son développement, ce programme dense et riche veut-t-il éclairer ?

JMH : D’abord il y a les crises politiques qui naissent par des désespérances et des échecs, mais avec des situations très différentes d’un pays africain à l’autre. Il y a des pays qui font face à des crises qu’on peut juger rétrogrades comme la montée des fondamentalismes religieux, d’autres pays qui voit la montée l’expression d’une société civile qui veut bousculer les cadres établis. Il y a la disparition progressive de la relation bilatérale avec les puissances européennes. Les collaborations actuelles, plus multilatérales, ouvrent des possibilités. Il y a la question toujours du développement, qu’il faut sans doute redéfinir, il est temps. La question des migrations, notamment l’exode rural et au-delà les migrations hors continent, mais ce n’est pas la plus importante. Du point de vue européen, nous avons cette impression que les Africains viennent vers nous, mais la majorité se déplace sur le continent. Il y a la question de la transformation agricole et démographique. Ca fait beaucoup de mutations en court à relier aux mutations plus globales et sociétales à l’échelle planétaire, ce serait utile de réfléchir à deux fois à ce qu’on est en train de faire. Le développement basé sur les cultures d’exportation pose  par exemple la question de la location de terres à des entreprises étrangères qui ont un impact évident sur le devenir des producteurs locaux et l’économie locale.

Deux milliards d’habitants en 2050, ça veut dire concrètement : comment on fait, avec quels impacts, quelles pressions sur les sociétés, les milieux, les échanges, les identités culturelles… et avec quelle efficacité sur la santé, la sécurité, l’éducation, le développement durable des territoires urbains et ruraux ?

PB : La prise en compte de cette complexité du réel regardée via le continent africain est-elle une des clés du changement de logiciel dont les médias nous rabattent les oreilles ?

JMH : Nous passons notre temps à nous construire des représentations confortables sur ce sujet comme sur d’autres, alors que dans un monde complexe, ces représentations ne sont pas opérationnelles.  C’est pour ça que nous avons pris le continent dans notre définition, car la seule dimension  incontestable, c’est cette dimension géographique, tout le reste, dire l’Afrique c’est l’Afrique noire, par exemple, c’est introduire des représentations, c’est ignorer que l’Afrique du Nord et l’Afrique noire sont en interrelation, que ces Afriques font partie d’un vrai ensemble. Il est important d’apprendre à regarder cette Afrique plurielle, à s’intéresser aux potentiels, pas qu’aux manques. Il  y a sur ce continent des possibilités qui n’existent nulle part ailleurs, les territoires, les gens sont là, avec des façons de faire les choses adaptées à leur situation. Penser l’Afrique en mouvement, c’est déjà rompre avec une vision passéiste et paternaliste, qui enferme l’Afrique dans une vision contreproductive. Il est temps de penser l’Afrique comme autre et pas comme un territoire en retard. Je pense que les voies de sortie vers le haut ne sont pas celles qu’on préconise, ce sont encore des recettes de développement  à l’occidental, or c’est aux africains de trouver les perspectives, de les inventer. Je suis persuadé qu’ils le feront. Il y a une différence entre apporter à l’Afrique ce qu’elle nous demande et lui imposer ce que nous pensons devoir lui apporter. A force de penser ces populations sous le seul angle du pessimisme, du désespoir, nous passons à côté de l’essentiel : leur propre capacité à faire émerger des dynamiques… africaines.

PB : Si je comprends bien, les apports du Festival de géopolitique de Grenoble peuvent être des vecteurs de changement, au sens où cette connaissance nous redonne du pouvoir d’agir, à nous simples citoyens. Plus facile à dire qu’à faire, non ?

JMH : La question est plus simple qu’il n’y paraît, mais la réponse – les réponses plutôt – à apporter, exigent une bonne compréhension des enjeux. La plupart des citoyens sont aujourd’hui confrontés à une information qui est dans une forme visant à déclencher des émotions et de l’indignation. Ce qui est légitime. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’émouvoir et s’indigner, mais c’est le contraire de la réflexion. La géopolitique, ce n’est pas du fait divers. Elle doit être soulignée par des événements dramatiques, qu’il nous faut comprendre, pas pour les excuser mais pour avoir la position la plus juste au regard des faits et au regard de ce que la société civile est en droit d’exiger des pouvoirs publics, sinon vous avez ce qu’il se passe en Allemagne avec l’affaire de Cologne, une réaction épidermique, avec à la clé une dérive extrême et très dangereuse.

Il ne peut pas y avoir de démocratie sans connaissance, réflexion et débat. On ne peut pas construire une démocratie sur la seule indignation. Sinon on fait n’importe quoi, car on n’est pas dans la discussion. Si vous êtes indignés, c’est que vous vous situez du bon côté de la morale et que l’autre du coup n’y est pas. Il n’y a plus de discussion possible. Tout le monde est informé sans débat, chacun de nous en tant que citoyen, nous sommes seuls face à l’information. Ceux qui n’ont pas interprété comme nous se sont trompés et on a raison. J’appelle ça la tribalisation de l’opinion.

La façon d’aller contre ça, c’est de faire comprendre la complexité de ce qu’on regarde, ramener les gens vers plus d’humilité, les confronter à leur degré de connaissance et de compréhension de ce qu’ils ont vu ou cru voir, les obliger à y repenser deux fois. Après ils prennent la position qu’ils veulent, mais pas sous le coup de la colère, du ras le bol ou de la peur-panique. Ce qui est paradoxal pour une discipline qui étudie les conflits, c’est qu’elle peut être pacificatrice.

Combo picture of the two Radio France International journalists Dupont and Verlon, who were killed by gunmen in northern Mali
RFI est partenaire du festival. Dans toutes les mémoires, une douleur encore vive, l’assassinat à Kidal de deux journalistes venus rencontrer les représentants du MNLA. Deux bretons les connaissaient bien pour partager ce même intérêt pour cette région saharienne, Arnaud Contreras et Guillaume Thibault, également journalistes à RFI.

Focus sur les partenariats de ce festival international

En partenariat avec « Détours de Babel », le Festival de Géopolitique héberge le spectacle intitulé «  SOUS LA PEAU » le samedi 19 mars à 18h30. C’est une histoire, un assemblage de mots et de sons extraits de textes de Frantz Fanon, auteur martiniquais et algérien. Compagnie Les Arts Improvisés
Musicien : Camel Zekri – Comédien : Sharif Andoura

Ce spectacle, pour un musicien et un comédien, tend vers un nouveau genre : entre musique et théâtre. On ne sait plus qui joue avec qui. Au-delà des idées, ce spectacle est une véritable expérience d’un corps à corps sonore avec la parole. Camel Zekri au travers de cette création reprend l’ensemble des écrits de Fanon et ressuscite toute la richesse de son engagement. 

https://detoursdebabel.fr/SOUS-LA-PEAU-CAMEL-ZEKRI-SHARIF-ANDOURA

Dans le cadre du partenariat avec RFI, deux émissions « Géopolitique, le débat » animées par Marie-France Chatin se dérouleront en direct du festival.

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Dans le cadre du partenariat avec Le Monde Afrique, l’équipe cartographie du Monde animera notamment un atelier cartographique en collaboration avec le magazine Carto le jeudi 17 mars à 15h30 sur le thème « Cartographier une nouvelle frontière : le Soudan du Sud ».

A noter également, la présentation de l’exposition « des murs entre les hommes » de la documentation française dont une partie sera exposée lors du festival à Grenoble : https://www.dailymotion.com/video/x37r3mb_des-murs-entre-les-hommes-teaser-sept-2015_news

40-AN-Ceuta_Vue sur le mur_2007

Pour découvrir le programme de cette 8ème édition, c’est là

https://www.festivalgeopolitique.com/sites/default/files/medias/programme_3mars.pdf

Pour suivre les conférences en direct ou en différé

https://www.festivalgeopolitique.com/live

A M’hamid el Ghizlane, à l’occasion du Forum des Nomades du 18 au 20 mars, une première expérience d’ateliers permettra d’organiser le débat citoyen localement, en associant habitants et visiteurs francophones intéressés par cette programmation 2016, avec le soutien de Mondoblog-RFI et de l’Association des Nomades.

https://nomadsfestival.wordpress.com/

https://dernierbaiser.mondoblog.org/2016/02/04/tous-nomades-naitre-libre-et-le-rester/

B comme Bonus

https://www.facebook.com/festivaldegeopolitique/?fref=ts

Des murs entre les hommes, plus qu’un livre, plus qu’une expo, une démarche pour regarder le monde et son évolution, présentée lors du festival

A l’inverse de ces murs qui séparent, l’esprit des caravanes d’aujourd’hui et pourquoi pas de demain, mis en image par Alissa Descotes-Toyosaki, réalisatrice de « Caravan to the futur », un film  présenté par la journaliste caravanière, ce vendredi 17 mars par l’Association des Nomades de M’hamid el Ghizlane.

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Une belle évocation d’une autre culture, sans frontière, sur les murs de l’Auberge La Palmeraie à M’hamid el Ghizlane, où le monde entier se retrouve à boire le thé, sans distinction d’appartenance. Une histoire qui appartiendrait au passé ? Peut-être que non…

Caravan to the FutureCaravan to ...


Swag, stag et bagad… Libertad (2)

Aman, breman – Ici, maintenant

Il est temps, oui, temps de vous présenter un de mes amis, Romain Sponnagel, fervant défenseur de la culture bretonne. Son engagement professionnel et militant vient d’être récompensé, mais ce n’est pas au brittophone de l’année que j’ai demandé de lever le voile pour Plan B, c’est à l’artiste engagé. Je suis heureuse qu’il nous parle de cette musique traditionnelle qu’il sert avec talent et conviction, avec un souffle tellement contemporain qu’il parvient à nous toucher encore profondément et à passer les frontières.

Aujourd’hui est un jour spécial pour les plus jeunes sonneurs de Kerlenn Pondi, ils sont sur scène à Vannes pour garder leur place en 3ème catégorie.  C’est aussi pour rendre hommage au travail d’encadrement sur la durée de ces adolescents que j’ai voulu consacrer cet article à des artistes de chez moi pour une fois. Ces jeunes musiciens ont bien grandi, bien mûri, depuis l’euphorie de la victoire qui leur a permis de quitter la 4ème pour se confronter à un meilleur niveau dans le championnat.

Certains travaillent dur pour se préparer à intégrer le bagad, dans lequel le plus jeune musicien n’a que 14 ans. Et dans ce groupe, il y a aussi celui qui accepte de prendre plus de responsabilités que les autres, malgré l’angoisse de ne pas être à la hauteur du défi. Il s’appelle Clément Guillermic, il a 20 ans. Aujourd’hui il a vécu sa toute première expérience de concours en tant que penn sonneur. J’espère sincèrement qu’il va faire un bon bout de chemin avec ses musiciens.

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En juin 2013, les 60 ans de Kerlenn Pondi devant une sable comble

Pour Clément comme pour mes propres enfants, tout est parti d’un premier regard, d’une première envie…

Le bagad de Pontivy concourait le 14 février à Brest en 1ère catégorie
Le bagad de Pontivy, Kerlenn Pondi, concourait le 14 février 2016 à Brest en 1ère catégorie.

L’écriture pour bagad est un art suffisamment inhabituel pour que vous n’ayez pas le loisir d’en entendre baucoup parler autour de vous. Alors avant de vous laisser en tête à tête avec Romain sponnagel, je vous propose en préambule un échange avec Simon Lotout, le penn sonneur de Kerlenn Pondi, le chef d’orchestre si vous préférez. C’est à lui que revient la mission avec l’ensemble des musiciens du bagad de faire entendre ce que Romain a mis en partition. Des mois de travail acharné pour convaincre le jour J, à l’occasion du championnat national qui se déroule chaque année en deux manches, à Brest à et à Lorient.

PB : En 1ère catégorie, le niveau des Bagadou est déjà très haut et il est encore plus difficile de se faire une place dans le haut du classement. Qu’est-ce qui fait la différence le jour du concours ?

SL : Pas grand-chose. La maturité du groupe. Quand un ensemble arrive à sonner d’entrée de jeu avec une belle dynamique, une énergie déjà bien en place, ça se reconnaît tout de suite. Chaque bagad développe sa manière de trouver et de partager ce souffle, par la puissance, par l’orchestration. L’art, c’est d’arriver à lier les deux, de trouver le juste équilibre pour que la suite soit l’occasion de faire passer la passion et l’exigence communes qui nous animent, sans rien perdre du plaisir premier qui est de jouer ensemble, de se sentir porté nous-mêmes par la musique.

L’enjeu, ce n’est pas tant de progresser d’une place au classement, même si le bagad tire aussi sa capacité de progression dans cette motivation. Ce que nous cherchons avant tout, c’est à transmettre une émotion et un répertoire traditionnel. Quand tu joues une mélodie qui a 500 ans, tu sais que tu n’es qu’un maillon de cette transmission, mais tu mesures aussi l’importance et ta chance d’être ce maillon. Au sein de Kerlenn Pondi, ce que nous apportons à cette histoire et à ce travail de création, de transmission, de diffusion que font tous les bagad, quel que soit leur niveau, c’est notre amour de la danse.

Simon à gauche face à Romain en répé Crédit photo Ouest-France
Simon à gauche face à Romain en répé Crédit photo Ouest-France

PB : Quel était ton état d’esprit avant d’entrer sur scène au Quartz ? Tu semblais très détendu lors de la répétition générale et les musiciens aussi.

SL : Nous avons fait de bonnes répétitions et je suis d’un naturel confiant. Les musiciens sont très impliqués, motivés, ils se sentent plus à l’aise à force de maîtriserSim les difficultés, mais ils savent rester concentrés et mettre la bonne dose de bejon quand il faut. Ni trop, ni pas assez. Nous sommes tous là pour obtenir le meilleur résultat possible. Nous avons travaillé pour ça avec une belle cohésion. Le reste, ça se joue dans l’instant, sans trop se poser de questions. C’est vrai que le bagad est resté planté historiquement à la 7ème place, mais l’an dernier nous avons réussi à finir 6ème au général, donc gravir encore une place, pourquoi pas. L’essentiel c’est de montrer que Kerlenn  Pondi a son style propre, une vraie signature. Le défi est d’autant plus intéressant que les têtes d’affiche ont peut-être plus de difficulté à surprendre au fil des années. On finit par s’habituer aux couleurs de tel ou tel ensemble et à la façon dont les suites sont structurées.

PB : Il y avait plus de liberté que sur les éditions précédentes pour ce 70ème anniversaire du championnat. Au regard des autres propositions, celle de Kerlenn Pondi part d’une approche assez classique. Contrairement à d’autres bagads qui sont sortis de leur terroir, vous avez fait le choix de rester sur votre répertoire de prédilection : le vannetais, et vous n’êtes pas allés chercher des violons, des accordéons, des consonances exotiques ou de musique de chambre comme l’a fait très joliment le bagad de Vannes, par exemple.

SL : Ce n’est pas parce que c’est un concours qu’on cherche forcément à impressionner ou à trouver à tout prix quelque chose d’original à présenter. Notre but, c’est avant tout de se faire plaisir sur scène le jour J. On bosse trois mois sur une pièce de 10 minutes, alors c’est important d’être dedans et surtout d’être soi-même. C’est une passion qu’il faut communiquer aux 1500 personnes qui sont là. Nous sommes moins préoccupés par la performance que par la nécessité d’aller le plus loin possible dans la façon de mettre la musique au service de la danse sans sortir du cadre contraignant qu’implique le jeu d’orchestre. Autant le faire avec nos airs, nos histoires, ce qu’il nous a été donné de transmettre et faire en sorte que ça sonne, tout simplement.

Comme tous les autres membres du bagad, Simon, 29 ans, est bénévole. Il vit dans une petite commune rurale du Centre-Bretagne, Saint-Mayeux. Il est instituteur bilingue et sonne depuis l’adolescence dans un groupe bien connu des amateurs de festou noz : Ampouailh.

Romain Sponnagel au festival Bombarde et compagnie
Romain Sponnagel au festival Bombarde et compagnie – Crédit photo Guy Gegoux

L’écriture pour ensemble est forcément normée, il faut faire en sorte que cela ne traduise pas une certaine rigidité dans l’expression. Concilier rigueur et liberté dans une construction soignée, c’est ce qui permet d’explorer avec subtilité et complicité la façon de faire surgir le côté vivant et fluide du mouvement.

Le bagad tire sa force du collectif et d’une écriture qui vient d’une langue chantée, dansée, aujourd’hui comme hier. La richesse du chant-contrechant, la rythmique des temps qui porte le pas des danseurs s’accompagnent à ce niveau de maîtrise d’une connaisance fine du style spécifique à chaque région de Bretagne.

Le travail fait en amont au niveau du choix des airs et de l’orchestration compte pour beaucoup dans le résultat final et la spontanéité du jeu, au sens premier du terme. Au-delà de l’effet d’intensité, de puissance que produit cette musique d’ensemble, il y a un savoir-faire, une envie de faire surtout, qui se transmet de jeune génération en jeune génération. Romain Sponnagel apporte par son écriture un vrai plus à cette aventure collective.

Partition du bagad de Pontivy, Romain Sponnagel
Partition du bagad de Pontivy, Romain Sponnagel

#BRETAGNE : une centaine d’orchestres traditionnels bretons : les bagadoù1…  autant d’arrangeurs et compositeurs… bénévoles !  Comment écrivent-ils?

Entre secrets de l’inspiration et art de l’orchestration, Romain se livre pour nous à un exercice de vulgarisation de la matière de Bretagne qui vous donnera des frissons, j’espère. Pour ma part, j’ai grandi dans cette culture et j’ai maintes fois l’occasion de voir jouer ces artistes. Pourtant je ne m’explique toujours pas ce qui crée ce surplus d’émotion chaque fois que je me sens bouleversée par ce langage puissant, profond, intemporel. Mais je sais une chose : cette émotion enracinée dans une histoire collective est assez proche, il me semble, de celle que ressent chaque nomade au Sahara à l’écoute de Tinariwen et des groupes qui font vivre cette tradition devenue elle aussi une référence universelle.

Il y a environ 120 bagad1 dans le monde dont une centaine en Bretagne. Ils sont classés en cinq catégories pour ceux qui participent au Championnat national des Bagadoù1. La finesse de l’écriture, l’harmonie des arrangements et l’intelligence du travail en équipe pour y parvenir sont des critères très importants pour juger le travail des groupes.

L’INSPIRATION : INTEMPORELLE !

Du moyen-âge à nos jours, les Bretons ont toujours été un peuple réputé pour ses arts. La matière de Bretagne est inédite en ce monde; la langue bretonne a donné une saveur délicieuse à de nombreux rythmes et mélodies.

Les fonds documentaires sonores ou écrits : les archives de Vannes, Dastum, les collections privées…  On compterait jusqu’à 50 000 documents sonores qu’on nomme les collectages. Les collecteurs parcouraient la Bretagne pour enregistrer et/ou noter les chansons populaires transmises de génération en génération. Certains de ces collectages sont simplement disponibles à l’écoute, d’autres ont été publiés dans des recueils. Le dernier est sorti… en 2016 ! Il reprend une centaine d’airs notés par Constance Le Merer, une institutrice dont le livret a été trouvé par hasard en vidant un grenier dans la région de Lannion ! Mais combien de ces livrets privés ont été perdus… ?

Les groupes de fest-noz, de concerts, de couples de sonneurs, de duos, de chanteurs actuels : environ 1500 groupes et/ou duos recensés actuellement !

Cette diversité de styles – il y a des groupes de fest-noz punk, d’autres sous forme de quatuor classique, d’autres rock, d’autres reggae…-  et de formes est également une source d’inspiration pour nombre d’arrangeurs ou écrivains de bagad, la règle restant de demander l’autorisation de jouer un air composé ou arrangé par un groupe. Le musicien breton à travers les siècles s’est toujours enrichi de tous les éléments de sa propre vie. En Bretagne, la musique traditionnelle est encore libre de droit, et c’est un peu comme les routes gratuites, c’est un sujet à aborder avec prudence…

La musique classique bretonne : la Bretagne a vu et verra encore naître des compositeurs bretons de renom international, principalement à la fin de la période romantique / moderne avec entre autres Paul Ladmirault, surnommé le nouveau Mozart lorsqu’il écrit son premier opéra « Gilles de Rais » à seulement 15 ans ! Joseph-Guy Ropartz est une autre de ces grande figures qui se sont elles aussi inspirées de la matière de Bretagne et deviennent parfois une nouvelle source d’inspiration pour les compositeurs d’aujourd’hui, un cycle sans fin. (Ecoute : lien 2 : Introduction sous forme d’un poème symphonique de la KEVRENN ALRE Au championnat des bagadoù 2016 à Brest). A Pontivy, c’est une compositrice qui a repris ce flambeau. Frédérique Lory a composé en 2015 une symphonie pour l’Orchestre de Bretagne, lequel travaillait déjà depuis deux ans à la création de la toute première symphonie d’un autre musicien friand de rencontre et de dépassement de soi : Ibrahim Maalouf

« Ma conviction est que nous sommes tous capables de nourrir un propos artistique, qu’on soit mélomane ou pas, mais a fortiori si on est musicien ! Que l’on vienne ou non des musiques improvisées, du jazz, des musiques dites actuelles, ethniques ou même de la musique classique, nous sommes tous en mesure d’exprimer à travers notre bagage culturel et selon notre niveau technique de musicien, un certain nombre de sentiments et d’émotions. Ces sensations auditives et visuelles improvisées ont tout à fait leur place en concert, pour ceux qui, attentionnés et bienveillants, tentent d’en déceler l’intérêt. ».

Ibrahim Maalouf.

Le bouche à oreille : « A veg da veg », les arrangeurs / compositeurs rencontrent toujours des référents, chanteurs, sonneurs, musicologues, collecteurs, musiciens, pour apprendre des airs mais surtout, à la source même du savoir, apprendre les secrets de l’histoire, de l’interprétation, de l’émotion ou de la passion transmis par ces mêmes airs.

Cette énorme diversité des sources se croisent dans un répertoire lui-même extraordinaire et qui se régénère sans limite ! UN REPERTOIRE ORIGINAL !

Les danses (An dañsoù) : environ 100 danses différentes en Bretagne ! De fonds anciens ou récents. Elles répondent toutes à une codification qui correspond à l’exécution de la danse : tempo, style, temps forts, rythmique, carrure, ambitus des airs,  modes musicaux…  Il existe également des variantes selon les villes, voire les villages, selon les époques aussi, les interprètes…  Notons que cette diversité est souvent la source de débats animés… Ces variantes et codes continuent d’ailleurs à évoluer aujourd’hui dans certaines danses. Il faut bien suivre le mouvement !

Les mélodies (An tonioù) comprennent de nombreuses sous catégories : chants à la marche, airs sur tous les sujets possibles, fidélité, mariage, métier, voleurs, mythologie, meurtres… Chantées, sonnées ou jouées, beaucoup de chansons étaient circonstanciées et racontaient des faits.

Le répertoire des Gwerzioù (mélodies historiques bretonnes, rimées, souvent en tercets comme au pays de Galles). Ces mélodies et textes proviendraient pour les plus anciennes de la période du Royaume de Bretagne avant l’an 1000. Par exemple, la gwerz Skolvan fut collectée sous une trentaine de version en Bretagne. Jusqu’à ce que le musicologue breton Donatien Laurent découvre la similitude entre les paroles collectées (un poème en trois parties d’une centaine de vers) avec un poème du plus vieux manuscrit gallois datant du XIIIe siècle : le livre noir de Camarthen (Llyfr Du Caerfyrddin). La comparaison est incroyable et souligne combien la tradition orale est puissante, puisqu’elle a permis, notamment en Bretagne, de transmettre pendant une dizaine de siècles des chansons, poèmes, histoires.

– Répertoires religieux : la pratique religieuse a été très importante en Bretagne. En effet, en plus de la religion officielle de Rome, les Bretons ont maintenu jusqu’au 20ème siècle un grand nombre de croyances liées au culte des saints, souvent issues de croyances païennes préchrétiennes qui ont coexisté pendant des siècles, parfois tolérées, parfois combattues par l’Eglise. Les répertoires religieux,  officiels et non officiels, sont par conséquent extrêmement riches.  Chaque saint, chaque chapelle, église, basilique, pardon, fontaine, a son cantique breton… voire plusieurs !  Ses cantiques ont parfois été composés à partir d’airs populaires et vice-versa. Ils ont été régulièrement repris pour se transformer sous forme d’airs à danser ou de chansons… au grand dam des hommes d’église parfois, qui voyaient leurs cantiques devenir des danses ou des chansons paillardes à la mode.

On le voit, chez un peuple de 4,5 millions d’habitants, l’histoire, les ressources et la force de création sont irremplaçables ! Elles permettent de créer et recréer chaque jour la musique Bretonne.

Romain, brittophone de l'année avec une autre lauréate 2016, kenyane
Romain, brittophone de l’année avec une autre lauréate, Darlene Arokoh, une Kenyane qui apprend le breton.

La langue bretonne a apporté à sa musique des caractéristiques ethno-musicales uniques comme l’asymétrie (exemple 2 KERLENN PONDI) que l’on retrouve à l’est de l’Europe et dans quelques rares cultures du monde, ou encore l’incroyable système de temps forts propre à chaque danse.

« Cette masse d’informations est une source irremplaçable d’inspiration et de vie qui permet de créer et recréer le quotidien ».

Romain Sponnagel

 

 

 

L’ORCHESTRATION DES BAGADOÙ

Exemple de conducteur de bagad avec les instruments habituels. (Laridenn/Kerlenn Pondi 2016). « Eil gwech » = Deuxième fois

Les compositeurs/arrangeurs de musique de bagad puisent donc dans cette incroyable matière de Bretagne pour écrire pour ces orchestres de musique traditionnelle ou non.

L’écriture, comme pour orchestre, répond aux règles et aux goûts de chacun… néanmoins, un grand nombre de contraintes sont à prendre en compte : La tessiture des instruments ; Les instruments de bagad ne sont pas chromatiques, il faut donc changer d’instruments si l’on souhaite changer de tonalité. Il existe la cornemuse écossaise en Sib : mode de Sol qui correspond bien à une partie du répertoire breton mais ne suffit pas. Les Bretons ont donc créé la cornemuse en do « mineur ». La gamme est particulièrement adaptée aux couleurs modales de la musique bretonne : la sous tonique fait un ton à la place d’un demi ton et permet même d’aller au Sol, soit à la quarte inférieure : Une sorte de mode plagal.  Cornemuses en do sur l’exemple 5 (Bagad de Vannes)

En bombardes : différentes tonalités coexistent : La bombarde en Sib est la référence imposée par l’utilisation de la cornemuse écossaise en Sib et de la cornemuse bretonne en Do. On trouve principalement des bombardes en Fa, puis Mib et enfin des bombardes ténor Sib pour aller dans les graves. Une bombarde basse vient d’être créée (une octave en dessous la bombarde ténor en Sib).

Le biniou est la cornemuse bretonne par excellence. Dans la grande famille des cornemuses, c’est aussi la cornemuse la plus aiguë du monde ! En Sib, en « La » dit non tempéré (ou appelé à tort vieille gamme) en Sol, en Fa…

Le travail en percussions est original : les Bretons ont créé une sorte de guitare basse en multipliant des grosses caisses accordées ! A écouter sur les exemples 3 (BAGAD LOKOAL MENDON), 4 (BAGAD D’ELVEN) et 5 (BAGAD DE VANNES)

Les caisses-claires sont utilisées à la base sur le modèles des pipe-bands. Peu de compositeurs écrit à la place du chef de pupitre des caisses-claire : Le penn caisses-claires. Elles rentrent l’orchestration globale des percussions.

Après le respect des contraintes de l’instrumentation, le travail d’écriture sur la matière s’oriente autour de deux axes :

  • L’orchestration (Manière de répartir les instruments) qui va jouer sur les intensités, timbres, les nuances, les équilibres de sonorités, les couleurs… (Solos, tutti, crescendos et decrescendos
  • L’harmonisation qui intervient de l’unisson aux arrangements les plus modernes et avant-gardistes, en passant par tous les styles.

Pour terminer, notons le lien entre l’extraordinaire diversité des sources du patrimoine oral et l’incroyable richesses des bagadoù aujourd’hui avec un nombre de créateurs et interprètes populaires qui ne cesse d’augmenter. Cette culture partagée par tous sans distinction sociale, raciale ou sexuelle est l’essence même de la culture dans le sens breton du terme : SEVENADUR (De « Seven » : poli, accompli + le suffixe -adur : « l’action de… »)  Littéralement, une action accomplie, poli, le fait de respecter l’autre et soi-même.

NOTE : 1 : Le mot « bagad » désigne les orchestres de musique bretonne. Les mots bretons sont accordés selon les règles de la grammaire bretonne : Pas de pluriel après les chiffres : On écrira 2 bagad. Et les pluriels bretons en « où » après les pronoms « Les bagadoù. »

Liens :  J’ai choisi d’utiliser des exemples des meilleurs bagadoù du Bro Gwened (pays vannetais). En vous baladant sur le site antourtan ou sur youtube, vous pourrez y découvrir l’incroyable diversité des styles et jeux proposés. Au jeu des concours, notons le bagad Kemper et Cap Caval qui remporte régulièrement le championnat depuis une dizaine d’année.

Pour compléter cette approche du travail d’artistes bretons, tous bénévoles, Plan B a demandé à Elouan, Lucine et Maelan, trois jeunes pontivyens de donner leur avis sur cette suite présentée le 14 février dernier au Quartz à Brest. Le nom donné à ce morceau justifiait bien à lui seul cette espapade dans les coulisses d’un bagad : « Na dorromp ket ar vrochenn », ne cassons pas le lien d’amitié.

Le jour du championnat, Elouan était sur scène, Lucine dans le public et Maëlan derrière son ordi à Pontivy.

12193754_1081272375225976_1648469091421587112_nElouan : mon premier concours à Brest remonte à 2011. Le jour de la répétition générale, la veille du concours, c’est vrai qu’on sentait le groupe bien en place et détendu. Le stress n’était pas encore là. Pour nous les bombardes, il y a une belle écoute entre nous. C’est le but recherché. Le plaisir vient aussi du fait que d’année en année, les suites changent. On sent que ça évolue bien. Ca donne de belles harmonies et un style qui se renouvelle.

Elouan étudie la musicologie. Le week-end, en plus des répétitions avec le bagad, il encadre un groupe de jeunes musiciens prêts à intégrer la formation adulte pour les faire travailler sur le répertoire qui exige un autre niveau de jeu, de concentration et d’écoute que celui demandé au bagadig.

Musiciens et danseurs font toutes les sorties ensemble. Voyage, voyage !
Musiciens et danseurs font toutes les sorties ensemble. Voyage, voyage !

Lucine : au début des répétitions, je n’aimais pas trop la suite. Quand je vois le résultat aujourd’hui, c’est pas mal du tout. Il y a de jolies nuances et c’est propre. Si je n’accrochais pas avec les thèmes, c’est sans doute qu’au départ il fallait le temps que ça s’organise. Là on sent que c’est bien construit, chacun sait ce qu’il a à faire. Le résultat est vraiment top. Le bagad a super géré sur scène. C’était encore mieux qu’à la générale. Il y a eu un beau silence avant que l’ensemble commence à jouer et puis on s’est laissé embarqué par la suite.  C’est étrange comme 10 minutes, ça peut paraître court ou long selon le contexte. On était juste trop dégouté pour le copain dont la cornemuse a lâché juste avant de monter sur scène.

Maëlan : ce que j’ai découvert à la générale, même si j’avais déjà une petite idée de la suite que le bagad était en train de mettre sur pied, c’est une sonorité hors du commun qui reflète très bien les traditions bretonnes. Cela vous colle le rythme et vous donne envie de bouger. Les temps sont bien marqués, c’est une musique qui s’assume, puissante, qui me fait penser à l’énergie de la révolte.

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Aujourd’hui le bagadig joue pour rester en 3ème catégorie dans le cadre du championnat national organisé par l’Assemblée des sonneurs. Elle est déjà loin la coupe des champions de 4ème !

Ce qui m’impressionne, c’est la cohésion du groupe et le travail phénoménal que ça demande pour en arriver là. Je fais partie du groupe encadré par Elouan et forcément ça nous motive de se dire qu’on est capable nous aussi maintenant de jouer des suites plus difficiles si on bosse avec sérieux.

L’ambiance aussi, avec le bagad, c’est plus cool et plus festif que quand on te fait comprendre gentiment : ben non, toi tu rentres à la maison, t’as pas l’âge ! J’aime vraiment mon instrument et j’essaie d’être assidu, c’est déjà pas toujours facile, entre l’internat la semaine, le conservatoire et le bagadig, le week-end. Alors j’hésite un peu.

Je ne sais pas si j’ai vraiment envie de passer tout mon temps libre à préparer des concours et la saison des sorties estivales. Si j’entre au bagad, ça veut dire que je vais passer pas mal d’heures au local et en déplacement.  Je n’ai pas encore 17 ans, mais j’ai aussi une vie à côté de la musique.

… et avant d’autres bonus, le premier film bilingue primé par le rectorat d’académie dans le cadre du concours « Citoyen reporter, patrimoines vivants », un tournage réalisé par des élèves de 3ème du collège Diwan à Vannes suite au classement par l’UNESCO du fest-noz, avec la complicité d’un enseignant (breton, musique) : David Ar Gall, à qui je vais laisser le mot de la fin en vidéo. Je ne pouvais en effet rêver meilleure conclusion (voir les bonus).

Ce reportage frais, sympa et fait avec trois francs six sous par de jeunes bretonnants dans le cadre de leur scolarité, vaut largement des supports que j’ai vus depuis sur le même sujet, réalisés par des professionnels à grand renfort d’argent public ! Je suis heureuse d’avoir été pour quelque chose dans l’existence de ce film.

B comme Bonus

Une appli pour rencontrer des Bretons aux quatre coins du monde https://stag.bzh/fr/ L’application Stag est gratuite – disponible sur iTunes et Google Play -, en français, en anglais et en breton bien sûr. Une idée concrétisée par Romain Sponnagel et deux de ses amis

Le site des sonneurs de Bretagne https://www.bodadeg-ar-sonerion.org/

L’actu du bagad et du cercle celtique Kerlenn Pondi https://www.facebook.com/kerlennpondiofficiel/?fref=ts

Contact : contact@kerlennpondi.bzh

https://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/le-fest-noz-rassemblement-festif-base-sur-la-pratique-collective-des-danses-traditionnelles-de-bretagne-00707

Site ressource pour consulter des archives sonores et autre documentation où que vous soyez https://www.dastum.bzh/FR/musique-bretonne.php


Swag, stag et bagad… Libertad (1)

Un dimanche par-ci, un dimanche par-là, si vous ne savez pas quoi faire le week-end, embarquez-vous comme l’ami Jamel dans un train en partance pour la Bretagne et à coup sûr vous aurez droit au grand frisson. Pas celui du surfeur qui préfère l’eau salée au capuccino bien chaud, non un frisson qui rime avec biniou, bourdon et bejon. Ca vous dit ?

Quand Jamel vient m’apporter des dattes bien fraiches de la ferme familiale en Algérie, – je vous dis ça, c’est pas des blagues -, il a droit à de la musique bretonne sans que j’aie eu à programmer quoique ce soit. Je laisse faire le hasard, il fait bien les choses. Des groupes de musiciens souriants, splendides dans leur costume trad, s’attroupent régulièrement devant le Quartz à Brest, le Palais des Arts à Vannes, ou au pied du Château des Rohan à Pontivy. C’est juste affaire d’habitude et… jamais loin de la gare ! C’est toujours en compagnie de Jamel que je me suis surprise à rejoindre la foule à Lorient pour la grande parade, pas peu fière il est vrai de savoir que mes loulous, Elouan, Lucine et Maëlan, étaient du défilé.

Au-delà du frisson, au-delà de la beauté du spectacle, y a t’il dans cet engouement porté par une jeunesse bretonne en prise avec son époque des clés pour s’intéresser à cette musique, à ce qu’elle explore à travers un répertoire qui a (miraculeusement ? Non !) échappé à la destruction de tout un héritage culturel. Le breton, langue celte, est toujours menacé de disparition, quant aux paysages si diversifiés autrefois, ils n’échappent pas non plus aux standards du moment, ni aux effets de la mondialisation. Il y a un mois jour pour jour, Plan B s’intéressait au Festival International des Nomades. Contexte différent, mais tout bien pesé, même préoccupation à partager, même espoir à semer pour la jeunesse, à travers nos patrimoines et les enjeux de leur transmission.

C’est grâce au pari lancé et remporté par le bagad de Vannes, gagner le coeur des français grâce à une émission de TV en prime time, que cette musique bretonne remporte l’année passée son deuxième grand succès médiatique après la célèbre chanson d’Alain Souchon. J’écarte volontairement l’épisode de l’hymne national chanté par Nolwenn Leroy au Stade de France, en mai 2014.

 Fanchon

Tu la voyais pas comme ça ta vie, Pas d’attaché-case quand t’étais p’tit, Ton corps enfermé, costume crétin, T’imaginais pas, j’sais bien.
Moi aussi j’en ai rêvé des rêves. Tant pis. Tu la voyais grande et c’est une toute petite vie. Tu la voyais pas comme ça, l’histoire : Toi, t’étais tempête et rocher noir. Mais qui t’a cassé ta boule de cristal, Cassé tes envies, rendu banal ? Extrait « Le bagad de Lann Bihouë », Alain Souchon, 1979

Le bagadig de Pontivy gagne le concours de 4ème catégorie. Euphorie !
Le bagadig de Pontivy gagne le concours de 4ème catégorie. Euphorie !
Durant des siècles, en Bretagne comme dans les dunes du Sahara, notre héritage culturel s’est transmis sans qu’il soit besoin d’intimer l’ordre aux populations via leurs gouvernements respectifs de contribuer par leur talent à la bonne marche du monde, à son enrichissement spirituel, social, économique, environnemental, ou de se taire, renforçant par là-même le besoin d’exprimer sa différence, de résister aux codes imposés par la culture de l’envahisseur ou le régime de la terreur.

Bien sûr l’histoire montre combien les liens entre pouvoir et culture sont complexes et souvent schizophrènes. Elle témoigne aussi, à l’exemple du sauvetage in extremis de la mémoire millénaire de Tombouctou, que le pouvoir qui survit aux époques, aux dynasties, aux massacres des hommes et des oeuvres, est celui du geste, de l’écriture, de la pensée, de l’imaginaire, de l’exploration du monde, pouvoir d’une humanité agissante qui surgit partout où un regard singulier interroge une forme, un mouvement, une idée.

Tombouctou ouvre une nouvelle page dans l’histoire du droit international. L’information est tombée cette semaine avec le premier procès d’un djihadiste devant la Cour pénale internationale. Force du symbole : cette décision intervient dans une époque où la culture comme l’émancipation des peuples et des individus sont clairement prises pour cible par des Etats, des multinationales et autres groupes fanatiques, fortunés, protégés mêmes, quand des millions de populations pacifiques continuent d’être minorisées dans l’indifférence générale, voire le consentement le plus total des dites populations.

Sans doute menacent-elles par leur culture d’autres causes universelles plus essentielles, plus existentielles ? Qu’on m’explique !

« S’attaquer à la culture d’un peuple, c’est s’attaquer à son âme et à ses racines. Vouloir les faire disparaître en les détruisant, c’est vouloir effacer la mémoire et le passé de ce peuple en lui enlevant ses repères, ses valeurs et tout le référentiel qui constitue le ciment de ce peuple. » Courrier international, 2 mars 2016

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17 /11/16, la Une du numéro spécial du Courrier international. Pontivy fait les titres des médias nationaux suite à la manifestation fasciste du 14/11 autorisée par le Préfet du Morbihan. Stupéfaction, incompréhension !

«Les violations des droits de l’homme sont comme les ondulations d’un sismographe, qui affichent le signal d’un séisme à venir. Aujourd’hui, ces ondulations se font plus rapides et plus amples. Elles signalent des violations croissantes et graves de droits et principes fondamentaux. Ces chocs sont provoqués par de mauvaises décisions, des actions dépourvues de principes et souvent criminelles, ainsi que par des approches étroites, à court terme et excessivement simplifiées de questions complexes.»

Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies, extrait du discours d’ouverture du 31ème Conseil des Droits de l’Homme

Car s’il faut du temps aux idées pour s’imprimer dans une réalité et la faire évoluer, le temps se charge aussi des modalités par lesquelles s’organisent la destruction ou la transmission de ces inventions plus fragiles que jamais. Les technologies s’offrent le luxe aujourd’hui d’explorer les univers de la réalité augmentée, autre débat, autre sujet, mais autant dire que le comble de l’absurde serait bien sûr que cette trouvaille soit l’exacte condamnation ultime d’une réalité vidée de son sens.

A l’heure de la révolution numérique, quelle énergie nous parle encore de ce qui fait la force et la richesse de nos civilisations, de leur capacité à évoluer avec humanité, à produire du beau, à donner du sens ? Après avoir arpenté les extraodinaires paysages de la Vallée du Drâa, m’être perdue avec délice dans l’imaginaire des kasbahs et du blues touareg pour combattre les images indélébiles laissées dans mon esprit par ses fous d’Ansar Dine, il est temps.

Aman, breman – Ici, maintenant

A suivre…

 B comme Bonus

« Bejon » est une expression populaire qui renvoie à l’idée d’énergie.

L’actu internationale https://www.courrierinternational.com/article/mali-la-cpi-sempare-des-destructions-de-tombouctou

Un film en breton qui témoigne de l’ouverture et de la force de la rencontre, avec Jeff un des sonneurs du bagad de Pontivy, Kerlenn Pondi

« En mai 2011, Safar, un groupe de musique taarab de Zanzibar est invité au festival « Bombarde et compagnie » de Cléguérec parce qu’il compte en son sein un zumari, la bombarde de Zanzibar. Safar se produit sur scène avec le bagad Kerlenn Pondi. Sonneurs de bombarde et  musiciens de taarab tissent des liens d’amitié. Les Bretons sont à leur tour invités à Zanzibar. Ensemble, ils s’interrogent sur la préservation et la diffusion des musiques traditionnelles, sur les rapports entre mémoire et création… »

https://www.kalanna.com/fr/safar-eus-pondi-da-zanzibar